Le retour de l’obusier de 105/14 mm Mod. 56. Deux importants exercices tactiques menés par l’armée italienne, fin 2019, ont permis de faire le point sur le programme de réintroduction du célèbre obusier Oto Melara 105/14 Mod. 56 au sein de l’Esercito Italiano.

À l’occasion du récent exercice tactique Laran 2019, qui s’est tenu dans le centre de l’Italie, sur le polygone de Monte Romano, au nord de Rome, la brigade alpine « Taurinense », plus précisément le 1er régiment d’artillerie de montagne, a déployé pour la première fois des obusiers Mod. 56 de 105 mm 14 calibres.
Cette pièce d’artillerie légendaire, produite par Oto Melara à plus de 2 600 exemplaires et adoptée par une trentaine de forces armées de par le monde (voir encadré p.65), avait été retirée du service dans l’armée italienne il y a déjà plus d’une quinzaine d’années, officiellement en mai 2004. Elle céda sa place au mortier lourd français TDA de 120 mm RT-61-120 au sein des unités d’appui feu des troupes de montagne, aujourd’hui constituées des deux grandes unités opérationnelles, les brigades alpines « Julia » et « Taurinense », et des troupes aéroportées, en l’occurrence la brigade parachutiste « Folgore ». 

La réintroduction dans l’Esercito Italiano du Mod. 56, dont de nombreux exemplaires sont toujours stockés à Grosseto, en Toscane, avait été envisagée en 2016, mais c’est seulement en novembre dernier que les premières pièces rénovées ont été déployées pour un exercice à tir réel, avec pas moins de 200 obus HE tirés dans le cadre de Laran 2019. La plupart des unités de la « Taurinense » ont été impliquées dans cet exercice tactique dit full spectrum. En effet, outre le 1er régiment d’artillerie de montagne, basé normalement à Fossano,
des compagnies du 3e régiment alpini de Pinerolo, du 1er régiment de cavalerie « Nizza Cavalleria » de Bellinzago Novarese (équipé de blindés roues-canon Centauro B1), du 32e régiment de génie d’assaut de Fossano et du 1er régiment logistique de Rivoli Torinese ont manœuvré dans un environnement bien différent des montagnes piémontaises auxquelles sont habituées les unités de la « Taurinense » (à l’exception du 9e régiment alpini de l’Aquila, dans les Abruzzes, toutes ces unités sont basées dans le Piémont, dans le nord-ouest de l’Italie). 

L’exercice Laran 2019 a permis de tester la préparation des unités de la « Taurinense » dans des scénarios différents (tant de jour que de nuit) : tactiques de progression en terrain hostile, prise d’assaut de points clés, appui feu et tirs de contre-batterie, etc. Il a aussi vu le déploiement et la mise en œuvre des 105/14 Mod. 56 dans le rôle « d’obusiers d’assaut », ainsi que des chenillés BV-206 en milieu non enneigé. À noter que cette dernière plate-forme articulée n’a pas été utilisée uniquement en tant qu’engin tactique de transport de troupes : grâce aux protections balistiques additionnelles et au système d’armes (notamment antichar courte/moyenne portée équipant la version S7),
le BV-206 sert aussi de véhicule de combat d’infanterie, en mesure d’appuyer les fantassins une fois débarqués. Comme l’a souligné le commandant de la brigade « Taurinense », le tout-terrain BV-206 S7
a été testé également comme engin de traînage et de déploiement des 105/14 au plus près de la ligne de contact pour des tirs directs, fournissant un appui feu immédiat aux troupes sur le terrain,
ainsi que comme véhicule blindé d’accompagnement des pelotons de reconnaissance du 1er régiment de cavalerie « Nizza Cavalleria » sur Centauro B1 pour permettre aux unités d’infanterie de
« coller » au plus près à la manœuvre. Cette tactique,
testée pour la première fois sur le terrain en combinant deux types d’engins diamétralement différents de par leur emploi et leur vitesse, a été baptisée « cuneo rovesciato » (littéralement : pointe renversée), a expliqué le colonel Matteo Rizzitelli, commandant le « Nizza Cavalleria ». 

Par ailleurs, signalons que des éléments organiques de ce régiment blindé léger ont participé aussi,
en novembre dernier, à l’exercice multinational Scorpion Legacy 2019, qui s’est déroulé à Cincu,
en Roumanie, où ils ont manœuvré de concert avec le 20e bataillon d’infanterie roumain, une compagnie portugaise et une compagnie polonaise. 

