L’ancien infirmier commando et député LREM Jean-Michel Jacques conduit une mission d’information sur le continuum sécurité-développement, pour lequel il s’est déplacé au Mali pendant une semaine en novembre. Il a pu rencontrer des protagonistes du sujet à N’Djamena, à Gao et à Bamako.
Avec quels enseignements revenez-vous du Mali ?
Dans les zones entourant Gao, l’État malien n’est parfois plus présent du tout, préfets et sous-préfets refusent d’y aller car ils se considèrent en insécurité. Il n’existe pas de forces de sécurité sur place, or ces forces doivent être forcément maliennes : si c’est Barkhane qui s’en charge, on pourrait être pris pour une force d’occupation. Il faut travailler sur la gouvernance et la sécurité pour que le développement puisse se faire. Il est important de bien définir le périmètre des responsabilités de chacun. Barkhane est là pour les djihadistes, pas pour faire de la sécurité intérieure.
Si nous n’étions pas là, et sans le sacrifice des soldats français, qu’en serait-il de l’Afrique ?
Un État islamique serait installé. Leur sacrifice est donc utile, ils ont servi la France. En tête-à-tête, les autorités maliennes reconnaissent que, seules, elles n’y arriveront pas. Au Mali, on trouve des affrontements entre groupes ethniques, entre agriculteurs et éleveurs, avec des enjeux qui se confrontent, et des trafiquants. La MINUSMA est une force de paix qui doit éviter les confrontations avec les parties. Il faudrait déjà que ses militaires soient bien présents sur le terrain. On constate des améliorations mais, pour certains pays de la MINUSMA, l’engagement sur le terrain n’est pas évident. Certaines unités restent trop enfermées dans leurs forteresses, et ne vont pas assez sur le terrain. Cela ne veut pas dire que la MINUSMA n’est pas un bon outil, mais on trouve des choses à améliorer. Déjà, il faudrait que chaque pays se déploie avec coeur et engagement. La MINUSMA accompagne la restructuration de l’État malien, qui a besoin d’être plus efficace. Barkhane a une mission de neutralisation de djihadistes.
La Task Force Takuba qui rassemblera une douzaine de pays européens vous semble-t-elle permettre d’inverser la vapeur de l’insécurité ?
Takuba est une très bonne initiative, elle rappelle l’initiative européenne d’intervention du président Macron [IEI], qui rassemble elle aussi une douzaine de pays. Ces réponses positives sont un indicateur plutôt positif, cela nous permettra d’avoir des forces en présence d’un bon niveau car c’est la caractéristique des unités de nos amis de l’Union européenne. D’autres pays n’ont pas d’expérience, mais ils vont monter en expérience grâce à Takuba. La Communauté européenne arrive sous un autre plan dans la neutralisation des groupes djihadistes, et c’est bien, car avant la France était seule.
C’est un vrai tournant ?
Si on met de l’argent sur le développement, il faut vérifier que les choses sont faites conformément. Il faut des objectifs faisables. Ce n’est pas à la France de le faire seule. À travers Takuba, on a un indicateur positif. Il faut travailler la sécurité intérieure dans tous les pays. Des casernes suffisamment solides pour résister aux attaques d’éventuels terroristes. Il faut travailler beaucoup plus sur le champ de la sécurité intérieure, les Maliens doivent déployer plus d’effectifs et d’efforts sur cette sécurité intérieure, car il n’y a qu’eux qui peuvent le faire.
L’insécurité n’a parfois rien à voir avec le djihadisme, mais avec les trafiquants, le banditisme, les heurts entre Peuls et Bambaras, etc.
Pour que Takuba fonctionne, il va falloir augmenter l’aéromobilité. Il faut qu’on travaille sur la sécurité intérieure. Il faut réfléchir au budget d’aide au développement. Que les gendarmes maliens aient des infrastructures plus structurées. Que le matériel arrive à destination. On a les outils sur place pour la formation avec EUTM. Il faut plus de cohérence de l’État malien.
Les POMLT de l’Afghanistan (des mentors issus de la gendarmerie) sont une solution également ?
Oui, des POMLT constituent une piste très intéressante. Nos gendarmes forment déjà des groupes d’intervention de la gendarmerie malienne. Cela fonctionne très bien. Mais le gros de la troupe qui passe par EUTM vient de partout, puis est ensuite redistribué partout. Il faut des formations par groupes constitués, et ensuite les accompagner. Aujourd’hui, le système de formation n’est pas efficient, malgré de bons formateurs.
Ce n’est pas le rôle des forces spéciales de faire la formation du soldat de base malien, EUTM est fait pour cela. Peut-on imaginer une réduction de voilure de Barkhane, compensée en parallèle par des moyens de mentoring plus importants ?
La diminution de voilure de Barkhane doit être en cohérence avec l’évolution du djihadisme. Pas sur l’insécurité ambiante qui est liée aux conflits ethniques et aux trafics. Je le redis, Barkhane n’a pas vocation à régler ce problème. Si le terrorisme se réduit, on peut réduire la voilure, et que Barkhane soit remplacée par les FAMa et les FS maliennes.
Quels sont les outils qui manquent sur place à Barkhane ?
De toute évidence, les blindés. On a envie qu’ils aient les Griffon. L’aéromobilité est un élément indispensable dans un territoire si grand, notamment les hélicoptères de manoeuvre. Quand j’étais sur place, un blessé par balles des FAMa a été pris en compte.
La chaîne santé est un de nos points de force, nous disposons d’un plateau technique d’un très haut niveau
Je le redis, Takuba est intéressant, car la mission de combat qui consiste à réduire les forces djihadistes ne peut pas être portée que par la France. Le niveau européen va plus haut. Nos partenaires européens sont d’autant plus motivés qu’avec la baisse de présence américaine dans l’OTAN, l’Europe peut exprimer ses intentions.
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