La phrase créatrice de la Turquie moderne qui a suivi l’effondrement de l’Empire Ottoman au sortir de la Première guerre mondiale a été prononcée par Mustafa Kemal Atatürk : « Yurtta sulh, cihanda sulh » (« paix dans le pays, paix dans le monde ») le 20 avril 1931. Elle est devenue la devise de la Turquie et ce principe figure dans les Constitutions de 1961 et de 1982. Toutefois, depuis l’arrivée des islamistes emmenés par Recep Tayyip Erdoğan au pouvoir en 2002, cette notion fondamentale semble être oubliée. Jamais, depuis l’Empire Ottoman, les forces turques n’ont été aussi présentes à l’étranger.
C’est bien sûr la volonté de son président mais il est erroné de croire qu’il s’inspire – malgré tout le cinéma qu’il peut faire avec des Janissaires d’opérette – de l’Empire Ottoman. Il l’utilise uniquement pour satisfaire ses électeurs avides d’une « cause » à servir. Sa pensée est en fait conditionnée par la Frères musulmans dont il est l’un des dirigeant occultes. Son objectif est de participer à l’établissement d’un califat mondial géré par les textes sacrés de l’Islam où il doit jouer un rôle de leader charismatique. Sur le fond, il n’a pas tort. Les arabo-musulmans sont bien loin d’être majoritaires puisque cette religion est surtout très présente en Indonésie mais aussi en Iran et en Turquie. Riyad qui se décrit en défenseur des deux principaux lieux saints (la Mecque et Médine) a bien senti le danger est rompt peu à peu ses relations (d’abord commerciales) avec Ankara considéré comme un concurrent voire comme un adversaire. Pour cette raison, Erdoğan compte sur l’amitié indéfectible du Qatar (également dans l’orbite des Frères musulmans) qui est dans la même dynamique et, en conséquence mis au ban par l’Arabie saoudite.
L’armée turque forte de quelques 400.000 hommes sous les drapeaux (dont des appelés) et ses services secrets sont donc engagés sur plusieurs fronts potentiels. Cela dit, il faut raison garder. Les forces classiques turques ne sont majoritairement pas engagées dans des combats directs sauf en Turquie même contre le PKK et dans le nord de la Syrie et en Irak contre les mêmes ou presque, les Kurdes syriens – certes « cousins » du PKK – étant compris dans la catégorie d’ennemis à abattre. La majorité se livre à des missions de formation et de conseil tout en accompagnant les matériels acquis auprès du complexe militaro-industriel turc très performant dans le domaine des armes terrestres et des drones.
Ainsi, la Turquie bénéficie de facilités portuaires à Vlorë en Albanie, deux frégates y faisant escale régulièrement, possède des infrastructures dans la ville de garnison de Gizil Sherg et sur la base aérienne d’Haci Zeynalabdin. Elle maintient plus de 2.000 hommes armant des blindés en Irak du Nord bénéficiant d’une vingtaine de bases permanentes dans les provinces d’Erbil et de Dohouk. Les forces turques sont présentes en Libye sur les bases aériennes de al-Watiya, Mitiga, Zouara et Misrata. 30.000 militaires turcs sont stationnés en République Turque de Chypre du Nord (RTCN) dans le cadre Commandement des forces de paix turques de Chypre. La base du Qatar comporte déjà 5.000 personnels. En Somalie, le camp TURKSOM chargé de la formation des armée gouvernementales compte 200 permanents, chiffre qui pourrait atteindre le millier dans les mois qui viennent.5.000 militaires turcs tiennent garnison en Syrie du Nord à Jarabulus, Al-Bab, Al-Rai, Akhtarin, Atimah et Darat Izza. Un contingent de 600 hommes est toujours présent à Kaboul. À noter que des personnels turcs sont affectés dans des états-majors de l’OTAN. Enfin la marine turque est extrêmement active en Méditerranée orientale.
Sur le plan tactique, l’armée turque bénéficie d’une grande expérience des combats asymétriques même si nombre de ses cadres ont été mis sur la touche à l’occasion de « complots » réels ou supposés. À l’étranger, elle utilise de plus en plus des mercenaires encadrés par ses services comme piétaille du champ de bataille ce qui lui permet de ne pas apparaître en première ligne. La société SADAT AS International Defense Consulting en est un des bras armé. Si de nombreux Turcs sont recrutés, il en est de même pour d’anciens rebelles syriens qui y trouvent leurs profits. Ils ont été envoyés en Libye quant à l’Azerbaïdjan(1), il convient de rester prudent sur des accusations provenant essentiellement d’Arménie. Enfin, il ne faut pas négliger l’équilibre des forces qui existe entre la Turquie et l’Iran qui, au Proche-Orient ont tous deux des intérêts divergents. Pour tout stratège normal, il semble évident qu’Ankara disperse trop ses efforts de présence militaire (qui individuellement restent limités). En cas d’escalade sur un ou pire encore sur plusieurs points de friction, il n’est pas certain que la Turquie ait les moyens d’y répondre autrement que par la négociation. C’est d’ailleurs vraisemblablement ce que cherche Erdoğan: négocier en position de force.
1. Si l’armée azérie peut avoir besoin de spécialistes dans des domaines relativement sophistiqués comme les drones ou de la guerre électronique que l’armée régulière turque peut lui fournir, il n’a nul besoin d’infanterie ayant les ressources humaines nécessaires.
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