Les 105/14 donnent de la voix 

Laran 2019 n’a pas été le seul exercice tactique à avoir vu le retour sur le terrain du 105/14. Quelques semaines plus tard, fin novembre dernier,
une autre unité d’artillerie de montagne, rattachée à la brigade alpine « Julia », a utilisé pour la première fois ces obusiers Mod 56. Il s’agit plus précisément du 3e régiment d’artillerie de Remanzacco, petite commune du Frioul-Vénétie julienne, dans le nord-est de l’Italie, où sont basées toutes les autres unités de la brigade « Julia », qui a déployé ses 105/14 dans le cadre de l’exercice Abbey Road. 

Pendant pas moins de deux semaines, une batterie de ce régiment a participé à la plupart des entraînements menés, en milieu enneigé, pour l’essentiel par les compagnies de combat et la compagnie mortiers du bataillon « Tolmezzo » appartenant au 8e régiment alpini de Venzone, province d’Udine, et par le 2e régiment de génie d’assaut de Trente, région du Trentin-Haut-Adige, notamment sa composante spécialisée ACRT (Advanced Combat Reconnaissance Team), chargée de reconnaître et de dépolluer les axes de progression. Outre les obusiers de 105 mm Oto Melara du 3e régiment d’artillerie, les mortiers de 81 et 120 mm de la 115e compagnie « La Tormenta » du bataillon « Tolmezzo » ont donné de la voix à plusieurs reprises pour fournir l’appui feu aux unités d’infanterie lors des assauts simulés et des prises de contrôle de sites, menés contre des positions fortifiées du polygone de Rivoli Bianchi, situé à Venzone. 

Au cours de cet exercice, plusieurs autres activités ont été organisées par le Comando Truppe Alpine (COMALP) pour évaluer le savoir-faire des « Piume Nere » (« Plumes noires », surnom des chasseurs alpins italiens), en matière de combat en milieu géographique et climatique adverse. Ainsi ont-ils alterné les patrouilles à long rayon sur terrain difficile et enneigé et les activités dites winter survivals, par des températures négatives (jusqu’à – 15°C),
en passant par le tir de précision longue distance et les techniques de camouflage pour les binômes snipers-observateurs. À noter que durant cet exercice ont été testés également les nouveaux skis pliants du fabricant slovène Elan, assortis de leurs bâtons télescopiques. Déclinés en deux longueurs différentes, 162 et 170 cm (91,5 et 93,5 cm lorsqu’ils sont repliés) pour un poids respectif de 1,51 et 1,58 kg, ces skis peuvent être transportés soit dans un sac à dos, soit attachés sur le sac, latéralement, en même temps qu’un fusil d’assaut, réduisant du même coup l’encombrement que ce type d’accessoire peut générer pour un fantassin évoluant en montagne et/ou en milieu arctique.

Quel futur pour le Mod. 56 ? 

À l’heure actuelle, l’Esercito Italiano n’envisage pas de réintroduire le 105/14 dans toutes ses unités d’artillerie. Loin de là, puisqu’il est question de remettre en service, après révision et mise à niveau, seulement 25 pièces sur plus de 250 exemplaires actuellement stockés dans les arsenaux et dépôts militaires de l’armée italienne, la plupart dans celui de Grosseto. Par le passé, cet obusier était utilisé pour l’essentiel par les unités d’artillerie des troupes de montagne et aéroportées. En effet, avant sa mise à la retraite il y a une quinzaine d’années, le Mod. 56 équipait tous les groupes ou régiments d’artillerie des cinq brigades alpines constituant le 4e corps d’armée alpin, dissous en 1997 ; la brigade parachutiste « Folgore » l’utilisait également, du fait que l’obusier est aérolargable et que sa mise en batterie ne nécessite pas plus de cinq minutes. 

Des cinq brigades alpines, seules deux les « Taurinense » et « Julia » sont toujours opérationnelles, alors que les trois autres, les « Orobica », « Cadore » et « Tridentina », ont été désactivées respectivement en juillet 1991, en janvier 1997 et en
décembre 2002. Ces dernières alignaient chacune plusieurs groupes d’artillerie de montagne ou un régiment à trois batteries, dotés de 105/14 (six pièces par batterie), en l’occurrence les groupes « Bergamo », « Sondrio » et « Vestone » pour la brigade « Orobica », le 6e régiment d’artillerie pour la brigade « Cadore » et le 5e régiment d’artillerie pour la brigade « Tridentina ». 

