Revue des programmes actuellement menés dans l’Armée de terre pour contrer les tactiques des groupes armés terroristes (GAT) au Sahel, particulièrement contre les engins explosifs improvisés. Certains sont en train d’échouer car ils demandent trop de temps de développement ou butent sur des impasses techniques.

Aujourd’hui au Sahel, la menace n°1 est constituée par les engins explosifs, mines ou engins explosifs improvisés (IED), comme ce fut le cas en Afghanistan. Ces derniers sont de plus en plus complexes et démontrent bien que les GAT ont été renforcés d’experts en explosifs, à la fois dans leur confection et la pose. C’est ce qui explique pourquoi des coups sévères ont été portés à l’armée française dans ce domaine ces dernières années. A ces progrès techniques s’ajoutent des progrès tactiques des GAT qui savent cibler plus précisément dans les rangs français : médecins, chefs de corps… Les GAT ont réussi ce que n’étaient pas parvenus à faire, sur une telle échelle, les talibans afghans alors que l’espace de combat était bien plus réduit (60 x 60 km à l’époque). C’est bien que les GAT valorisent tout le renseignement qu’ils trouvent dans les publications en français – y compris peut-être celle-ci – et analysent les situations qu’ils ont en face d’eux. Un VBL (véhicule blindé léger) contenant un chef de corps a une certaine configuration. Mais l’homme qui en sort, dans un village, peut aussi être observé par des relais des GAT, ou par les GAT eux-mêmes : il est différemment protégé, c’est lui qui s’adresse directement à la population, etc. Il est donc possible, ensuite, de faire détoner un IED quand son VBL passe à portée.

Sans compter que certaines zones sont naturellement truffées de mines, et personne ne semble même savoir où elles sont.

Le premier dispositif à faire évoluer était donc la trame du détachement d’ouverture d’itinéraires piégés (DOIP) du 13e régiment de génie de Valdahon, créé à l’époque de l’Afghanistan. Ce magazine l’a évoqué à plusieurs reprises, et au vu des pertes, l’état-major s’y est décidé en 2015, comme l’atteste le lancement ou la relance de certains programmes.

Retex d’Afghanistan

La façon la plus simple de faire détoner une mine est de le faire avec des leurres massiques. C’est peu technologique, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de contrainte technique, car il faut pousser une masse imposante en zone d’insécurité. Le modèle retenu par la DGA est fourni par Pearson au bureau d’études français SERA, pour intégration sur quatre Buffalo (un cinquième engin avait été endommagé en Afghanistan et n’a été conservé que comme réservoir de pièces de rechange). Les Buffalo sont, avec les Aravis de Nexter, les véhicules qui ont la qualification native de MRAP (véhicules surblindés pour résister aux IED), même si les VBCI et les VAB Ultima offrent également un renfort de protection.

Le leurre massique permet de faire détoner les explosifs déclenchés par pression : cela ne constitue pas la totalité de tous les IED, mais toutes les mines. Un exemplaire a été intégré sur un Buffalo en essais, semble-t-il très concluants. Mais si le leurre est très efficace, le véhicule qui le pousse pose problème ; l’exemplaire utilisé pour l’expérimentation a connu quelques aléas techniques, avec une grosse poussée de chaleur lors d’un essai étatique, en février (alors que, ce mois-ci, on était loin des températures qu’on trouve au Sahel).

Les Buffalo ne sont pas très anciens, dans l’absolu, mais leur fabricant, General Dynamics Land Systems (GDLS), semble renâcler à soutenir mécaniquement un standard qui n’est par contre plus produit depuis belle lurette. Alors même que soumis à de fortes pressions pour pousser le leurre massique, le Buffalo doit donner en puissance tout ce qu’il a.

Il faut se souvenir qu’à l’époque les cinq engins avaient été acquis en foreign military sales (FMS) sur un lot destiné à l’US Marine Corps. GDLS, comme la plupart des industriels normalement constitués, préfère soutenir ce qui lui convient le mieux. Une des voies de sorties pourrait être de trouver d’autres vieux Buffalo, mais le problème se reposera forcément à un moment ou à un autre. Surtout que les véhicules peuvent être soumis à rude épreuve au Sahel.

Autre voie : trouver des véhicules d’occasion, mais de standards récents (Mk5 et Mk8). L’achat de Buffalo neufs semblant, à cette heure, inenvisageable

En tout état de cause, le leurre massique Pearson ne peut être intégré sur VAB comme l’avaient été les LEMIR (leurres massiques et infrarouges) à l’époque de l’Afghanistan, car le poids sur l’avant serait trop important. Une étude express, sans lendemain, a visé à intégrer des rouleaux sur le SOUVIM.

