Il est en train de se passer dans le nord-ouest de la Syrie ce qui arrive généralement après l’effondrement d’une dictature après plus de soixante deux ans de pouvoir et 14 ans de guerre civile : des règlements de comptes en dehors de toute légitimité « démocratique » mais, pour le moment, la Syrie est très loin d’être une « démocratie » à l’Occidentale (système que de nombreux nouveaux dirigeants rejettent d’ailleurs car « impie, colonialiste, impérialiste », etc.).

En effet, le parti socialiste arabe Baas du clan Assad a régné en maître depuis 1963 écrasant par la force la plus brutale toute tentative de contestation. Il s’est appuyé sur la minorité alaouite représentant dix pour cent de la population qui est majoritairement sunnite. Le régime en place à Damas a trouvé un regain de puissance avec l’arrivée des mollahs chiites au pouvoir à Téhéran en 1979 car l’idéologie religieuse alaouite est relativement proche du chiisme. Surtout, Téhéran a mesuré tout d’intérêt qu’il y avait à étendre son influence vers l’ouest ce qui a amené à partir des printemps arabes à la constitution du « croissant chiite » (ou « arc chiite ») qui s’étendait de l’Iran au Liban via l’Irak et la Syrie.

L’effondrement brutal du régime Assad en décembre 2024 a surpris nombre d’observateurs mais encore plus la minorité alaouite qui s’est retrouvée acculée dans son berceau, la région côtière de Lattaquié-Tartous.
Depuis le début de l’année 2025, des bandes armées alaouites ont tenté de contester l’avancée des forces insurgées venant de la province d’Idlib et en particulier l’Armée Nationale Syrienne qui a succédé à l’Armée Syrienne Libre pilotée par Ankara mais non contrôlée par le Hayat Tahrir al-Sham (HTS) dirigé par le nouveau président « intérimaire » Ahmed al-Charaa.

L’ancien brigadier général Ghiath Soleiman Dalla de l’ex 4è division alors commandée par Maher Al-Assad, un frère de l’ex-président, avait annoncé une nouvelle rébellion contre le gouvernement actuel, affirmant qu’il créait le «Conseil militaire pour la libération de la Syrie.» Il aurait été rejoint par d’anciens officiers du régime qui ont refusé de rendre leurs armes et qui ont formé des groupes de résistance dans les zones montagneuses de la région côtière qui sont difficiles à contrôler.
À partir du 6 mars, des attaques – décrites comme les plus graves depuis la chute du régime – ont ciblé des patrouilles de sécurité, des postes de contrôle et des hôpitaux, faisant des morts et des blessés.

En réponse, les forces de sécurité et l’armée ont lancé des opérations de grande envergure pour traquer les assaillants.
Le bilan de deux jours d’affrontements entre les forces de sécurité syriennes et les loyalistes d’Assad s’élèverait selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme basé au Royaume-Uni, à au moins 745 civils alaouites tués dans les provinces de Lattaquié et Tartous ainsi qu’environ 125 membres des forces de sécurité gouvernementales. En outre, 148 combattants pro-Assad auraient été tués faisant un bilan global de 1018 tués. On s’attend à ce que ce nombre soit revu à la hausse dans les heures et les jours à venir.
Des tueries de civils ont particulièrement eu lieu dans plusieurs localités alaouites de la côte dont Banias, Lattaquié et Jableh.

Leurs auteurs ne sont précisément identifiés mais certains parlaient ouzbek ou tchétchène. Des civils étaient également parmi ceux qui ont perpétré ces meurtres et des pillages.

La situation a commencé à se stabiliser lorsque les forces de sécurité dépêchées par le HTS depuis la région d’Alep sont arrivées sur place. Elles auraient repoussé les factions armées et fourni des couloirs d’exfiltration aux familles menacées pour qu’elles rejoignent des zones sûres. La base aérienne de Hmeimim toujours tenue par des forces russes a accueilli de nombreux civils fuyant les exactions.

Le président Charaa a déclaré le 8 mars que les récents « incidents » survenus ces derniers jours étaient « sous contrôle », les qualifiant de « défis attendus ». Il a ajouté : « nous devons préserver autant que possible l’unité nationale [et] la paix civile et, si Dieu le veut, nous pourrons vivre ensemble dans ce pays […] J’appelle toutes les forces qui ont rejoint les lieux de combat à obéir pleinement aux chefs militaires et sécuritaires sur place et à évacuer immédiatement les lieux pour contrôler les violations qui ont eu lieu, afin que les forces militaires et sécuritaires puissent terminer leur travail de la meilleure façon possible. »

Les deux camps se rejettent la responsabilité des tueries : les pro-Assad auraient massacré des civils alaouites qu’ils considéraient comme des « traitres » ; des membres incontrôlés de l’ANS et des civils se seraient vengés sur ces mêmes Alaouites… Les militaires savent bien que la guerre est une chose abominable mais que la guerre civile est encore pire car elle ne connaît absolument aucune règle.
En attendant la suite des enquêtes, il semble que la majorité des massacres serait le fait de groupes de d’ex-rebelles « incontrôlés » par le nouveau pouvoir. D’ailleurs, le directeur de la sécurité de la province de Lattaquié, Mustafa Kneifati, a déclaré à l’agence de presse SANA : « nous ne permettrons pas la sédition ou le ciblage d’une quelconque composante du peuple syrien. »

À la suite des violences déclenchées contre les Alaouites, le ministère syrien de la Défense a mis en place un comité d’urgence chargé d’enquêter sur les violations potentielles survenues lors des récentes opérations militaires et de poursuivre les responsables.
Selon l’agence SANA, « le comité examinera attentivement si les instructions du commandement ont été suivies pendant les opérations et ceux qui ont violé les règles seront déférés à un tribunal militaire. »
Il n’en reste pas moins que de nouveaux combats auraient éclaté dans la centrale électrique au gaz de Banias quelques heures seulement après l’appel du président par intérim du pays.

Le colonel Hassan Abdul Ghani, porte-parole du Ministère de la défense, a déclaré que « la deuxième phase de l’opération militaire visant à poursuivre les vestiges et les officiers du régime défunt a commencé dans les campagnes de Lattaquié et de Tartous, après le rétablissement de la sécurité et de la stabilité dans les grandes villes côtières. »