Le quotidien russe Izvestia croit savoir que Moscou envisage de démanteler son porte-avions, l'Amiral Kouznetsov (conçu au début des années 1980 et opérationnel à partir de 1991) qui est en grand entretient depuis 2018.

Cette révision devait inclure la modernisation de son groupe motopropulseur alimenté par huit chaudières au fioul alimentant 4 groupes de turbines. D’une puissance théorique de 200.000 chevaux, il peut permettre au bâtiment une vitesse de 32 nœuds – 60km/h – pour un rayon d’action de 3.800 nautiques – 7.040 km – à 32 nœuds (8.500 nautiques – 15.500 km – à 18 nœuds – 33 km/h -.) La chaufferie quand elle est mal réglée provoque un important nuage noir visible de très loin.

Toute l’électronique de bord devait également être modernisée.
Ces améliorations devaient permettre de maintenir le porte-avions en service pendant plus d’une décennie. Mais les travaux ponctués de multiples incidents – dont des incendies, une grue qui s’est effondré sur le pont et un accident en cale sèche – ont rendu le processus de moins en rentable.
Le navire devait initialement rejoindre la flotte en 2022, mais cette échéance a été reportée sine die.

Début 2021, l’analyse de photos du porte-avions suggérait que les travaux sur le navire avaient quasiment cessé durant l’année 2020.
Mais en février 2023, le Kouznetsov quittait sa cale sèche au chantier naval de Sevmorput, dans la région de Mourmansk, au nord-ouest de la Russie.

Toutefois, deux mois plus tard, des informations annonçaient la dissolution de l’équipage en lien avec la pénurie de personnels militaires pour la guerre en Ukraine. Cela complique encore davantage la remise en service éventuelle du navire dans la mesure où la Russie n’aura bientôt plus de marins (et de pilotes) qualifiés à l’aéronavale.
Pour l’instant, la seule activité opérationnelle liée à l’aviation embarquée russe est l’escadre aérienne dont les fers de lance sont des chasseurs Su-33KUB et MiG-29KR. Mais ces appareils accusent leur âge sans aucun remplacement prévu.
Ces appareils continuent d’être exploités depuis des bases terrestres, mais cela fait maintenant de nombreuses années que les équipages n’ont plus eu l’occasion de voler depuis un porte-avions.

Des avis partagés

Fort logiquement, une décision concernant son avenir devrait intervenir prochainement.
Toutefois, des représentants du Haut Commandement de la Marine et de la United Shipbuilding Corporation, responsable des travaux, discuteraient actuellement de la faisabilité du redémarrage des travaux de modernisation permettant une remise en service.

L’amiral (er) Sergueï Avakyants, ancien commandant de la flotte russe du Pacifique, a soutenu l’arrêt des réparations, le qualifiant d’« absolument judicieux […] Le Kouznetsov appartient à une autre époque… C’est une arme navale très coûteuse et inefficace. L’avenir appartient aux systèmes robotisés et aux drones. »

Pour le contre-amiral (er) Mikhaïl Tchekmassov pense lui que : « le principal obstacle réside dans le financement, notamment au vu de l’opération militaire spéciale en cours en Ukraine. La victoire sur place est la priorité immédiate, après quoi les futurs plans de construction navale pourraient se préciser. »

Par contre, l’expert militaire Vassili Dandykine remarque : « malgré les progrès des systèmes sans pilote, le besoin d’un soutien aérien lors des déploiements à longues distances demeure.» Il note que des pays comme l’Inde et la Chine continuent de développer leurs flottes de porte-avions, ce qui signifie que ces navires continuent de jouer un rôle dans la stratégie navale.

Ilya Kramnik, chercheur au Centre d’études de planification stratégique de l’Institut d’économie mondiale et de relations internationales de l’Académie des sciences de Russie, partage ce point de vue mais reconnait que l’Amiral Kouznetsov lancé en 1985 et entré en service en 1991, est largement obsolète. Toutefois pour lui, « grâce à l’expérience acquise lors de l’exploitation du navire, la Russie peut construire un nouveau navire de taille similaire. »

Les armes du porte-avions

Aviation embarquée

À l’origine, l’Amiral Kouznetsov était une arme très puissante conçue pour engager des cibles de surface majeures, assurer la protection de groupes navals contre les attaques ennemies et soutenir des opérations amphibies.
Pour cela, il pouvait embarquer 14 avions de chasse et de lutte antinavires Su-33 puis Su-33KUB (qui peut emporter le missile air-mer Moskit ASM-MMS – Kh-41) , 4 hélicoptères Ka-27PL Helix-A (lutte anti-sous-marine), 4 hélicoptères Ka-29 Helix-B pour le support et le soutien, 4 Ka-52 K Katran d’attaque armés de missiles antichars Hermes A et 4 Ka-27PS Helix-D (recherche et sauvetage).

Missiles mer-mer ou mer-sol

À la différence d’autres porte-avions, il peut accueillir douze missiles P-700 Granit SSM dans des silos situés sur le pont. Ce missile est armé d’une ogive hautement explosive (HE) de 580 kg à 750 kg qu’il peut emmener à 200 kilomètres en altitude basse et 650 kilomètres en altitude haute.