Une solution pourrait déboucher, à terme, avec le Griffon, plus costaud. D’autres alternatives sont toujours possibles avec des véhicules de cette gamme disponibles plus vite (comme le 6 x 6 Higuard de RTD vendu à Singapour), mais cela créerait un microparc.

SOUVIM

Le Système d’ouverture d’itinéraires minés (SOUVIM) a été conçu en urgence opérations pour l’Afghanistan, par un ingénieur de MBDA, sur la base d’un véhicule existant, issu de l’industrie sud-africaine. Il a été qualifié rapidement pour répondre au plus vite à la menace des engins explosifs improvisés, conçus essentiellement à l’époque à partir de mélanges nitratés (notamment des engrais fournis… par la coalition), ou d’anciennes munitions recyclées et déclenchées avec toutes sortes de systèmes (masse, contact, électrique, radio, GSM). A l’époque, le SOUVIM détecte les masses métalliques, et s’attire les bonnes grâces de la force grâce à un bilan plutôt édifiant (quoique pas connu).

Le système est néanmoins onéreux : 1,5 million d’euros par véhicule (soit le prix d’un Griffon). Des pneus furtifs spéciaux sont développés par Michelin, mais leur prix et l’absence de clients n’ont pas permis de pérenniser la chaîne. Il a fallu revenir à des basiques, des pneus issus de tracteurs d’agriculture.

Huit véhicules ont été acquis. A l’époque, il avait déjà une vocation à travailler en Centre-Europe également avec un capteur appelé Dédale.

De simple détecteur d’objets métalliques enterrés dans le sol, dans la première génération envoyée en Afghanistan, le SOUVIM 2 de MBDA devient plus polyvalent. La DGA et l’Armée de terre ont décidé de faire évoluer le véhicule en deux nouveaux standards EPEE (engin de protection contre les engins explosifs) 2 et 3 intégrant les retours d’expérience sahéliens. Mais la phase d’évolution est extrêmement longue, puisqu’il aura fallu déjà pas moins de 18 mois de négociation préalable pour lancer ce qui est aujourd’hui présenté comme une urgence opérations – laquelle, en général, doit être réglée en quelques mois, entre la décision et la livraison du produit. Or cet aspect non plus n’a pas été possible, du fait de délais dans la qualification des systèmes et, surtout, de fortes incertitudes sur une partie des évolutions.

Actuellement, EPEE 2 finit ses essais. Ce standard comprend des protections additionnelles sur les véhicules, et notamment un brouilleur BARAGE de Thales (déjà retenu pour le Griffon), une protection anti-RPG (le véhicule évoluant lentement, c’est une cible pas très compliquée…) et un réaménagement intérieur. Cette phase, comme la suivante, est gérée par MBDA avec le bureau d’études SERA pour sous-traitant principal. EPEE 2 serait en courte finale et doit être prochainement projeté en BSS, où trois exemplaires EPEE 1 sont déjà déployés. Mais comme l’essentiel des engins enfouis en BSS sont des mines en… plastique, l’unique capteur du SOUVIM, le détecteur de métaux, est incapable de distinguer quoi que ce soit. Son déploiement en BSS semble d’ailleurs plus psychologique qu’autre chose. D’autant plus que le SOUVIM travaillant lentement, soit il doit travailler très en amont du convoi principal – et cela n’empêche pas des GAT de truffer la route de mines ensuite –, soit au contact du convoi, auquel il impose sa faible vitesse, ce qui peut créer un risque supplémentaire. Pour des raisons tactiques, les chefs d’opérations préfèrent des « ambiances vitesse ».

Parce que la détection de métaux ne permettait pas la mise à jour des mines belges PRBM-3 en plastique, la logique d’évolution intégrait une technologie radar censée voir dans le sol. C’est l’objet de la seule amélioration contenue dans le standard EPEE 3 qui intègre un GPR (ground penetrating radar). Le principe du GPR fonctionne avec des fréquences basses qui peuvent être fortement perturbées par un assez grand nombre de facteurs.

MBDA et la DGA ont conjointement fait le choix de retenir le GPR de l’entreprise britannique Cobham, sans apparemment considérer une vraie alternative. Une solution plus éprouvée fournie par l’américain Niitec (groupe Chemring) et testée avec succès en Afghanistan par l’Italie a été écartée, malgré les risques intrinsèques présentés par la technologie GPR de Cobham qui avait moins d’expérience. La solution VISOR de Niitec est aussi utilisée aujourd’hui par l’US Army, l’US Marine Corps, l’Australie, le Canada, la Turquie et l’Espagne (sur Husky).

