En exclusivité pour les lecteurs de RAIDS, Stéphane Mayer, le président du GICAT, livre un panorama des perspectives de l’industrie terrestre d’armement, à quelques mois de rendez-vous primordiaux, dans le budget 2018 et la loi de programmation militaire à venir.
– Quel était l’état d’esprit des membres du GICAT avec les premières décisions du nouveau gouvernement ?
– Nous avons des satisfactions, suite aux décisions qui ont été prises d’augmenter le budget dès 2018 et à l’horizon 2025. Par ailleurs, Scorpion, qui a bénéficié d’une commande de série en avril, est un programme structurant pour l’armée de terre et les membres du groupement, comme le sera demain le HIL [hélicoptère interarmées léger]. Par contre, nous avons des interrogations sur le court terme, pour la fin d’exécution du budget 2017. Des arbitrages doivent être pris, et pour l’instant, on ne nous a rien notifié de particulier.
– Avez-vous pu rencontrer la ministre de la Défense pour faire état de vos inquiétudes ?
– Pas encore, mais nous sommes évidemment en contact avec son cabinet et avec la DGA. Le GICAT participe aussi à la revue stratégique lancée à l’initiative du président de la République. Hervé Guillou, PDG de Naval Group, est le représentant désigné des industriels au titre du CIDEF [Conseil des industries de défense], mais le délégué général du GICAT participe à chaque réunion pour contribuer au débat, notamment pour ce qui concerne l’équipement. Les réunions sont hebdomadaires.
– De toute façon, on ne pourrait pas stopper un programme comme Scorpion, qui a son erre propre, avec des approvisionnements et des études déjà lancées…
– Oui, en effet. On nous a même demandé, il y a quelques mois, d’étudier un doublement de cadence. Nous avions déjà, nous-mêmes, intégré une capacité de production supplémentaire, dans la perspective d’opportunités à l’export, qui sont d’ailleurs déjà présentes, avec un premier client et partenaire, la Belgique. Alors même que, pour l’instant, seuls deux prototypes roulent, et que les deux engins ne sont pas combat proven : c’est inédit, à ma connaissance.
Mais, par la suite, ce sont les autorités françaises qui nous ont demandé si un doublement de cadence était possible sur Scorpion, dont le rythme initial, pour la France, était de dix Griffon et deux Jaguar par mois. Les avantages d’accélérer sont évidents : ces nouveaux véhicules protègent mieux les soldats, sont plus communicants, mieux armés et, en outre, leur arrivée plus rapide évitera d’avoir à maintenir des véhicules anciens. Il est possible de doubler cette cadence, cela a du sens, il faut donc désormais arbitrer avec d’autres programmes.
– Avez-vous d’autres priorités de plus court terme pour équiper les forces terrestres en opérations, et notamment mieux les protéger, avec des Aravis par exemple ?
– L’Aravis est un excellent véhicule, très protégeant. Si la question m’était posée, je répondrais au nom de Nexter que je n’ai pas de stock, ni de chaîne en fonctionnement actuellement. Tout au plus quelques véhicules de démonstration, pour répondre à des besoins rapides et peu importants en volume. S’il en fallait plus, il faudrait attendre 2018.
– Face aux députés, vous avez plaidé pour un relèvement de la part du terrestre dans le budget de R&D, de 70 à 100 millions d’euros. Comment pourraient être utilisés les 30 millions supplémentaires ?
– Avec des thèmes liés à la suite de Scorpion phase 1, par exemple, l’intégration du SICS [système intégré de communication de Scorpion] sur VBCI, mais aussi des robots terrestres qui ouvrent la voie en tête des convois. Combattre, c’est aussi savoir s’adapter et surprendre ; donc on peut développer des équipements dans ce sens. A plus long terme, deux programmes franco-allemands se dessinent, et ont été réaffirmés en juillet dernier au Conseil des ministres franco-allemand : pour le futur système de combat terrestre, le successeur du Leclerc et du Leopard, et, d’autre part, le futur système d’artillerie. On est à l’horizon 2030, mais si on fait le rétroplanning, on se rend compte que c’est dès maintenant qu’il faut commencer à étudier les briques technologiques de ces programmes. Ces derniers arrivent au bon moment pour nos groupes puisque, dans ce créneau de temps, on aura terminé la production initiale de Scorpion, et le tuilage sera le même pour les bureaux d’études.
– Les industriels du terrestre ont-ils des capacités à prendre plus de charge de maintenance, notamment en opex, sans se retrouver pour autant sur la ligne de front, mais, si l’on compare aux théâtres d’aujourd’hui, en agissant à Gao par exemple ?