Défense rapprochée

18 batteries de huit missiles 3K95 Kinzhal soit au total 192 missiles à lancement vertical. La capacité de tir est d’un missile toutes les trois secondes.

Huit canons de type gatling K-630 AA (30 mm, 6.000 coups/min/unité de tir, 24.000 coups.)

Huit systèmes de défense rapprochée Kashtan CADS-1, chacun équipé de deux canons de 30 mm de type Gatling AA plus 16 missiles SA-19 Kortik SAM. 256 missiles et 48.000 coups étaient disponibles. Sa portée va de 500 mètres à 1,5 kilomètre.

Enfin, deux lance-roquettes anti-sous-marines RBU-12000 Udav-1 avec 60 roquettes disponibles par poste de tir.

Le système comprend :

  • un lance-roquettes automatisé multitubes télécommandé KT-153 ;
  • des roquettes de profondeur 111SG avec charge explosive et fusée à temps d’impact pour engager des cibles sous-marines ;
  • des roquettes de mouillage de mines 111SZ avec fusée de proximité hydroacoustique pour le minage à distance d’une zone afin de créer une barrière contre les torpilles ;
  • des roquettes leurres 111SO pour détourner les torpilles à tête chercheuse de leur objectif en créant une fausse cible acoustique ;
  • des dispositifs de conduite de tir ;
  • un dispositif de chargement de munitions ;

Spécifications :

  • nombre de tubes : 10 ;
  • nombre de roquettes (rechargements inclus) : 40-60 ;
  • portée efficace : 3.000 mètres ;
  • profondeur efficace : 600 mètres ;
  • calibre des roquettes : 300 mm…

Cet armement impressionnant (pour l’époque) devait lui permettre d’évoluer sans une escorte importante.

Vie opérationnelle

De 1991 à 2016, le Kouznetsov a effectué six patrouilles dont la dernière au large de la Syrie fin 2016 début 2017. Pour ce dernier périple, il est escorté par sept bâtiments le tout surveillé étroitement par les forces de l’OTAN.
Cependant le groupe aérien n’avait que ses 14 chasseurs (dix Su-33 et Su-33KUB, trois MiG-29KR monoplaces et un MiG-29KUB R biplace.)
Le problème de la conception même de ce type de porte-aéronefs sans catapultes est que les avions ne peuvent emporter que des charges réduites comme deux bombes de 500 kilos.

De plus, il n’y avait aucun avion de guet aérien pour accompagner les chasseurs.
Malgré ces faiblesses, les avions embarqués russes ont réalisé à l’aide de bombes lisses conventionnelles non guidées, la toute première mission de combat aéronaval de l’histoire de la marine russe le 15 novembre 2016.

La veille, le 14 novembre 2016, le ministre russe de la Défense avait annoncé la perte du MiG-29KUBR au cours de la phase d’appontage lors d’un exercice. L’appareil avait été mis en attente, ne pouvant apponter à la suite de la défaillance d’un des brins d’arrêt. Il est tombé faute de carburant…
Le 3 décembre de la même année, un Su-33 s’est abîmé en mer le pilote ayant raté son appontage…

Des photos satellite montrent le 28 novembre 2016 qu’au moins huit des 13 avions restants (le MiG-29KUBR ayant été perdu le 14 novembre) du groupe aérien embarqué (huit Su-33) opèrent depuis la base Hmeimim en Syrie de conserve avec leurs camarades de l’armée de l’air.

La mission du groupe aéronaval se termine à la mi-janvier 2017 après deux mois de présence au large de la Syrie. Plus de mille cibles auraient été traitées lors de 420 sorties dont 117 de nuit.

L’avenir

Il n’existe aucun plan connu pour construire un autre porte-avions avant 2030. Il semble que la solution de la propulsion nucléaire n’ait jamais été envisagée.

Par contre, la Russie travaille toujours sur la construction du premier de ses navires d’assaut amphibies « Projet 23900 » également connus sous le nom de classe Ivan Rogov dans un chantier naval de la péninsule de Crimée occupée.
Le « Projet 23900 » devrait pouvoir embarquer quatre barges de débarquement pour transporter environ 75 véhicules blindés, un millier de soldats, 340 membres d’équipage et du matériel de soutien pour être à même d’établir une tête de pont lors d’un débarquement amphibie.

La conception de guerre navale russe est différente de celle de nombre d’autres pays dont les Occidentaux.
Moscou n’a pas d’ambitions « mondiales » mais uniquement de préservation de son environnement proche dont l’Arctique. Pour cela, elle a assez de bases aériennes disponibles pour assurer la couverture d’opérations terrestres si le besoin s’en fait sentir.
Pour surveiller le reste des mers du globe et assurer sa dissuasion nucléaire – et classique -, elle compte surtout sur sa flotte sous-marine qui est en constante expansion (1)(2).

(1) Voir : « Un nouveau sous-marin nucléaire rejoint la Flotte du Nord russe » du 5 janvier 2025.

(2) Voir : « Point de la menace sous-marine russe » du 5 décembre 2023.