Ronen Bar, le chef du service de sécurité intérieure israélien Shin Bet (aussi appelé Shabak) a rendu publique une lettre adressée au gouvernement qui met en garde les autorités contre la menace émergente du terrorisme des colons extrémistes.

Il estime que ce terrorisme est soutenu par de nombreux membres du « système » et qu’il va se transformer en un mouvement qui menacera le bien-être d’Israël.

 

Ci-après  quelques passages importants rapportés par la presse israélienne.

« Je vous écris cette lettre dans la douleur. Dans une peur profonde. En tant que Juif, en tant qu’Israélien et en tant que responsable de la sécurité, j’ai appris l’existence d’un phénomène croissant de terrorisme juif par les ‘jeunes des collines’.

Ce phénomène a depuis longtemps été à l’origine  de nombre d’actions terroristes dirigées contre les Palestiniens.

Avec la détérioration de la situation sécuritaire, l’incapacité de la police à faire respecter la loi, et peut-être des encouragements cachés de sa part, le phénomène est en train d’évoluer et de prendre de l’ampleur.

Il est désormais repris par des centaines de personnes, qui n’ont plus peur de l’incarcération en raison des bonnes conditions de détention.

En plus de l’argent qu’ils reçoivent à leur libération et des éloges dont ils font l’objet de la part de membres de la Knesset, les services de sécurité se retrouvent délégitimés.

Ils sont passés d’une activité secrète et restreinte à une organisation ouverte et à grande échelle.

Parfois, cela est dû à l’utilisation d’armes fournies par l’État.

Ils se sont déconnectés de l’establishment pour recevoir le soutien de certaines parties de ce même establishment.

La solution n’est pas le Shin Bet. Le service est un pansement destiné à s’occuper d’un petit groupe d’extrémistes. Il ne peut pas s’attaquer à la racine du problème.

Ce qu’il faut, c’est une coalition de dirigeants, comprenant des ministres, des fonctionnaires, des rabbins et des dirigeants régionaux.

Les dirigeants de ce mouvement ont tenté de faire perdre totalement le contrôle du système. Nous sommes à la veille d’un processus qui va changer notre réalité. Les dommages causés à Israël et à la plupart des colons sont indescriptibles :

1. dé légitimation globale, même parmi nos amis les plus proches ;

2. des forces importantes de Tsahal sont nécessaires, et elles ont déjà du mal à répondre aux besoins opérationnels ;

3. des vengeances violentes ouvriront un autre front dans la guerre multi fronts déjà existante ;

4. l’entrée dans le cycle de la terreur de nouveaux éléments qui en étaient exclus ;

5. une pente glissante vers l’anarchie.

6. des difficultés à créer des alliances régionales contre l’axe chiite ;

7. c’est avant tout une « tache » sur le judaïsme et sur nous tous.

Continuer dans cette direction conduira à de grandes effusions de sang et transformera le visage d’Israël en quelque chose de méconnaissable. En fin de comptes, trop d’éléments de la société israélienne soutiennent le terrorisme juif. Les conséquences de ce soutien pourraient mettre en péril l’existence d’Israël en tant qu’État juif et démocratique. Il s’agit d’une crise à laquelle il faut remédier ».

Dans sa lettre, Bar a tiré par ailleurs la sonnette d’alarme à propos du récent déplacement du ministre de la Sécurité intérieure, Itamar Ben Gvir, au mont du Temple pour la journée de jeûne juif de Tisha Beav. Des visiteurs juifs ont été filmés en train de prier en contravention avec les instructions de la police et le statu quo qui s’applique à un complexe qui est à la fois le site le plus sacré du judaïsme et le troisième lieu saint de l’islam.

« Des Juifs ont été filmés en train de prier ici, c’est le résultat de ma politique », avait déclaré Ben Gvir le jour-même, prenant l’exact contre-pied du Premier ministre Netanyahou pour lequel les règles n’avaient pas changé.

Dans le sillage de la lettre du chef du Shin Beth, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, s’en est pris le 23 août à Ben Gvir. Il lui reproche d’encourager les extrémistes juifs en Cisjordanie et ailleurs, ce qui occasionne des « dommages indescriptibles » à Israël.

« Là où le ministre Ben Gvir et ses actes irresponsables mettent en jeu la sécurité d’Israël et créent des divisions au sein du pays, le chef et les membres du Shin Bet font leur devoir et mettent en garde contre les graves conséquences de tels actes ».

Suite à la mise en garde de Bar, Ben Gvir leader du parti d’extrême droite Otzma Yehudit aurait exigé son limogeage en tant que directeur du Shin Bet.

Ensuite, Ben Gvir a réagi au message de soutien de Gallant à Bar en déclarant : « Vous dites que vous allez ramener le Liban à l’âge de pierre. Mais jusqu’à présent, c’est le nord qui est revenu à l’âge de pierre. Au lieu de m’attaquer sur Twitter, prenez vous-en au Hezbollah au Liban. »

C’est une allusion du ministre de la Sécurité intérieure aux avertissements lancés par Yoav Gallant au sujet des conséquences d’une guerre totale dans le contexte des attaques quasi quotidiennes du Hezbollah contre les communautés israéliennes et postes militaires situés le long de la frontière depuis octobre dernier.

Depuis l’an dernier, les activistes des implantations juives ont pris part à plusieurs émeutes dans des villes palestiniennes de Cisjordanie et causé des dégâts matériels voir des dégâts humains parmi les Palestiniens.

Mais les inculpations restent rares tout comme les condamnations. C’est pour cette raison que les États-Unis et d’autres pays occidentaux ont pris des sanctions à l’encontre des extrémistes israéliens des implantations en début d’année.

Enfin, ce n’est pas une chose inhabituelle que des responsables des services de sécurité alertent leurs dirigeants politiques d’un danger – dont celui représenté par des groupuscules  de l’extrême-droite radicale -. Mais il est pour le moins étonnant qu’un ministre en exercice – en plus celui chargé de la Sécurité nationale (1) – fasse l’objet de critiques indirectes émanant de deux des plus grands serviteurs de l’État. La situation chaotique que traverse Israël en ce moment fait que ces deux responsables ne peuvent être changés « au milieu du gué ». Mais l’un ou l’autre ont toujours la possibilité de démissionner. Benny Gantz, membre du cabinet de guerre l’a bien fait en juin 2024.

1 . Le ministère de la Sécurité nationale a trois domaines de responsabilité : la sécurité publique, l’application de la loi et les services pénitentiaires. Il supervise un certain nombre d’organismes opérationnels, notamment : la police israélienne, le service pénitentiaire, l’autorité israélienne d’incendie et de sauvetage et l’autorité de protection des témoins.

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Texte

Alain RODIER