Eléments de reconnaissance avancée, les éclaireurs-patrouilleurs (ou Patrol Pathfinders) sont les premiers yeux de l’armée en terrain hostile. Méconnus, y compris au sein des Forces armées canadiennes (FAC), ces soldats hautement spécialisés ne sont pas regroupés en unité autonome, mais dispersés au sein des formations régulières de l’armée de terre, ce qui contribue non seulement à leur déficit de notoriété, mais aussi à leur sous-emploi. Pourtant, leurs performances lors des exercices révèlent une expertise hors normes, fruit d’une instruction considérée comme la plus dure de toute l’armée canadienne. Après cinq ans de sommeil, le cycle de formation des éclaireurs-patrouilleurs a été réactivé en 2011.

Les unités de Pathfinders remontent à la Seconde Guerre mondiale ; c’étaient, à l’origine, des parachutistes dont la mission principale était le marquage des zones de largage (ou DZ). Leurs compétences se sont élargies à toutes les missions de reconnaissance au cours des années qui suivirent. 

Dans l’armée canadienne, la capacité d’éclaireur-patrouilleur (EP) était l’apanage du régiment aéroporté, jusqu’à sa dissolution en 1995 (voir encadré p.64). Aujourd’hui, cette spécialisation est ouverte à tous les candidats issus de l’armée de terre. Une seule condition : être breveté parachutiste. Ainsi les meilleurs éléments sont invités à suivre la formation des éclaireurs-patrouilleurs délivrée par le Centre de guerre avancée de Trenton (Ontario). S’ils réussissent les épreuves, ils auront le droit de porter l’insigne des EP, le flambeau, dont la symbolique est éloquente : les ailes soulignent l’héritage aéroporté du Pathfinder et la flamme représente le commandement et l’autorité. « Les soldats qui ont achevé l’instruction portent avec fierté le Pathfinder Torch comme un symbole d’excellence. Peu importe leur fonction au quotidien, un fort leadership et un niveau d’excellence sont exigés de ces soldats », écrit Ross Lees, en octobre 2013, dans Contact, la revue de la base militaire de Trenton. 

Une fois brevetés, les soldats seront réintégrés au sein des forces conventionnelles où ils formeront en général une section de l’unité de reconnaissance de chaque bataillon d’infanterie.

Leur principale mission : la reconnaissance

 

Selon la doctrine des Forces armées canadiennes, un éclaireur-patrouilleur est un expert en techniques d’insertion et d’extraction par voie aérienne, terrestre ou maritime. Il doit pouvoir reconnaître et préparer des zones de largage, des zones d’atterrissage, des plages et des terrains d’atterrissage tactiques, avant l’arrivée des forces de deuxième échelon. Les éclaireurs-patrouilleurs doivent être furtifs, ils n’ont pas à engager le combat, leur mission principale demeure la reconnaissance. Ils doivent être capables de se déployer rapidement et discrètement dans des environnements hostiles. Déposés sur zone à partir de bateaux rapides, de sous-marins, d’hélicoptères ou bien largués en parachute, il leur faut être le plus furtif possible pour recueillir et transmettre le maximum d’informations, car la réussite d’une opération d’envergure dépend en premier lieu du renseignement. 

Les éclaireurs-patrouilleurs canadiens n’appartiennent pas aux forces spéciales, bien que leur instruction, leurs tactiques, leurs techniques et certains éléments de leur équipement s’y apparentent. Ce sont des soldats ayant fait l’objet d’une sélection sévère et qui ont bénéficié d’une formation spécifique. Ils comblent ainsi le fossé existant entre les unités régulières de l’armée canadienne et ses forces spéciales. D’une manière générale, ils sont très semblables aux GCP (groupement des commandos parachutistes) de l’armée française, tant au niveau de leur formation que de leurs compétences et leur doctrine d’emploi.

Les opérations extérieures récentes ont démontré la nécessité pour l’OTAN de s’adapter à un type de guerre asymétrique pour lequel l’Alliance n’avait pas été initialement conçue. Pour sa part, l’armée canadienne, ayant tiré les leçons de l’Afghanistan, a élaboré un guide stratégique intitulé Opérations terrestres 2021 dans le but de se préparer aux conflits à venir. Dans ce document d’une cinquantaine de pages – d’une lecture un peu fastidieuse, avouons-le – est défini le concept des « opérations adaptables et dispersées » (OAD). Il est précisé : « Dans ce cadre, on emploie des forces extrêmement adaptables et dispersées […] dans tout l’espace de bataille, dans le but de créer et d’exploiter des occasions, de maîtriser la cadence des opérations et de confondre l’adversaire dans sa compréhension de l’espace de bataille. » Dans leur rôle de force de reconnaissance avancée, face à un ennemi défini comme « habile, adaptable, muni d’outils technologiques et résolu à exploiter la nature complexe du conflit », les éclaireurs-patrouilleurs, en raison de leur mobilité, leur furtivité, leur souplesse et leur autonomie, sont parfaitement préparés à ce combat d’un type nouveau. Ces soldats d’élite possèdent la faculté d’adaptation que les Forces canadiennes ont identifiée comme étant la clé de l’OAD et de la guerre du futur. Une fois déployés, ils doivent être en mesure de recueillir des renseignements sur les forces adverses, sécuriser les positions et obtenir des conditions favorables à la progression d’une troupe plus importante. Ils sont un outil essentiel pour les commandants d’unités conventionnelles qui ont besoin d’appréhender sans délai la situation exacte sur leur zone d’opérations. 