Elle reste, en outre, encore peu répandue et, semble-t-il, peu utilisée au combat. Cette technologie est en fait très sensible à bien des éléments : vitesse de progression, nature du sol, de l’environnement, calibration de l’appareil et sa capacité à bien s’adapter à des évolutions du sol pendant la mission, nature de ce qui doit être détecté… Dans EPEE 3, la détection métallique devrait être signalée au pilote par un son particulier, l’affichage numérique étant réservé au GPR, afin de ne pas surcharger l’opérateur – qui doit aussi conduire son engin.

C’est donc un pari français qui, pour l’instant, est en évaluation depuis plusieurs mois, avec des taux de détection qui ne semblent pas correspondre au besoin, notamment sur la PRBM-3. L’Armée de terre se donne l’année pour aboutir, mais sans aucune garantie de résultat, à la fois sur la technologie et sur la capacité à se l’approprier dans une zone aussi particulière que la BSS.

La capacité compte huit porteurs, et la moitié d’entre eux devaient être équipés de GPR, un capteur dont le prix unitaire avoisinerait les 600 000 à 700 000 euros.

Certains de ces engins pourront être modernisés directement du standard 1 au 3, d’autres seront au standard 2 puis 3. Tout dépendra du temps de maturation du GPR ; pour l’instant, la prudence est donc de mise.

D’autres voies

Face à ce filet qui comporte quelques trous importants, l’administration n’est pas restée inactive. Un appel d’offres a, par exemple, été lancé pour un système de détection humaine filaire. Une étude technico-opérationnelle (ETO) a également été lancée sur un système d’ouverture d’itinéraire (SOI). Au moins trois concurrents y ont participé : MBDA, Nexter (qui l’a emporté) et SERA.

Mais la France n’a pas d’avions brouilleurs comme ceux que les Etats-Unis utilisaient en Afghanistan – y compris au profit de leurs alliés –, et elle n’a pas non plus misé sur des technologies de détections d’objets enterrés comme celle mise au point par l’Institut Saint-Louis. Au SOFLAB, une start-up proposait aussi une détection multispectrale qui pourrait contribuer à la lutte contre les IED.

Le succès dans la lutte contre les IED passe également par l’emploi de véhicules mieux protégés. Un VAB Ultima a plus de chance qu’un VAB non protégé contre une explosion. Mais des personnels en tape (corps partiellement hors de la caisse) ou en tourelle d’un VAB Ultima ne seront pas plus protégés que ceux d’un VAB non protégé, si l’engin se retourne. Les tourelleaux téléopérés (TOP) ont dans ce domaine un rôle incontournable pour riposter à une attaque, mais aussi pour protéger le personnel et détecter des menaces environnantes. Certes, il est toujours possible d’aveugler un TOP, ou de l’empêcher de fonctionner. Mais, pour cela, il faut une attaque préalable. Les TOP ont néanmoins la réputation d’être fragiles dans les combats asymétriques où les projections ont un impact rapide sur le capteur principal.

Actuellement, la plupart des véhicules ne possèdent pas de TOP, même si une part importante est blindée. La notion de blindage ne se comprend toutefois pas de la même façon d’un interlocuteur à l’autre. D’une façon minimaliste, c’est du métal entre le combattant et le monde extérieur. Mais les standards de protection sont bien là pour mesurer celle du personnel.

A cet égard, dans le parc français, on trouve des MRAP (Aravis, Buffalo) en nombre très réduit. L’essentiel de ces véhicules est actuellement déployé au profit des opérations Barkhane et Chammal. A bien des égards, le véhicule le plus protégeant et armé (30 mm, capteurs redondants) est le VBCI. Cet équipement se paie évidemment en termes de masse (28 à 32 tonnes) et de coût de MCO. Les contradicteurs évoquent aussi une insuffisance du véhicule en hors-piste – ce que nous n’avons pas pu constater lors d’évolution du VBCI dans ce contexte, en mars dernier, autour de Gao. Il faut rappeler aussi que le VBCI est son propre dépanneur pour des véhicules du même type, et qu’un véhicule peut rouler avec plusieurs pneus endommagés. Globalement, il est vrai qu’un VBCI est plus gros et plus cher à l’emploi que tout autre véhicule, mais il protège des vies. Et sa puissance de feu est largement suffisante pour un conflit asymétrique. Il est ainsi éventuellement possible de faire l’impasse sur le 105 d’un AMX10RC. Et ce d’autant plus que la Section technique de l’armée de terre (STAT) a amélioré le véhicule.

