Attaques à l’IED, embuscades, retour des attaques terroristes en ville avec, de surcroît, un ciblage de l’ambassade de France à Ouagadougou : les premiers jours de 2018 montrent clairement que cette année sera décisive. Chaque camp veut marquer des points alors que la force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) monte en puissance et que la France donne un dernier coup de collier. Tout cela, avant l’arrivée de la saison des pluies et des scrutins électoraux.
On le savait, 2018 serait décisive au Sahel, car la France générait un surge d’effectifs et de moyens – toujours pas officialisé – tandis que le nouveau chef des armées demandait, logiquement, des résultats, après cinq ans de combats en bande sahélo-saharienne (BSS). Lancée sous la présidence précédente, la force conjointe du G5 Sahel n’a pas encore réussi à se consolider, même si son tour de table initial est enfin assuré (aux forceps), à un peu plus de 410 millions d’euros sur les 425 millions attendus. Encore faudra-t-il trouver en croisière les quelque 75 millions pour la financer chaque année. Et bien plus, s’il y a des pertes nombreuses en hommes et en matériel dans cette force de circonstance de 5 000 hommes, à laquelle concourent les cinq pays du G5 Sahel. Une force qui reste fragile et toujours potentiellement soumise à des réactions nationalistes : la population du Burkina Faso pourrait, par exemple, trouver plus logique que son armée la protège à Ouagadougou qu’à Tessalit.
Cette force a gagné des points et de la confiance en interne, mais ce qui importe à Paris, c’est aussi de marquer des points contre les chefs djihadistes, qui tiennent les réseaux. A cet égard, février a été plutôt un bon mois.
La frappe numéro un
En décembre, Sabre avait déjà connu une opération de feu intense (un Caracal avait récolté du plomb lors de l’assaut), mais c’est dans la nuit du 13 au 14 février, entre Boughessa (Mali) et Tin Zaouaten (Algérie), que la task force a réussi une de ses plus belles opérations : un « raid d’opportunité » déclenché en quelques heures sur la base d’un renseignement fiable a ciblé près de la frontière algérienne plusieurs cadres de haut niveau de groupes armés terroristes (GAT), issus, pour ce que l’état-major des armées (EMA) en a dit par la suite, d’Al-Mourabitoune et d’Ansar Dine. L’état-major français avait-il autant de détails sur la qualité de ses cibles ? Impossible à dire sur la base de ce qu’il a laissé filtrer. Mais au vu des moyens qui sont rapidement rameutés, il est dur d’en douter. Puisque, en effet, deux bases de chasse de la BSS, N’Djamena et Niamey, font chauffer leurs Mirage 2000. Il va falloir frapper simultanément plusieurs points (dont, apprendra-t-on par la suite, deux campements) ; là aussi, il n’est pas sûr que le nombre était totalement défini au départ. Avantage des jets : ils offrent de nombreuses options de tir. Dans la formation, de purs bombardiers (Mirage 2000D) et sans doute au moins un, voire deux Mirage 2000C pourvus de canons de 30 mm et de bombes guidées. Le 30 mm permet un tir plus chirurgical qu’une bombe guidée laser. Les Mirage 2000D sont, quant à eux, les seuls dans la BSS à pouvoir guider des bombes laser (GBU-12) ou GPS (GBU‑49) grâce à des pods de ciblage placés sous leur fuselage. Un drone Reaper peut aussi désigner une cible au laser pour une bombe guidée ou livrer les coordonnées GPS d’un objectif fixe. Au moins un avion de ravitaillement en vol C-135FR s’est chargé d’assurer le soutien en carburant des chasseurs, pour progresser de Niamey (et peut-être de N’Djamena si l’avion ou les avions venus du Tchad n’ont pas pris le temps de desserrer à Niamey).
La précision de frappes n’est pas un vain mot, puisque, selon l’agence France Presse, qui a recueilli les déclarations d’une source locale, l’opération se serait déroulée dans un oued à seulement 900 m de la frontière algérienne, à Inaghalawass.
