Les Forces de Mobilisation Populaire (Hachd al-Chaabi ou PMF en anglais) irakiennes se déchirent depuis la mort le 3 janvier de Qassem Soleimani, le chef de la force Al-Qods des pasdaran et de leur responsable opérationnel, Abou Mahdi al-Mouhandis. Le problème est géopolitique car il oppose le Guide suprême de la Révolution iranienne, Ali Khamenei, à la plus haute autorité religieuse chiite en Irak, Ali al-Sistani. Khamenei veut garder la mainmise sur l’Irak via les PMF, Sistani s’y oppose estimant que Téhéran risque d’entraîner Bagdad dans un aventurisme dangereux. En effet, le différent oppose les tenants iraniens de l’ »axe de la résistance » qui inscrivent leur action dans l’internationalisme anti-saoudien, anti-américain et anti-sionisme aux partisans d’une ligne « nationaliste » qui ne veut s’occuper que de l’Irak. Par exemple, ces derniers ne veulent pas intervenir dans le conflit syrien alors que des milices PMF pro-Téhéran y sont présentes en permanence.

Sur le plan intérieur, depuis les révoltes sociales initiées par les populations chiites fin 2019, Ali al-Sistani s’est exprimé en faveur des manifestants affirmant comprendre leurs revendications alors que des milices chiites internationalistes s’y sont durement opposé. Pour peser sur la vie politique irakienne, les milices pro-Téhéran dont le nouveau chef opérationnel est Abu Fadak al-Mohammadawi, al Khald, un ancien « disciple » de Qassem Soleimani ont même fondé une branche politique. Cette « Alliance Fatah » (Alliance de la Conquête) est dirigée par Hadi al-Ameri, le leader de l’organisation Badr, ancien ami intime de Soleimani. Elle a remporté 13,16% des suffrages exprimés lors des élections législatives de 2018 obtenant 48 sièges (sur 329).

L’ombre de l’ancien chef de la force al-Qods étant décidément trop forte en Irak, les quatre plus importantes milices de Najaf (les divisions Abou al-Fadhl al-Abbas et Imam Ali, les brigades Ansar al-Marja’iya et al-Akbar) ont déclaré le 23 avril leur retrait des PMF pour rejoindre les forces armées régulières qui dépendent du Premier ministre. Une dizaine d’autres milices s’apprêteraient à faire de même.

Dès 2017, Sistani avait souhaité que les milices dont il avait permis la constitution en 2014 pour combattre Daech, rejoignent le giron des forces de sécurité. C’était officiellement le cas depuis 2016 mais la loi édictée en ce sens n’avait pas été appliquée sur le terrain.

Pour l’heure, c’est à Moustafa Kadhimi, l’ancien chef des services secrets qui a la lourde tâche de constituer un gouvernement. Après avoir refusé sa candidature à deux reprises, les miliciens pro-Téhéran semblent désormais l’accepter comme un moindre mal.

Pour compliquer un peu plus la donne irakienne, il y a toujours l’incontournable et totalement imprévisible Moqtada al-Sadr. Ses positions changeantes passées ne permettent pas de prévoir son attitude à venir. Il est à la tête d’une des plus puissante milice des PMF : la Saraya al-Salam. Il peut très bien la retirer à son tour des PMF et la mettre à la disposition du Premier ministre. Mais une constante chez lui, soucieux de son indépendance, il ne se mettra personnellement sous les ordres de personne et restera fondamentalement anti-Américain.

Malgré le chaos ambiant, il y a urgence à remettre sur les rails un gouvernement qui soit vraiment aux affaires et qui organise un tant soit peu les forces de sécurité. En effet, Daech est en embuscade et a recommencé – comme en Syrie – à lancer des attaques contre les cibles étatiques n’hésitant plus à agir en plein jour, en particulier autour de Bagdad.

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Alain RODIER

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