Bien que les éclaireurs ne soient pas encore utilisés à leur plein potentiel dans les opérations extérieures, leurs savoir-faire lors d’exercices à grande échelle sont éloquents. Au cours de l’édition 2008 de l’exercice Trillium Response, ils ont reconnu une piste d’atterrissage près de Moosonee (Ontario) avant l’arrivée des CC-130 Hercules de la force principale, ils ont communiqué l’information au commandement et assuré la sécurité pendant le débarquement des troupes. Pour l’exercice naval Trident Fury 2013, les éclaireurs-patrouilleurs ont été infiltrés par air et par mer, où ils se sont joints aux plongeurs de la Marine royale canadienne afin de sécuriser un site de plage en vue d’opérations d’insertion et d’extraction, et ont délimité une zone pour installer une équipe de tireurs d’élite. 

Apprendre à se dépasser

 

Les éclaireurs-patrouilleurs sont formés au Centre d’instruction supérieure en guerre terrestre des Forces canadiennes, basé sur le site de la 8e escadre aérienne, à Trenton (Ontario). On y dispense l’instruction parachutiste, de livraison par air, de guerre en hiver, de guerre en montagne et d’éclaireur-patrouilleur. La base de Trenton bénéficie d’une large gamme d’équipements d’entraînement, notamment des murs intérieurs pour la pratique de l’escalade, ainsi que de tunnels pour l’apprentissage du combat souterrain. Le lac Ontario, que borde la base, est un plan d’eau idéal pour les nombreux exercices amphibies. Le Centre accueille environ 1 000 stagiaires chaque année, toutes spécialités confondues. 

La formation des éclaireurs-patrouilleurs est ouverte aux militaires de carrière déjà spécialisés et brevetés parachutistes ; elle fait partie de ce que les FAC définissent comme « l’instruction avancée », soit le plus haut niveau de qualification pour un soldat. D’une durée de huit semaines, elle est très sélective : en général, plus de la moitié des stagiaires sont éliminés avant la fin, victimes de blessures ou d’épuisement. A titre d’exemple, en 2013, sur 33 candidats qui ont commencé le cours, 17 se sont rendus à l’épreuve finale à Halifax et seuls 14 ont obtenu leur insigne, le prestigieux flambeau des éclaireurs-patrouilleurs. Autre exemple : le journal de la communauté militaire du Québec, Adsum, rapporte que 39 des meilleurs soldats du Royal 22e Regiment ont subi une présélection du 5 au 9 mai 2017, en vue de déterminer ceux qui seraient prêts à suivre la formation d’éclaireur-patrouilleur. Sur les 39 volontaires, 17 ont vu leur candidature retenue et 9 d’entre eux ont été admis au cours de Pathfinders qui s’est déroulé à l’automne, tandis que les 8 autres ont été inscrits pour celui de l’année suivante. Au cours de ce stage préalable, les stagiaires ont vu leurs ressources mises à très rude épreuve. Privation de sommeil et de nourriture et marches épuisantes en portant 50 kg d’équipement étaient notamment au programme. « On leur fait subir en une semaine ce qu’ils auront à subir lors du vrai cours, qui dure deux mois. S’ils n’endurent pas une semaine, ils ne passeront pas à travers les deux mois », conclut avec bon sens l’adjudant Yan Boursier, maître tireur d’élite et instructeur des futurs éclaireurs-patrouilleurs.

Comme la formation est de courte durée, elle est d’autant plus intense et requiert une forme physique et mentale exceptionnelle. Les futurs éclaireurs-patrouilleurs n’ont pas le temps de souffler, ils sont sans arrêt sous pression, enchaînant les exercices. Les instructeurs, eux, sont clairs quant à leurs exigences : « Etant donné le rôle d’élite qu’ils jouent dans les bataillons, mon personnel et moi‑même avons la responsabilité de nous assurer qu’ils respectent les normes les plus élevées », a indiqué le capitaine Cullen Downey, directeur de l’instruction à Trenton. « Le cours de Pathfinders est le plus difficile des Forces canadiennes », martèle, de son côté, l’adjudant Boursier. Et ce ne sont pas des fanfaronnades ! Le programme comprend l’apprentissage de toutes les techniques d’infiltration et d’exfiltration par voies aérienne, maritime et terrestre. Ils apprennent comment s’introduire, survivre et évoluer en milieu hostile et deviennent en un temps très bref des experts des déploiements dans des environnements inconnus avant l’arrivée des forces de combat. Outre l’aspect purement technique, la formation insiste sur les capacités physiques et psychologiques des stagiaires qui sont amenés à se dépasser. Comme ils doivent s’attendre à effectuer des incursions profondes en territoire ennemi, les aspirants éclaireurs vont devoir acquérir des connaissances approfondies en techniques de survie, d’évasion, de résistance et de fuite (SERF). Ils doivent pouvoir élaborer un plan d’évasion et être en mesure de résister aux interrogatoires en cas de capture. Ils y sont, en tout cas, bien préparés.