En vol aussi, un ou plusieurs moyens ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance). Mais la zone d’action est complexe, car elle est proche de la frontière algérienne, et les transmissions satellites n’y sont pas toujours optimales. De quoi handicaper, potentiellement, les drones Reaper de l’escadron 1/33 « Belfort » et, partiellement, les ISR pilotés de la Direction du renseignement militaire (DRM) œuvrant au profit de Sabre et de Barkhane. Ils peuvent néanmoins travailler en dégradé, en transmettant leur production et leurs observations. Autre possibilité : un moyen ISR interne au COS sur Transall ou Hercules, mis en œuvre par l’escadron de transport 3/61 « Poitou ».
S’il y avait vraiment plusieurs convois ou plusieurs sites à surveiller, il fallait sûrement plusieurs moyens ISR affectés.
Pourquoi préférer de frapper d’abord avec la chasse ? Manifestement, pour éviter une fuite des GAT et leur dispersion aux quatre vents, le temps que la cavalerie arrive. La description faite de l’opération par l’EMA évoque, en effet, une durée d’environ 45-50 minutes entre les premiers tirs et l’arrivée des commandos. Deux Tigre ainsi qu’une Gazelle Viviane ont été engagés, mais on ne sait pas s’ils ont participé activement à des combats, le communiqué du chef d’état-major des armées mentionnant des « assauts héliportés […] exploitant les frappes aériennes » dans une phase apparemment distincte. Des commandos, vraisemblablement du 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine (1er RPIMa), ont été infiltrés par des hélicoptères de manœuvre, dont le nombre et le type n’ont pas été dévoilés. Leur point de départ pourrait être Tessalit. On ignore si des combats d’infanterie ont eu lieu à ce moment-là, même si l’EMA a parlé d’un « engagement au sol », sans donner plus de détails. Mais la phase d’exploitation a pris « plusieurs heures », a expliqué l’EMA à RAIDS, sans doute pour identifier formellement les groupes concernés et, éventuellement, les cadres (qui portent rarement des passeports sur eux…). L’EMA a évoqué aussi la prise d’armes légères, de munitions et de documentation, sans préciser plus avant. C’est la récupération d’un drapeau qui aurait permis d’attester de l’appartenance à Ansar Dine, ainsi que sans doute des éléments de propagande et de la documentation opérationnelle.
Les autorités locales ont d’abord annoncé la mort d’une dizaine de « terroristes » et la capture de 14 autres, sans les identifier, avec une seule exception, Malick Ag Wanasnat, proche de Iyad ag Ghali et ancien militaire malien, déserteur en 2006. Il s’était hissé jusqu’à l’état-major d’Ansar Dine. Autre cadre de haut niveau, Mohamed Ould Nouini, alias Abou Hassan al-Ansari, était le représentant du « Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans » (JNIM) dans la région de Gao, après avoir œuvré chez Al-Mourabitoune, le groupe de Mokhtar Belmokhtar.
Ce n’est que le 16 février que le chef d’état-major des armées diffusera un communiqué félicitant les participants de l’opération, et identifiant les djihadistes répartis en deux groupes distincts. Le Président lui-même le fera plus tardivement, lors d’une réunion à Bruxelles. Le nombre final est enfin évoqué : 23 terroristes tués ou capturés.
Déjà, dans la nuit du 23 au 24 octobre, l’EMA avait revendiqué un autre raid nocturne sur un groupe présenté comme appartenant à Ansar Dine, et comportant un des lieutenants de Iyad Ag Gali, en plus de 14 « terroristes ». « Ismaël » était apparemment un des formateurs de ce centre pour djihadistes débutants, un spécialiste, entre autres, du tir au mortier. L’opération, qui s’était déroulée dans la zone d’Abeïbara, avait fait polémique, des voix évoquant, au Mali, des tirs contre des militaires maliens retenus prisonniers. In petto puis publiquement, les forces françaises avaient maintenu leur position d’avoir bien frappé un « groupe terroriste ». Expliquant, sans produire d’images, qu’une longue production en matière de renseignement permettait d’être aussi péremptoire.