– Le GICAT a réfléchi sur ces questions pour définir tout ce que nous pourrions apporter à l’armée de terre. La répartition actuelle du MCO [maintien en condition opérationnelle] laisse place à des opportunités de croissance pour nos industriels. Mais l’armée de terre doit conserver un vivier pour pouvoir projeter ses compétences en opérations ; or, ce vivier est employé dans ses propres régiments et bases de soutien. Il faut donc trouver le bon positionnement de curseur. Mais la tendance est clairement à en confier plus aux industriels. Nous avons fait nos propositions à la SIMMT [Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres].
– Donc les lignes vont bouger…
– Cela doit être gagnant-gagnant, pour l’armée de terre et les industriels, grâce à des engagements en matière de budget comme de disponibilité.
– Vous avez racheté trois salons ces trois dernières années dans le monde (un a été supprimé depuis), et vous préparez déjà le prochain Eurosatory. Cela suffit-il à la visibilité de vos membres ? Face à la multiplication d’autres événements, à l’étranger comme en France, n’êtes-vous pas tenté d’en faire plus ?
– Le développement international fait partie des services que le GICAT offre à ses adhérents. Eurosatory est un axe important, car c’est le salon de référence dans le monde, nous y faisons venir des délégations étrangères, tous les deux ans. En 2018, nous aurons plus de surfaces et, sans doute, plus de conférences. Mais il est encore un peu tôt pour en parler. Nous avons aussi des services communs d’information, de réflexion. Nous offrons notamment des pavillons GICAT sur plusieurs salons à l’étranger. Nous pensons toutefois qu’il ne faut pas multiplier l’organisation de salons, ni leur fréquence, car chaque présence sur un salon est un effort important pour un industriel.
– Dans quel domaine pensez-vous progresser à l’export dans le futur ?
– L’imagination n’a pas de limites, mais on pense immédiatement à des systèmes plus automatiques, plus de robotisation, des systèmes de protection active qui vont intercepter les menaces avant qu’elles ne frappent. Le cinéma et la littérature sont aussi parfois des sources d’inspiration. La cape d’invisibilité nous inspire un système qui tienne compte de l’environnement pour le camouflage. On peut aussi songer à une projection de vision du combattant dans une pièce avant qu’il ne l’investisse. Les missiles ont aussi fait des progrès très importants, permettant de se réorienter sur une autre cible en vol. Il y a des enjeux encore en matière de précision et de portée des armements, ainsi que sur le MCO.
– Question au coprésident exécutif de KNDS, où en êtes-vous dans les gains de votre rapprochement ?
– Le premier objectif de KNDS est d’intégrer les deux sociétés avec une gamme commune de produits, et de proposer des produits de plus en plus communs. Ces deux sociétés se complètent déjà très bien. Notre objectif est de devenir le maître d’œuvre franco-allemand de référence à court terme et, à terme, celui de l’Union européenne. A cet horizon, cela s’inscrira dans des programmes communs, le nouveau char, le nouveau système d’artillerie. D’ores et déjà, nous avons eu des avancées intéressantes en matière de bureau d’études, mais je ne peux, hélas, rien vous en dire pour l’instant. Bien sûr, il y a des synergies sur les achats. On évite aussi les duplications de capacités. On travaille ensemble et on lance des processus communs.
– Demain vous pourrez ainsi emmener vos fournisseurs sur des programmes d’origine allemande auxquels ils n’auraient pu imaginer de participer ?
– Oui. Mais n’oubliez pas que, dans le domaine défense, les décisions reposent sur les gouvernements. En ce sens, le président de la République a clairement donné le cap en juillet, au Conseil franco-allemand. Demain, cela doit se traduire en programmes. Cette évolution doit aussi se bâtir sur les bases d’un traité binational, qui facilitera les aspects juridiques, comme One MBDA, qui est notre référence, a pu en bénéficier. Car, sinon, il persistera des freins d’exportation de composants ou d’équipements.
– Mais Matra BAe Dynamics avait, au tout début, bénéficié d’une commande énorme de 1 400 missiles Scalp dans la corbeille de mariage. Cela n’enlève rien à son succès, mais cela a facilité considérablement les choses…
– Je m’en souviens, j’étais chez Matra à l’époque (rires). C’est vrai que pour KNDS, les deux actionnaires ont préféré s’unir d’abord, avant d’avoir les programmes communs, ce qui demeure notre objectif stratégique majeur.
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