Aux yeux du monde, Joulani est devenu quasi un « héro » puisqu’il met en danger le régime de Bachar el-Assad, ses troupes étant dans une dynamique favorable et ne paraissant pas rencontrer d’opposition sérieuse pour le moment.
Son objectif affiché est de remplacer le régime alaouite en place à Damas par un État respectant la charia mais qu’il prétend « modéré » respectant les minorités. Mais ce n’a pas été le cas pour les Druzes de Jabal as-Summaq dans la province d’Idlib en 2015 qui ont été obligés de se convertir. Par ailleurs, il ne reste dans cette zone que 300 chrétiens sur les 10.000 qui y vivaient. Les Arméniens ont aussi été les victimes du Front al-Nosra en 2014. Enfin, al-Joulani a toujours rejeté le système démocratique qu’il considère comme contraire à l’islam.
Son parcours
Son père qui était un activiste nationaliste nassérien, pro-OLP et surtout, antibaasiste. Il a été emprisonné à plusieurs reprises et s’est exilé un temps en Jordanie puis en Arabie saoudite.
Le jeune al-Joulani enseignait l’arabe littéraire avant de quitter Damas en mars 2003 pour Bagdad avec d’autres volontaires désireux de repousser l’invasion américaine imminente de l’Iraq.
Il a rejoint Al-Qaida en Irak (AQI), selon lui comme « simple fantassin ». Arrêté en 2005, il a connu les prisons d’Abou Ghraib, Camp Bucca, Camp Cropper et celle d’al-Tajji. Il a eu l’occasion d’y rencontrer la plupart des futurs responsables du jihad international dont Abou Bakr al-Baghdadi qui dirigeait l’État Islamique en Irak (EII) qui avait rassemblé en 2006 cinq mouvements islamiques (dont AQI) sous la bannière de l’État Islamique d’Irak (EII).
Libéré en 2011, al-Joulani a été chargé par al-Baghdadi de créer une branche syrienne de l’EII qui a été nommée le Front al Nosra (2012). Cette entité a permis à al-Bagdhadi de former la structure de l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL ou ISIL).
Mais il semble de Joulani avait été ulcéré par le fait qu’al-Baghdadi ne lui a pas donné tous les moyens financiers qu’il lui avait promis.
En 2013, il a rompu après une querelle de préséance avec al-Baghdadi et a confirmé son allégeance au Docteur Ayman al-Zawahiri qui avait pris la succession d’Oussama Ben Laden tué en 2011 par les Seals américains à Abbottabad au Pakistan.
Le 28 juillet 2016, al-Joulani a annoncé dans un message enregistré que le Front al-Nosra porterait désormais le nouveau nom de Jabhat al-Fath al-Sham (Front pour la conquête de la Syrie) tout en précisant que ce groupe n’avait « aucune affiliation à une quelconque entité extérieure ». Cela a été analysé comme la rupture avec Al-Qaida mais il semble que cela a plutôt un « divorce à l’amiable ».
Le 28 janvier 2017, Joulani a annoncé la dissolution du Jabhat al-Fath al-Sham et son intégration dans une nouvelle entité islamique, le Hayat Tahrir Al Sham (HTS, « Assemblée pour la libération du Levant ») qui comprenait aussi le Ahrar ash-Sham.
Le HTS a commencé à écarter – souvent par la violence – tous les leaders des autres formations présentes dans la province d’Idlib dont ceux d’Al-Qaida (Tanzim Hurras al-Din) et de l’EIIL. Cela a permis de consolider l’influence de Joulani et de lui attirer l’indulgence de l’Occident.
Il a placé à la tête de la province d’Idlib le « Gouvernement de salut syrien » aligné sur HTS.
Surtout, il a affirmé renoncer au « jihadisme mondial » privilégiant la lutte locale et pas internationale. Cela n’empêchera pas certains fanatiques vivant en Occident s’inspirer du HTS pour passer à l’action comme le tireur de Munich du 5 septembre 2024 radicalisé par les propagande du mouvement.
Mais al-Joulani fait preuve d’un grand pragmatisme pour se faire accepter comme « interlocuteur » par la Turquie, pays pivot dans la zone, et plus largement par les Occidentaux concentrés sur la lutte contre le régime de Bachar el-Assad et contre le jihadisme internationaliste.
