Le chef du commandement nord des États-Unis a récemment déclaré devant le Sénat que dans les deux ans à venir la Russie pourrait avoir des sous-marins de classe Yasen patrouillant au large des côtes américaines. Ils « réduiront d’autant l'espace de décision pour un dirigeant national en temps de crise».

Les Occidentaux pensent que la guerre en Ukraine a prouvé que les forces armées russes autrefois très craintes étaient « creuses, mal équipées et mal conduites ».

En effet, si les navires de surface russes sont pour la plupart obsolètes, ce n’est pas le cas pour la plupart des sous-marins.

D’ailleurs, l’activité sous-marine russe a considérablement augmenté au cours de la décennie qui a précédé la guerre en Ukraine, la flotte réceptionnant progressivement des sous-marins à la technologie équivalente à celle de ses homologues occidentaux (1).

Sur le papier, la flotte du Nord russe compterait en 2023 sept sous-marins lanceurs d’engins SSBN, neuf sous-marins nucléaires d’attaque SSN, cinq sous-marins nucléaires lanceurs de missiles de croisière SSGN, six sous-marins diésel électriques SSK, et un certain nombre de bateaux « spéciaux » comme le Belgorod (2).

Toutefois, leur disponibilité opérationnelle reste difficile à connaître même si les estimations suggèrent qu’environ 25 à 30 % de la flotte pourrait être déployé à tout moment. Cela permet d’en déduire que parmi les SSN et les SSGN qui constituent la principale menace conventionnelle, entre 3 et 5 bateaux se trouvent en permanence à la mer.

L’espionnage a permis aux ingénieurs du génie maritime russe de connaître les capacités de détection acoustique de l’US Navy. Cela leur a permis de les appliquer à leurs nouveaux submersibles.

Le nouveau Yasen, basé sur la classe Akula, s’appuie sur ces connaissances pour être en mesure d’exercer une influence tactique et même stratégique.

Les sous-marins conventionnels SSK de la classe Kilo et Lada russes ne doivent pas être sous-estimés car ils sont bien adaptés à des missions à plus courte portée et littorales opérant en mer de Barents et en mer Baltique.

Les quatre bateaux basés à Sébastopol ont mené des attaques de missiles de croisière contre l’Ukraine et seraient de loin la plus grande menace pour tout navire de guerre qui pourrait s’aventurer en mer Noire.

Les SSK russes ont également fonctionné à partir de leur base syrienne de Tartous et maintiennent une présence presque constante en Méditerranée orientale.

Mais l’entretien général des navires russes qui est notoirement déficient a contribué à la détection de certains d’entre eux car les sous-marins sont bien connus pour devenir nettement plus bruyants au fil du temps. Ainsi, le SSN K-560Severodvinsk aurait été repéré au large de la Sicile par la marine italienne en août 2022. Il était entré en service  en 2013… Une première pour un sous-marin russe à propulsion nucléaire (en dehors du Koursk qui a sombré en 1999).

Le classe Yasen

La première construction d’un sous-marin de classe Yasen (projet 885) K-560 Severodvinsk a débuté en 1993 mais il a fallu plus de 20 ans avant qu’il ne soit livré à la marine russe dans le contexte post-soviétique de l’époque.

 

Lorsque le deuxième navire, le K-561 Kazan a été lancé, la marine russe avait reçu de nouveaux investissements qui lui ont permis de faire des progrès technologiques conduisant à des changements de conception significatifs, les bateaux de la classe étant désignés par le projet 885M et la construction durant environ 10 ans.

Ce sont de grands bateaux d’environ 13.000 tonnes en plongée mais le Kazan est légèrement plus petit que son aîné d’environ 9 mètres ce qui est principalement dû à un équipage moins nombreux grâce à une plus grande automatisation. Son réacteur KPT-6 est aussi plus petit et plus silencieux.

Le Kazan dispose également d’un nouveau sonar plus semblable à ses correspondants occidentaux par rapport aux modèles antérieurs.