L’action des hélicos et des GCP
Le 17 février, ce sont cette fois quatre hélicoptères (deux Tigre, une Gazelle, un Puma) du groupement tactique désert-aérocombat (GTD-A) Barkhane et des commandos parachutistes (GCP) de la 11e brigade parachutiste qui en dépendent qui sont mis à contribution à 100 km dans le sud-est de Gao, soit au nord de la zone des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso). Les Français agissent une nouvelle fois sur renseignement, et se déploient au sol, sous appui des hélicoptères. Ils ont fait mouche, puisque le combat commence dans la foulée. Selon l’EMA, s’ensuit un « combat de deux heures » au sol permettant la neutralisation d’une « dizaine de GAT » et la destruction de pick-up et de motos. L’EMA ne se hasarde pas, sur cette opération, à évoquer la provenance des GAT, mais la zone renvoie à l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), formé par Adnane Abou Walid al-Sahraoui et qui a prêté allégeance à Daech. Il a notamment revendiqué une attaque contre un convoi français le 11 janvier. Aucune photo n’est produite de ces combats.
Le 22, quatre autres membres présumés de l’EIGS, peut-être des « gros poissons », sont apparemment interpellés. Mais l’essentiel du travail aurait été réalisé par une milice locale, non affiliée à l’Etat malien. La nasse se serait refermée néanmoins sur le vide, on évoque même l’évasion (à pied) d’un ou de plusieurs chefs. L’EMA ne confirme alors aucun bilan.
Le 21 février, Barkhane est en opérations dans le Gourma. Il s’agit d’une classique opération de contrôle de zone, expliquera par la suite l’EMA. Une fois de plus, la force française (comme ses homologues des forces armées maliennes ou de l’ONU) subit une attaque par un engin explosif qui cible le véhicule blindé léger du chef de corps du groupement tactique interarmes (GTIA) impliqué.
Le chef de bord et le pilote, en charge de sa protection, sont tués (voir « In memoriam » en début de ce numéro), et le chef de corps est blessé. Le colonel François-Xavier Heon ne pourra reprendre son poste à la tête de son GTIA ; il sera remplacé par le colonel Steve Carleton, chef de corps du 2e REI. Après de multiples attaques d’équipes médicales, depuis neuf mois, et qui n’ont rien du hasard, la question se pose, à son tour, pour celles-ci. Les VBL de commandants de GTIA ont des caractéristiques connues, un espion des GAT peut aussi avoir vu le « chef des Français » monter à bord d’un engin portant un numéro, une plaque minéralogique, un détail qui le trahit… Pas forcément besoin non plus d’être un expert en mines pour mesurer que les VBL sont les plus fragiles dans le combat contre les engins explosifs improvisés. Là où les mieux pourvus sont les VBCI (peu déployés), les Aravis (réservés aux démineurs) et les VAB Ultima (infanterie et génie) qui ne concernent pas tout le parc déployé à Barkhane. Les PVP sont réputés pour bien protéger, selon l’EMA.
L’ambassade ciblée
Le 2 mars dernier, une attaque vise l’ambassade de France à Ouagadougou, vers 10 heures du matin. Cinq individus armés cherchent à entrer dans l’enceinte diplomatique, mais ils butent sur les gendarmes affectés à la protection et restent dans la rue. Les mesures de protection ont manifestement bien joué, comme les réflexes des militaires. Les forces de sécurité intérieure réagissent, mais doivent se disperser en deux groupes, car parallèlement l’état-major général des armées (EMGA) est lui aussi ciblé, et là, les assaillants entrent à l’intérieur de l’enceinte, provoquant une belle débandade.
Pendant ce temps, des moyens de Sabre sont déclenchés : deux task units du CPA 10 et des commandos marine. Manifestement, le volume mobilisé montre qu’au moins une autre opération avait lieu ailleurs en BSS. En effet, le déploiement ne concerne qu’un Caracal de l’EH 1/67 « Pyrénées » (qui embarque les marins) et un Cougar de l’EOS 1 du 4e RHFS (chargeant le CPA 10), soit à peine un tiers des hélicoptères de manœuvre. Les appareils ont déposé les commandos sur un boulevard.
Un groupe action avec un binôme cynophile (vraisemblablement le CPA 10) est aperçu à la télévision locale progressant vers l’ambassade après avoir été infiltré par ces hélicoptères. A Paris, le chef des armées suit de près ces événements rarissimes – malgré son exposition internationale, la France est rarement attaquée jusque dans ses ambassades – grâce à un soutien ISR constitué d’un avion léger doté de cette capacité et d’un drone Reaper. On ignore combien de temps et dans quel ordre ces appareils ont servi.