Le cours d’éclaireur-patrouilleur dans sa version 2011 est articulé en trois modules progressifs. Le premier, intitulé « opérateur d’insertion et d’extraction », démarre par une évaluation et un approfondissement des connaissances en orientation. A l’issue, les Pathfinders sont soumis à un entraînement intensif aux techniques d’insertions terrestres, amphibies et aériennes (aérocordage, chute libre, vol en tandem, posers d’assaut…). Le module s’achève par les techniques de survie et d’évasion. Ces premières semaines sont déterminantes, elles conditionnent l’admission du candidat aux modules suivants. 

Le deuxième module, « opérateur Pathfinder », est davantage axé sur les transmissions, une compétence essentielle pour des éclaireurs chargés d’opérations en profondeur. Les stagiaires apprennent à opérer avec des plateformes de communication de haute technologie. Enfin, ce module 2 leur apprend à établir et sécuriser des zones d’insertion. A ce stade, les Pathfinders commencent leurs évaluations.

Le troisième module, « leader Pathfinder », comprend la phase d’évaluation des candidats. Les éclaireurs doivent être en mesure d’acquérir du renseignement, d’informer l’échelon supérieur, d’assurer la coordination avec les ressources aériennes et navales, d’analyser des missions, de rédiger et de transmettre des ordres, et enfin, de diriger des missions d’insertion et d’extraction.

Quel avenir pour les éclaireurs-patrouilleurs ?

 

Devenir éclaireur-patrouilleur, pour un soldat canadien, se résume à acquérir une spécialité (les Canadiens préfèrent parler de capacité), mais non pas à intégrer un détachement de spécialistes. De ce fait, les compétences particulières qu’ils ont acquises au prix d’efforts considérables sont insuffisamment exploitées. Bien que leur expertise soit avérée et qu’ils aient démontré leur efficacité au cours d’exercices et, pour certains, en opérations, notamment en Afghanistan, l’absence de peloton de reconnaissance du type Pathfinder au sein des FAC limite leur action et peut constituer un frein à leur motivation. On peut légitimement penser qu’il est dommage que des soldats formés à ce niveau ne soient pas mieux employés. C’est la réflexion que mènent certains cadres de l’armée de terre. Ainsi, dans un article publié en 2013 dans la Revue militaire canadienne, deux officiers, le capitaine Downey (cité plus haut) et le capitaine Deshpande, interpellent leurs autorités de tutelle en formulant des recommandations concernant l’emploi des éclaireurs-patrouilleurs. Pour s’assurer qu’ils sont utilisés de façon optimale, écrivent les auteurs, il serait nécessaire que les Forces canadiennes créent une unité permanente d’éclaireurs-patrouilleurs au niveau de la brigade ou de la division. Une telle formation serait, certes, restreinte en effectifs – le stage d’éclaireurs-patrouilleurs ne sort qu’une dizaine de brevetés par an – mais cela leur permettrait d’acquérir de meilleures pratiques, au-delà des compétences acquises durant leur formation. Par ailleurs, les Forces armées canadiennes devraient envisager d’adopter un concept d’emploi de la force plus lisible, qui visiblement leur fait défaut. Cela préciserait quelles fonctions sont assignées aux éclaireurs et dissiperait la confusion entourant les rôles de reconnaissance dans l’armée canadienne. Ces dispositions seraient ainsi en harmonie avec celles en vigueur chez la plupart de leurs alliés de l’OTAN. L’armée britannique, pour ne citer qu’elle, dispose d’un peloton Pathfinder, une unité de reconnaissance spécialisée, intégrée dans la composante aéroportée de l’armée de Sa Majesté, la 16e brigade d’assaut aérien. Ses hommes ont servi au Kosovo, en Sierra Leone, en Afghanistan et en Irak, où ils ont démontré leur efficacité dans des missions de reconnaissance et de sécurisation de zones. 

En pleine réflexion sur l’emploi, l’organisation et la structure de la composante terrestre des FAC, les Canadiens, actuellement engagés en Irak dans les opérations contre Daech, devraient trouver à leurs éclaireurs-patrouilleurs un cadre d’emploi en adéquation avec leur haut niveau de professionnalisme et répondant aux exigences des conflits du nouveau siècle. 

Publié le

Texte

Michel VIAL

Photos

Combat Camera