Un des reproches au VBCI est qu’il n’équipe pas toutes les unités d’infanterie. C’est factuel, mais cela n’empêche pas d’y loger des fantassins qui ne sont pas nés dedans. Tous ces arguments semblent avoir porté puisque, suite à une question écrite du député (LR) François Cornut-Gentille, on apprenait que l’EMA étudiait une augmentation de la présence de VBCI en BSS. Plusieurs personnes dans l’Armée de terre réfléchissent aussi à utiliser des VPC (VBCI en configuration poste de commandement pour les équipes médicales).

Pour les véhicules futurs, on voit que les IED ont déjà eu leur impact, et continuent. La formule surélevée du Griffon, mais aussi ses sièges suspendus et le faux plancher sont une des conséquences des IED. Une fenêtre à l’arrière des véhicules de présérie vient également d’être supprimée afin de protéger le personnel qui se trouve derrière. L’idée est donc désormais d’éviter les ouvertures là où ce n’est pas obligatoire (vers l’avant, pour la conduite).

Les largages, une autre contre-mesure

Depuis 2015, 230 opérations de largage, personnel (hors COS) et fret confondus, ont été menées par l’Armée de l’air, le fret représentant la majorité des opérations. Ce sont autant de tringlots et de parachutistes qui n’ont pas été acheminés par la route, et qui, donc, n’ont pas été exposés aux IED.

Par ailleurs, il en résulte, pour les opérations, un effet de surprise (largage d’humain) et une augmentation de l’endurance (largage de fret). L’évolution montre clairement ce recours, avec 113 largages en 2017 (dont une opération aéroportée [OAP] majeure réalisée par le 1er RCP, avec néanmoins un mort et une vingtaine de blessés) à comparer aux 61 OAP de 2016 (sans OAP majeure), et aux 56 largages de 2015 (dont six OAP majeures, avec le 2e REP et les 3e et 8e RPIMa).

Depuis 2015, 695 tonnes de fret ont été larguées, dont 301 en 2017, 259 en 2016 et 135 en 2015. Cet effort en augmentation aura nécessité une mobilisation des équipes des escales armées par le 1er RTP (spécialiste du conditionnement puis du largage) et l’Armée de l’air, et évidemment, les équipages des aéronefs eux-mêmes.

Rappelons que les moyens de Barkhane restent, somme toute, modestes, avec trois ATA (avions de transport d’assaut) incarnés par deux Transall et un Hercules, et trois Casa qui ont acquis, en 2017, la capacité de largage de palettes par tranche arrière.

Tous ces appareils et les hélicoptères de l’Armée de l’air pratiquent aussi le largage de petits colis (environ 150 kg) par porte latérale de soute. Ces mêmes hélicoptères ont aussi, ponctuellement, pu réaliser des largages de chuteurs opérationnels.

La réponse du CEMA à une interpellation sur les moyens

Le général François Lecointre a répondu au député Alexis Corbière (France insoumise) qui l’interpellait sur le manque de moyens attribués à la lutte contre les IED en BSS, lors de son audition par la commission de la Défense, en février, pour l’élaboration de la loi de programmation militaire.

« M. Corbière, vous m’avez posé une question grave. J’ai toujours des scrupules à dire à la représentation nationale : “C’est parce que vous n’avez pas donné assez d’argent que nos soldats meurent.” C’est à la fois vrai et faux. La guerre est une confrontation de volontés, comme je l’ai rappelé dans mon propos liminaire. Résister, c’est s’adapter en permanence à un ennemi qui, lui-même, s’adapte en permanence à nos modes d’action et à nos équipements. Quand bien même nous accélérerions significativement nos programmes d’équipements, le rythme des mutations technologiques est tel que nous serons toujours confrontés à un ennemi qui trouvera des moyens pour contourner notre supériorité opérationnelle et nous porter des coups. Oui, nos blindés sont renforcés dans le cadre de procédures d’adaptation rapides. Nous sommes très attentifs à la fonction “protection” avec des programmes “en crash”, avec la mise en œuvre des moyens de détection, de brouillage, de renforcement du blindage. Pour autant, ce n’est jamais suffisant et, malheureusement, les charges de ces explosifs improvisés sont sans cesse augmentées tandis que les moyens de les mettre en œuvre sont sans cesse affinés et diversifiés. Je ne peux pas dire que nos soldats sont morts parce que nos moyens étaient insuffisants. Mais je ne peux pas dire non plus qu’il n’y a aucun lien entre les besoins financiers et l’indispensable adaptation réactive à laquelle il faut procéder. Simplement, je pense que la loi de programmation militaire répondra à ces besoins. J’ajoute que, face à au renforcement de menace constituée par l’usage de tels IED au Sahel, nous avons affecté nos matériels dernier cri et les mieux protégés sur ce théâtre.»

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