L’inclusion de cellules de lancement verticales (Vertical launching system, VLS) dans la conception de sous-marins d’attaque est devenue une tendance mondiale.

Les Yasen ont 8 modules VLS, chacun avec de l’espace pour 5 missiles kalibr 3M-54 (portée de 1.500 à 2.500 km) ou 4 missiles antinavires P-800 Oniks (portée 600 km). Il pourrait également mettre en œuvre le missile de croisière hypersonique Zircon d’une portée de 1.000 à 2.000 km. Conçu principalement comme un missile antinavires, sa menace en mer ne doit pas être surestimée ; il est seulement aussi bon que le système de guidage qui l’accompagne.

La Russie ne possède probablement qu’une poignée de ces armes coûteuses dont les performances contre des cibles mobiles sont encore inconnues.

La variante Kalibr-PL a été adaptée pour transporter des ogives nucléaires tactiques et certaines sources russes ont affirmé qu’elle avait une portée de 4.000 km.

L’utilisation intensive de missiles de croisière contre des cibles en Ukraine a probablement considérablement diminué les stocks de Kalibr et il faudra des années pour les remplacer, même si les hostilités cessent maintenant.

Le Yasen peut potentiellement menacer des cibles en Europe sans avoir à franchir les défenses de l’OTAN depuis le « vide GIUK » situé entre le Groenland et l’Islande-Royaume-Uni.

L’armement lourd de Yasen est complété par 10 tubes de torpilles lourds et d’un espace de stockage pour au moins 30 armes.

Ils sont également équipés d’un système sophistiqué de contre-mesures défensives avec six tubes plus petits pour les torpilles leurres plus légères.

Les nouveaux bateaux russes sont équipés d’un module d’évacuation qui offre à l’équipage de meilleures chances de survie si le sous-marin devait être endommagé.

Avec 4 bateaux du projet 885/885M déjà commissionnés, deux pour le Pacifique et deux pour la flotte du Nord, le Ministère russe de la défense affirme qu’il prévoit de construire quatre autres submersibles de même type.

Le 5ème Bateau, K-564 Arkhangelsk, est toujours en construction et le 6ème bateau 885M Perm devrait être remis à la marine russe en 2025. Il sera conçu dès le départ pour être armé de missiles zircon.

Dix sous-marins Yasen étaient à l’origine planifiés mais un sous-marin nucléaire lanceur de missiles de croisière SSGN moins coûteux classe Laika (projet 545) est en phase de développement initiale.

La technologie sous-marine est l’un des rares domaines où les Russes ont encore une avance technologique sur la Chine.

Les sous-marins de la Marine de l’Armée populaire de libération ont vingt ans de  retard sur les derniers modèles russes bien qu’ils bénéficient des financements et des capacités industrielles nécessaires.

Il est possible qu’en raison du pacte AUKUS qui représente un danger pour la marine chinoise, le président Vladimir Poutine ne soit tenté d’échanger un soutien technologique dans le domaine des sous-marins en échange d’approvisionnements d’armements et de munitions nécessaires pour la poursuite de l’ « opération spéciale » en Ukraine.

En résumé, l’arme sous-marine russe doit être prise très au sérieux. Elle est apte à déployer un petit nombre de sous-marins efficients avec des équipages bien formés à travers le monde.

Bien que les forces de l’OTAN soient plus nombreuses et ayant l’avantage d’une géographie favorable, quelques navires de haute technologie tels que les Yasen présentent une menace conventionnelle et nucléaire majeure. Ces submersibles peuvent cibler les marines adverses mais ont également la capacité de frapper des objectifs littoraux et  terrestres mal défendus en Europe et aux États-Unis.

 

1. Voir : « Russie. Le « cuirassé sous-marin Belgorod sera affecté à la flotte du Pacifique » du 1er février 2022.

2. Voir : « La modernisation de la flotte sous-marine russe se poursuit » du 15 juin 2020.

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Texte

Alain Rodier