Le moine Pauk Ko Taw qui est une personnalité au sein de la une frange ultranationaliste du clergé bouddhiste qui était jusqu'à présent derrière la junte militaire a déclaré le 23 janvier que le général Min Aung Hlaing, le dirigeant de fait du Myanmar, devrait se retirer et laisser sa place à son adjoint, le général Soe Win.

Si l’homme qui a dirigé le coup d’État de février 2021 contre le gouvernement élu d’Aung San Suu Kyi (actuellement emprisonnée pour plus de 25 ans) provoquant la guerre civile fait l’objet de nombreuses condamnations internationales et est détesté par une grande partie de la population du Myanmar, cette critique venant de son propre camp est révélatrice de la crise que traverse actuellement le régime.

Le moine Pauk Ko Taw a été arrêté brièvement après sa déclaration mais a été relâché très rapidement ce qui démontre qu’il bénéficie d’une certaine sympathie au sein de l’armée.

Sa position s’explique dans le cadre des sévères revers que connaissent actuellement les forces de sécurité dans le pays confrontées à plusieurs insurrections (1).

Ses commentaires font écho à ceux d’autres partisans de la junte, de plus en plus frustrés par l’apparente incapacité des chefs militaires du Myanmar à résister aux rebelles.

L’opposition  entre l’armée et les moines birmans est ancienne. Elle a débuté  lors des mouvements anticoloniaux des années 1930 jusqu’aux soulèvements contre le régime militaire de 1988 et 2007.

Beaucoup se sont opposés au coup d’État de 2021, certains prenant les armes contre le régime militaire.

Mais certains ont collaboré avec les généraux, partageant avec eux la conviction que le bouddhisme et la culture birmane doivent être défendus contre toutes les influences extérieures.

À la suite de violents affrontements entre bouddhistes locaux et Rohingyas musulmans dans l’État d’Arakane en 2012, un moine militant, Ashin Wirathu, a contribué à la création d’un mouvement connu sous le nom de Ma Ba Tha, ou « Association pour la protection de la race et de la religion. »

Ce mouvement a été officiellement dissous en 2017, mais continuerait de bénéficier du soutien militaire.

Wirathu qui avait déjà été emprisonné pour incitation à la haine raciale est retourné derrière les barreaux en 2020. Mais moins d’un an plus tard, il a été libéré par l’armée et le général Min Aung Hlaing l’a comblé d’honneurs et d’argent…

Il faut reconnaître que son coup d’État de 2021 a provoqué une énorme réaction publique exigeant le retour à un régime démocratique et depuis, le général de 67 ans cherche à assoir sa légitimité en se présentant comme un champion du bouddhisme (d’où l’importance de son soutien à Wirathu) tout en se livrant à une répression féroce.

 

La guerre civile s’étend

Aujourd’hui, les maigres résultats de l’armée dans ses récents combats contre les groupes armés ethniques sème le doute dans l’esprit de ses partisans.

En particulier, de vastes étendues de territoire du nord de l’État Shan ont été conquises par les insurgés de l’« Alliance des Frères musulmans » qui est une conglomérat formé de trois groupes armés ethniques. Cette alliance contrôle désormais une grande partie de la frontière avec la Chine.

Des milliers de militaires se sont rendus avec armes et bagages. Six généraux vaincus dans l’État Shan qui s’étaient remis ont été remis aux autorités. Trois d’entre eux ont été condamnés à mort et les trois autres à la prison à vie, probablement dans l’espoir de dissuader d’autres reculades.

L’armée a continué à battre en retraite en janvier. De l’autre côté du pays, près de la frontière avec le Bangladesh, l’armée d’Arakan (ARSA), l’une des trois formations de l’Alliance, a repris plusieurs bases militaires, lui donnant le contrôle de vastes zones des États Chin et d’Arakan.

Incapable de sécuriser les routes, l’armée compte sur son nombre limité d’hélicoptères pour réapprovisionner les positions encerclées et sur des frappes aériennes pour les défendre, causant d’importantes pertes civiles.

 

Des centaines de milliers de personnes ont choisi de fuir vers en passant la frontière avec l’Inde.

De tels revers sont sans précédent dans les 75 années d’histoire des campagnes militaires du Myanmar contre les insurgés. Le moral dans les rangs s’est effondré. Le recrutement dans ces circonstances s’avère difficile.

Le général Soe Win, l’homme que Pauk Ko Taw préconisait pour prendre le commandement de l’armée, serait mécontent des mauvaises performances de ses troupes. Mais il ne montre pour l’instant aucun signe indiquant qu’il est prêt à prendre la place de son patron.

Pour le moment, cela semble peu susceptible de changer. Min Aung Hlaing s’est également montré habile à promouvoir puis à mettre à l’écart des rivaux potentiels.

En septembre dernier, le général que l’on pensait être son successeur le plus probable, Moe Myint Tun, a été soudainement arrêté puis condamné à la prison à vie pour corruption.

Mais l’armée ne peut pas se permettre de nouvelles défaites comparables à celles des trois derniers mois. L’effondrement des forces de la junte soit à Lashio, la principale ville du nord de l’État Shan, désormais encerclée, soit dans l’État d’Arakan à l’ouest ; ou dans l’État de Karen, à la frontière avec la Thaïlande, où les insurgés sont sur le point de prendre Loikaw, la capitale de l’État, pourrait conduire à une implosion du régime.

 

1. Voir : « Le Myanmar en voie d’implosion ? » du 10 novembre 2023.

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Texte

Alain Rodier