Un engrenage militaro-médiatique s’est lancé sans que personne ne semble s’en inquiéter outre-mesure. Il est vrai que le monde s’est progressivement habitué aux déclarations guerrières moscovites depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022. Mais la réalité pourrait progressivement rejoindre la fiction rappelant les romans de Tom Clancy.

Les manœuvres russes

Le 22 octobre, le président russe Vladimir Poutine a assisté à distance par visioconférence à des exercices des forces nucléaires stratégiques lors de manœuvres planifiées de longue date.

À cette occasion, l’armée russe a réalisé un tir d’essai du missile balistique intercontinental RS-24 Yars (SS-29) depuis le cosmodrome de Plessetsk, près du cercle polaire arctique à destination d’un réceptacle de Kura situé au Kamtchatka en Extrême-Orient russe (5.800 kilomètres de distance mais ce missile à têtes multiples est donné pour une portée de 12.000 kilomètres.)

Un missile balistique R-29RMU Sineva, d’une portée annoncée pouvant atteindre jusqu’à 11.500 kilomètres, a également été lancé depuis un sous-marin en mer de Barents.

Enfin, des missiles de croisière Kh-55SM (AS-15B ) ont été tirés par des bombardiers russes Tu-95MS.

Selon le Kremlin : « tous les objectifs des exercices ont été atteints.»

L’annonce de ces exercices russes non programmés est intervenue une semaine après le lancement des manœuvres annuelles des forces nucléaires de l’OTAN « Steadfast Noon » qui ont engagé quelque 2.000 hommes, 71 avions et 14 pays. Cet exercice occidental d’environ deux semaines est effectué à partir de bases militaires aux Pays-Bas, en Belgique, Royaume-Uni et Danemark ainsi qu’au-dessus de la mer du Nord. Ces manœuvres étaient déclarées officiellement donc ce n’était pas une surprise pour Moscou.
D’ailleurs, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov a déclaré à leur fin : « de tels exercices sont toujours au centre de l’attention de nos militaires » qui « analysent soigneusement leurs sujets et leurs objectifs » soulignant que la Russie prenait « des mesures appropriées » pour préparer son potentiel militaire.

Plus important encore que les manœuvres stratégiques russes – en fin de compte relativement habituelles -, a été l’annonce par le Kremlin des essais d’une torpille « Poséidon » et d’un missile « Bourevestnik », tous deux à propulsion nucléaire dont les têtes peuvent emporter des armes atomiques(1). Pour résumer, ces deux vecteurs auraient la capacité de franchir toutes les protections actives et passives à venir des États-Unis (on ne parle pas de l’Europe qui n’en n’a pas.)

La nouveauté réside dans le fait que si de nombreux navires (de surface et sous-marins) et quelques engins spatiaux utilisent ce genre de technologie de propulsion, cela n’a jamais été le cas pour des armes. L’avantage apporté est qu’elles peuvent théoriquement parcourir n’importe quelle distance et donc arriver à destination par là où les défenses adverses – quand elles existent – ne les attendent pas.

Pour tenter de comprendre l’état d’esprit des dirigeants russes, il convient de se rappeler que la Russie – depuis l’époque des Tsars – est historiquement hantée par le « complexe de l’encerclement. » Depuis l’effondrement de l’URSS en 1991, elle considère que l’Alliance atlantique l’étrangle progressivement sous l’influence, à l’origine des néoconservateurs américains, mais aujourd’hui relayés voire dépassés par leurs homologues européens.

La réponse du président Donald Trump

À la suite de toutes ces manœuvres et annonces venant de Russie, le président Donald Trump a affirmé sur les réseaux sociaux avoir ordonné au Pentagone de « commencer à tester nos armes nucléaires sur un pied d’égalité » avec la Russie et la Chine. Il n’a pas précisé à quel type d’essai il faisait référence. Il a ensuite précisé : « La Russie fait des essais, et la Chine fait des essais, mais ils n’en parlent pas […] Vous savez, aussi puissantes que soient (les armes nucléaires), le monde est grand. Vous ne savez pas nécessairement où ils font des essais. Ils font des essais souterrains, en profondeur, où les gens ne savent pas vraiment ce qui se passe. Vous sentez une petite vibration. Ils font des essais et on n’en fait pas. Nous devons en faire. »

Or pour le moment, hormis la Corée du Nord, aucun pays n’a procédé à un essai d’arme atomique avec explosion nucléaire au XXIe siècle.

De plus, il faut savoir qu’avec les systèmes de surveillance actuels – en particulier sismiques -, aucun test de ce type ne peut être effectué sans être détecté.

