Les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ont décrit à la fin 2023 l’évolution du programme nucléaire iranien comme « un pas dans la mauvaise direction. »

Héloïse Fayet, spécialiste de l’Ifri estime pour sa part que « l’Iran se donne les capacités techniques de monter, s’il le juge nécessaire, à l’enrichissement des particules d’uranium à 90% », étape indispensable avant la militarisation d’un programme nucléaire.

Une désescalade avait néanmoins eu lieu à l’été 2023, Washington ayant autorisé le dégel d’un certain nombre de fonds bloqués ainsi que la libération de prisonniers. Téhéran avait alors ralenti ses activités d’enrichissement d’uranium.

Mais la tendance se serait ensuite inversée.

Les dernières déclarations du 12 février de l’ancien ministre iranien des Affaires étrangères et chef du programme nucléaire, Ali Akbar Salehi, font réfléchir.

Lors d’une interview télévisée, il a évité de donner une réponse directe à la question de savoir si le régime avait atteint la capacité de développer des armes nucléaires mais il a déclaré : «nous avons [franchi] tous les seuils de l’arme nucléaire. sciences et technologie. Voici un exemple : imaginez ce dont une voiture a besoin ; elle a besoin d’un châssis, d’un moteur, d’un volant, d’une boîte de vitesses. Vous demandez si nous avons fabriqué la boîte de vitesses, je dis oui. Avons-nous fabriqué le moteur ? Oui, mais chacun sert son propre objectif. »

Et Ali Akbar Salehi est quelqu’un de sérieux et de compétent qui ne peut parler sans autorisation même s’il n’est plus directement aux affaires.

Après avoir obtenu un bachelor of science en génie mécanique à l’université américaine de Beyrouth, puis un doctorat en ingénierie nucléaire du Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 1977, il est rentré en Iran. Il a été nommé par le nouveau régime président de l’université de technologie de Sharif. De 1997 à 2005, il a représenté son pays auprès l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). En juillet 2009, il a succédé à Gholam Reza Aghazadeh à la tête de l’organisation de l’énergie atomique d’Iran (OEAI).

Salehi a été nommé ministre des Affaires étrangères sous la présidence d’Ahmadinejad de décembre 2010 à novembre 2013 mais il a repris la direction de l’OEAI jusqu’en août 2021. Il a été remplacé par Mohammad Eslami par le président Ebrahim Raïssi.

Ali Akbar Salehi à droite sur la photo.

En clair, il a sous-entendu que Téhéran avaient bien atteint ce que les spécialistes appellent le « seuil nucléaire. » C’est-à-dire qu’ils détiennent la technologie nécessaire à la fabrication des bombes atomiques (comme les Japonais.)

Les avis divergent ensuite sur le temps que cela peut prendre de réaliser une force de frappe opérationnelle.

Selon certains analystes américains, la quantité d’uranium enrichi détenue par l’Iran lui permettrait  de construire actuellement douze armes.

Techniquement, la problématique est délicate. Il convient que la charge soit miniaturisée, dotée d’un système d’amorçage efficace, résistante à des conditions extrêmes (chaleur, vibrations, accélération, brouillage électronique, etc.) et adaptable sur un vecteur efficace.

Les Iraniens disposent déjà de missiles pouvant emporter une ou plusieurs charges mais l’adaptation reste complexe.

Le problème politique est bien sûr de première importance.

Les mollahs voient surtout que la détention de l’arme nucléaire est une garantie de survie pour leur régime. À titre d’exemple, le colonel Kadhafi ne serait pas tombé s’il avait détenu la « bombe. »

Mais à l’international, les Russes et les Chinois sont peu favorables à une arme nucléaire iranienne. Celle-ci pourrait avoir un effet de prolifération important dans la région. Les Saoudiens qui ont les moyens financiers de se lancer dans un programme militaire nucléaire ont fait savoir qu’ils ne sont pas prêts à laisser leur grand rival régional obtenir la bombe atomique sans réagir.

Enfin, cela fait des années que Téhéran craint un bombardement de ses installations nucléaires et balistiques par les Israéliens peut-être accompagnés par les Américains. Le dispositif industriel a donc été réparti sur l’ensemble du vaste territoire iranien et nombre d’installations sont camouflées et protégées.

Le Mossad suit cela de très près et n’hésite pas à mener des opérations de sabotage et d’assassinats ciblés quand il en a la possibilité (1).

Dans ce cadre, le prochain rapport de l’AIEA qui doit sortir en février, sera extrêmement intéressant à étudier.

1. Voir : « LES SERVICES SECRETS IRANIENS DANS LA TOURMENTE » du 4 juillet 2023.

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Texte

Alain Rodier