Quant aux troupes aéroportées, c’est le 185e régiment d’artillerie parachutiste de la brigade « Folgore » qui a mis en œuvre, jusqu’au début des années 2000, le Mod. 56 au sein de son 1er groupe d’artillerie mixte obusiers de 105 mm et mortiers lourds de 120 mm (trois batteries). Depuis, cette unité a été rebaptisée 185e régiment de reconnaissance et d’acquisition d’objectifs (RRAO), avant d’être intégrée au Comando delle Forze Speciali dell’Esercito (COMFOSE), équivalent italien du CFST français. 

Outre les 1er et 3e régiments d’artillerie de montagne, le 105/14 Oto Melara équipera le régiment d’artillerie « Voloire » de Vercelli, dans le Piémont, unité organique de la brigade de cavalerie « Pozzuolo del Friuli ». Cette dernière, rappelons-le, constitue la contribution de l’Esercito à la force de projection amphibie de la marine italienne,
dite Forza di Proiezione dal Mare, qui s’articule autour de la Brigata Marina « San Marco ». À terme, ces trois régiments disposeront chacun d’une batterie de six obusiers de 105/14 mm, alors que les sept pièces restantes reviendront au régiment d’instruction de l’école d’artillerie de Bracciano, située au nord de Rome. Selon les responsables de ce régiment, deux mois sont suffisants pour former les jeunes artilleurs, notamment grâce au savoir-faire des anciens ayant déjà utilisé par le passé le Mod. 56. 

En ce qui concerne la disponibilité des munitions de 105 mm, le problème ne se pose pas pour l’instant, vu les importantes réserves d’obus et de charges associées de l’armée italienne. Bien que datant de plus d’une quinzaine d’années, ces munitions n’ont rien perdu de leur efficacité, comme l’ont prouvé les tirs réalisés avec des obus HE M-1 lors des exercices Laran 2019 et Abbey Road.   

Pour l’instant, l’Esercito Italiano ne prévoit pas de réintroduire le Mod. 56 au sein de la brigade parachutiste « Folgore », même si, en juin 2013,
le 185e régiment d’artillerie parachutiste a été réactivé sous cette même dénomination, mais pour constituer le régiment d’instruction sur deux
batteries mortiers lourds du commandement
de l’artillerie de Bracciano.

L’obusier Oto Melara Mod. 56 

Projeté par le général Salvatore Fuscaldi du Service technique de l’artillerie et construit par Officine Meccaniche de Pozzuoli (Campanie) puis par les établissements Oto Melara de La Spezia (Ligurie), le Mod. 56 105/14 a été mis en service au sein de l’Esercito Italiano en 1957. Plus de 2 600 exemplaires furent produits jusqu’en 1983, dont 340 pour équiper les cinq brigades alpines de l’armée italienne et par la suite la brigade parachutiste « Folgore ». 

Toujours en service dans plus d’une vingtaine d’armées (notamment en Argentine, au Bangladesh, au Brésil, en Espagne, en Malaisie, au Nigeria, aux Philippines et au Venezuela), le 105/14 a été utilisé également par d’autres pays comme l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, le Canada, la France (35e RAP), l’Inde, le Portugal et le Royaume-Uni. 

Affichant un poids de 1 270 kg en ordre de combat, pour des dimensions de 3,65 x 1,47 x 1,5 m (longueur du tube 1,47 m), le Mod. 56 offre comme principale caractéristique de pouvoir être démonté en 12 fardeaux afin de faciliter son transport à dos de mulet (un mulet peut transporter une charge de 132 kg au maximum, selon le manuel des troupes de montagne italiennes). Pouvant tirer à la cadence de 10 coups/minute toute la gamme de munitions standard OTAN de 105 mm, y compris en tir direct même avec une munition à charge creuse type HEAT, la pièce est réglable en site de – 70° à + 65° et en azimut sur 56°. Sa portée maximale est de l’ordre de 10 km, comparable donc à peu de chose près à celle du mortier lourd TDA RT-61-120 avec vitesse à la bouche de 416 m/s. La pièce est transportable sous élingue par un hélicoptère de type CH-47 Chinook, voire plus petit (AB-205, par exemple), et est aérolargable (deux parachutes et un extracteur). 

Pour l’anecdote, en 1978, une délégation militaire de l’Armée populaire de libération (APL) avait assisté au parachutage de deux 105/14 et à leur mise en batterie lors d’un exercice d’assaut aéroporté réalisé dans la plaine d’Altopascio, en Toscane, par le 185e régiment d’artillerie parachutiste de la brigade « Folgore ». C’est sûrement à cette occasion que les militaires chinois, impressionnés par les performances et les facilités de déploiement du Mod. 56, décidèrent de confier à Norinco la fabrication d’une copie locale de l’obusier italien…

Publié le

Photos

Esercito Italiano