Sur-réaction du président Poutine

Suite aux déclarations ambigües de Trump, Poutine a pris la mouche et répliqué le 5 novembre : « j’ordonne au ministère des Affaires étrangères, au ministère de la Défense, aux services spéciaux et aux agences civiles compétentes de recueillir des informations complémentaires, de les analyser au Conseil de sécurité et de soumettre des propositions coordonnées sur les préparatifs possibles en vue d’essais nucléaires. »
En clair, la Russie pourrait se préparer à reprendre ses essais de charges nucléaires si les États-Unis en effectuent en premier.
L’ancien président et vice-président du Conseil de sécurité, Dmitri Medvedev connu pour son extrémisme, y est allé de son petit couplet : « personne ne sait ce que Trump entendait par ‘essais nucléaires’ mais il est le président des États-Unis et les réponses de tels propos sont inévitables : la Russie sera contrainte d’évaluer l’opportunité de procéder elle-même à des essais nucléaires à grande échelle. »

Qu’en est-il du « Traité d’interdiction complète des essais nucléaires » ?
Les deux pays ont signé en 1996 le « Traité d’interdiction complète des essais nucléaires » (TICE) ou « Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty » (CTBT), un accord international par lequel chaque État partie s’engage à ne pas effectuer d’explosion expérimentale d’arme nucléaire dans quelque environnement terrestre que ce soit.
Alors que Moscou a ratifié le TICE en 2000, Washington n’a jamais franchi cette étape finale. Poutine a donc révoqué sa ratification en 2023.

Mais suite aux déclarations de son homologue américain, Poutine a affirmé :
« la Russie a toujours scrupuleusement respecté ses obligations au titre du TICE et nous n’avons aucune intention de nous en écarter […] Toutefois, si les États-Unis ou d’autres signataires du traité procèdent à de tels essais, la Russie se doit également de prendre les mesures qui s’imposent. »
Le ministre de la Défense, Andreï Beloussov, a dans la foulée insisté sur la nécessité d’une préparation immédiate dans l’archipel arctique de Nouvelle-Zemble (Novaya Zemlya), un des polygones de tir nucléaires de l’ex-URSS.

Toutefois, le Kremlin a ensuite minimisé les propos de Poutine, affirmant que le président n’avait pas ordonné la préparation de nouveaux essais nucléaires et qu’il avait simplement « donné pour instruction d’étudier l’opportunité d’entamer les préparatifs de tels essais. »

Qu’en est-il des essais ?

La plupart des pays détenteurs de l’arme nucléaire ont remplacé les essais de charges réelles nature par des simulations de manière à pouvoir moderniser leurs ogives.
Mais les grands progrès ont surtout été recherchés dans le domaine des vecteurs à l’image de la France qui a admis en service opérationnel le 24 octobre 2025 le missile M51-3 qui emporte la tête nucléaire océanique TNO-2. Son remplacement par le M51-4 est prévu à l’horizon 2035.
Les missiles aéroportés sous avions Rafale sont actuellement des ASMPA qui devraient être remplacés par l’ASMPA-R puis par l’ASNA4G vers 2035.

Quel emploi envisagé ?

Au moment où les grandes puissances envisagent de muscler leur défense aérienne – mais il semble que, non seulement c’est extrêmement couteux, mais surtout d’une efficacité non garantie (c/f les bombardements ukrainiens dans la profondeur du territoire russe) -, le problème pour l’attaquant est de pénétrer ce rideau de protection. Pour la charge, peu importe la puissance dans la mesure où elle est suffisante pour raser une ville.
Certains politiques font semblant de croire qu’une guerre engageant des armes nucléaires stratégiques est gagnable en construisant des murs anti-missiles, des abris souterrains, etc. . C’est totalement illusoire dans la mesure où les destructions de part et d’autre seraient de toute façon inacceptables.

Il reste le problème des armes tactiques qui, si elles sont employées sur certains champs de bataille, n’entraîneraient pas automatiquement une réponse stratégique.
Le scenario le plus souvent évoqué est celui de l’Ukraine : si la Russie met en oeuvre des armes tactiques, rien ne dit que les Américains (et donc l’OTAN) déclencheraient l’apocalypse.

Tout cela risque d’être remis en question avec l’entrée en lice de la Chine dans les années à venir. C’est peut être le seul pays qui en raison de la superficie de son territoire (9,6 millions de km2) et le nombre de sa population (1,4 milliard) pourrait « encaisser » une frappe stratégique sauf que les États-Unis ont la capacité de renouveler les tirs.

Il faut répéter que l’arme nucléaire doit rester celle du « non emploi. »
Croire le contraire peut être considérablement plus catastrophique pour la planète que le réchauffement climatique car la montée en températures serait alors immédiate. Et en cas de nombreuses explosions, cela pourrait être suivi par ce que l’on appelle l’« hiver nucléaire » : les nuages de poussières créés par de multiples explosions, en plus d’être radioactifs, ne laisseraient plus passer les rayons du soleil(2) et la température de certaines parties du globe chuteraient drastiquement.
La vie deviendrait impossible dans les régions touchées directement en raison des destructions immédiates, mais aussi avoisinantes en fonction des vents qui transporteraient les nuages de particules radioactives.

Cela dit, des armements nucléaires sont destinés à dissuader un agresseur éventuel. Ce sont donc des armes « politiques » qui permettent de peser à l’international. Il est donc envisageable qu’à moyen terme des essais de charges nucléaires en grandeur nature aient lieu pour marquer la détermination des dirigeants politiques au pouvoir.
Mais si Trump ne fait pas procéder à un essai comme sa déclaration peut le laisser entendre, il y a peu de chances de la Russie le fasse en premier. Mais dans le cas où les États-Unis vont au bout de leur logique en effectuant un tir, la Russie répliquera automatiquement.

(1) Voir : « Après le test d’un missile à propulsion nucléaire russe, celui d’une torpille de la même facture » du 30 octobre 2025.