Très révélateur aujourd’hui, alors que son offensive ressemble étrangement à la conquête rapide d’une partie de la Syrie puis de l’Irak par l’EIIL en 2014, selon l’expert Wassim Nasr, al-Joulani a adressé un message au Premier ministre irakien Mohammed Chia al-Soudani pour lui affirmer que « ce qui se passe n’affectera pas l’Irak avec lequel on souhaite les meilleurs relations ». Il l’engage par contre « à empêcher le Hachd [milices chiites proches de Téhéran] de s’impliquer tout comme il a pu rester en dehors de la guerre Iran- Israël ».
Sur le terrain, lors de la prise d’Alep, loin de se livrer à une frénésie meurtrière contre les minorités religieuses comme Daech l’a fait en 2013-2017, il a publié des édits ordonnant la protection des chrétiens et des chiites (honnis par Daech) et déclarant à ses fidèles : « à l’avenir, la Syrie, nous pensons que la diversité est notre force, et non une faiblesse ».
Aucun massacre n’a été signalé à Alep – des cas d’exécutions sommaires ont toutefois été répertoriées – et les forces kurdes ont été autorisées à quitter en sécurité la zone – à la grande satisfaction d’Ankara(1) -.Dans les faits, ce sont des unités de l’Armée nationale syrienne (ANS) pilotée indirectement par Ankara qui ont encerclé les forces kurdes membres des FDS (Forces démocratiques syriennes) au nord d’Alep et qui les ont poussé à migrer vers l’est avec armes, bagages et familles…
Au lieu de la bannière de l’Islam, les troupes HTS choisissent de se battre sous le drapeau syrien qui remonte à la république qui existait avant la révolution du parti Baas de 1963 qui a finalement porté la famille Assad au pouvoir.
Drapeau adopté par les rebelles syriens et celui du régime de Damas.
Malgré tout, le HTS reste qualifié d’organisation terroriste depuis 2018 par les États-Unis (et 2020 par l’UE) et Washington offre toujours une prime de dix millions de dollars sur al-Joulani. Pourtant, les États-Unis ne l’ont pas ciblé (ni d’autres commandants HTS de haut niveau) depuis qu’il a proclamé il y a environ dix ans qu’il n’était pas l’ennemi de l’Amérique.
Depuis la première administration de Donald Trump qui a négocié avec les taliban en Afghanistan, le HTS cherche un accord qui lèverait la désignation « terroriste » du groupe syrien.
De nombreux observateurs avertis jugent qu’al-Joulani est supérieurement intelligent et très pragmatique. Mais sa croyance profonde dans le salafisme interroge sur sa transformation en islamiste « fréquentable ». Dans quelle mesure ses appels à la modération ne sont pas conçus pour attirer l’adhésion des autres Syriens et, en deuxième rideau de l’Occident.
Les taliban en Afghanistan avaient également promis un gouvernement inclusif et un plus grand respect des droits des femmes avant de prendre le pouvoir en 2021. Depuis les populations ont déchanté et les femmes sont retournées dans leurs foyers…
Il est possible qu’il joue la taqiya pour dissimuler ses véritables intentions.
En effet, la présence de centaines, voire de milliers de combattants étrangers dans les rangs HTS – les Tchétchènes, les Turcs, les Irakiens, les Asiatiques et surtout les Ouighours du Xinjiang, en Chine – représente un problème majeur pour la communauté internationale.
Une fois la victoire obtenue à Damas, ces combattants étrangers se tourneront vers d’autres lieux de jihad.
Mais pour le moment, il est entièrement consacré à l’offensive en Syrie qui rencontre des succès retentissants comme c’était le cas pour l’EIIL en 2014. Il bénéficie de l’avantage d’être soutenu par la Turquie et du fait que les alliés de Bachar el-Assad sont dans l’incapacité de déployer un effort considérable car ils sont occupés ailleurs. Même Moscou semble prendre des précautions en retirant des navires du port de Tartous.
Cette information est démentie par Moscou qui dit que les navires qui ont quitté le port pour participer à des manœuvres navales…
D’autre part, des images satellite datées du 3 décembre montrent que la Russie a retiré ses avions A-50M (système aéroporté de détection et de contrôle) et deux Il-20 (reconnaissance) de la base aérienne de Hmeimim en Syrie.
Le sort de la guerre en Syrie est incertain. Pour le moment l’avantage est du côté des rebelles mais ils vont maintenant entrer dans le « dur » (les populations d’Alep et surtout d’Hama n’étaient pas favorables au régime). Affaire à suivre…