Des commandos de Sabre sont restés au moins toute la journée sur place afin d’assurer la sécurité de l’ambassadeur et du personnel diplomatique. On peut estimer que de telles ambassades ont désormais des safe rooms (pièces sécurisées). Il est vraisemblable aussi que la sécurité de l’Institut de France, ciblé en même temps que l’ambassade de France, a dû être prise en compte par Sabre. Les commandos ont regagné leur base en fin de journée par un autre moyen que les hélicoptères.
Aucun Français (militaire ou civil) n’a été blessé, tué ou enlevé, mais, par principe, la section antiterroriste du parquet de Paris a ouvert une enquête. A ce stade, on ignore quel était le projet des assaillants : seulement tuer le plus d’occupants de l’ambassade, ou transformer l’opération en une prise d’otages ?
Au total, 16 morts (dont neuf classés parmi les assaillants, et sept membres des forces de sécurité intérieure) sont dénombrés à la fin de la journée, et presque trois fois plus de blessés. Certes, tous les terroristes ont été neutralisés, mais ce bilan terrible résonne comme une forme d’impunité des GAT à frapper. Tous les assaillants, ou présentés comme tels, sont étonnamment jeunes. Les photos prises ce jour-là montrent des porteurs de sacs à dos, et de bouteilles remplies de liquide jaunâtre qui pourrait être de l’essence.
En fait, la capitale du Burkina Faso est, de tout le Sahel, la plus démunie en moyens de sécurité. C’est donc la plus facile à frapper (et la récurrence des attaques le démontre). En plus, cette zone est sujette à une escalade d’attaques entre le JNIM (issu de la fusion des principaux GAT sahéliens), qui a revendiqué la double attaque de Ouagadougou, et l’EIGS (la franchise locale de Daech, qui opère plutôt dans la zone des trois frontières). La situation politique n’est pas simple non plus, on l’a vu lors du passage d’Emmanuel Macron en novembre dernier, et les Français ne sont pas forcément bien vus sur place. Le fait qu’une attaque ait pu se dérouler en toute impunité, malgré la présence de forces spéciales, est un coup dur en termes d’image pour la France. Même s’il est évident que ce ne sont pas une demi-douzaine de groupes action qui peuvent tout régler dans la BSS, et encore moins, dans le seul Burkina Faso. La vocation de Sabre n’est pas, d’ailleurs, d’y réaliser une astreinte de contre-terrorisme : c’est le métier des forces de sécurité intérieure du Burkina Faso.
Autre facteur, ces attaques à répétition risquent d’appauvrir le pays, qui n’est déjà pas dans une situation facile. Depuis janvier 2016, pas moins de quatre attentats ont été dénombrés sur place, et ils ont été en partie résolus grâce à la présence de Sabre à proximité. En janvier 2016, dans la capitale, le restaurant Le Cappuccino et l’hôtel Splendid avaient été frappés par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Le bilan avait été terrible : 30 morts et 71 blessés. Le 13 août 2017, une autre attaque avait fait 19 morts dans et autour d’un café-restaurant de Ouagadougou. Parmi les victimes, au moins sept locaux et huit étrangers : un Français, une Canadienne, un Nigérian, un Sénégalais, un Libanais, un Turc et deux Koweïtiennes. Deux des terroristes avaient été tués. Enfin, peu de temps avant la visite officielle d’Emmanuel Macron, en fin d’année, un bus transportant des militaires français avait été ciblé par un jet de grenade. Personne n’avait été blessé. Mais les moyens déjà importants consacrés à la protection présidentielle avaient été relevés d’un cran, avec encore plus de commandos de Sabre, des astreintes sur des hélicoptères d’appui et d’extraction, et vraisemblablement un appui renseignement aérien. Avec une échelle un peu plus réduite, le reste de la visite du Président en Afrique de l’Ouest (notamment en Côte d’Ivoire, qui a aussi été ciblée par le terrorisme) avait bénéficié d’un important renfort (du RAID et, dans une moindre mesure, du GIGN).
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Jean-Marc TANGUY
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