L’opération Prosperity Guardian (OPG), la coalition de pays volontaires dirigée par l’US NAVY et destinée à permettre au transport maritime international de naviguer en sécurité à travers la mer Rouge a été activée à la fin 2023.

Comprenant des alliés d’Europe et du Moyen-Orient, ainsi que le Canada et l’Australie, l’opération est néanmoins snobée par la France, l’Italie et l’Espagne qui n’ont pas souhaité se placer sous commandement américain. Ces trois pays déploient « unilatéralement » leurs frégates en mer Rouge pour « protéger les navires de leurs nations respectives ». Comme cela, si la marine américaine décidait de frapper les Houthis au Yémen s’engageant ainsi directement aux côtés d’Israël dans la guerre qui l’oppose au Hamas (et aux Houthis qui ont officiellement déclaré la guerre à l’État hébreu), les Européens pourraient prétendre qu’ils n’ont pas contribué à l’intensification du conflit rejetant ainsi toute la responsabilité sur les États-Unis.

 

Quelle est la mission exacte d’OPG ?

Pour le moment, la ligne officielle est d’« assurer le passage en toute sécurité des navires commerciaux ». Cela dit, cela reste très vague et les responsables militaires ont beau jeu de dire que sans mandat clair, il sera difficile d’obtenir les résultats souhaités.

Définir la menace est aisé : des missiles antinavires et des drones de différents types ciblent les navires marchands en route vers et depuis le canal de Suez. Tous ont été tirés depuis le Yémen par les Houthis contrôlent la majeure partie du pays, y compris la plus longue section de sa côte de la mer Rouge (450 km). Tous les missiles ont été lancés depuis la terre avec des ogives capables d’endommager de gros navires mais pas de les couler, le premier risque restant celui de l’incendie.

Les Houthis ont d’abord annoncé qu’ils cibleraient les navires appartenant à des Israéliens, puis ils ont étendu cette mesure à tous ceux qui utilisent les ports israéliens, enfin pour étendre leur menace à ceux qui font du commerce avec Israël. Après plusieurs attaques au cours desquelles la connexion israélienne des navires visés semblait vague, il convient d’en déduire que n’importe quel bateau peut être ciblé.

Tous les missiles neutralisés jusqu’à présent par les navires de guerre américains et français ont été abattus par des missiles mer-air sophistiqués prouvant que les systèmes modernes de lancement vertical guidés par les radars multiéléments de dernière génération fonctionnent comme parfaitement.

De nombreux pays qui participent à OPG disposent de navires dotés de capacités similaires. Presque tous sont également équipés de missiles sol-sol modernes capables d’attaquer des cibles en mer ou sur terre.

Si la tâche d’OPG se limite à empêcher les attaques contre des navires marchands, elle pourrait être accomplie en utilisant le principe séculaire de la navigation en convois avec la protection des navires de guerre.

Dans un convoi, des bateaux lents et sans défense naviguent en plusieurs colonnes à des distances précisément définies les unes des autres – menées, flanquées et suivies par des navires de guerre rapides capables de faire face à n’importe quelle menace.

Le système est efficace, comme peuvent en témoigner le Royaume-Uni, la Russie, Malte et de nombreux autres pays sauvés par des convois pendant la Seconde Guerre mondiale.

Mais chaque stratégie a ses limites. Un convoi est grand et encombrant, s’étendant sur des kilomètres pour donner aux navires géants une distance de sécurité les uns des autres et leur permettre de manœuvrer si nécessaire.

Quelles que soient les mesures de protection prises, les énormes pétroliers et porte-conteneurs – longs de plus de 300 mètres – constituent toujours des cibles idéales.

Les marins des navires commerciaux ne sont généralement pas formés aux opérations de convoi et la plupart n’ont aucune expérience du travail en groupe ou sous commandement militaire.

Leurs escortes, même bien armées, transportent un nombre limité de missiles et doivent planifier leur utilisation avec soin, permettant de contrer de nouvelles attaques sur la voie de navigation et doivent garder une réserve pour la défense du navire lui-même.

Une fois qu’ils ont épuisé une partie de leurs missiles, ils doivent se réapprovisionner – une tâche qui est possible en mer mais qui est effectuée beaucoup plus rapidement et en toute sécurité dans un port ami, hors de portée des frappes ennemies.

Pour franchir les 463 km critiques le long de la côte yéménite menant vers ou depuis le détroit de Bab el-Mandeb, en avançant à une vitesse supposée de 15 nœuds (28 km/h) – car les convois naviguent toujours à la vitesse des unités les plus lentes – les navires seraient exposés pendant au moins 16 heures.

Et avant même d’essayer de démarrer, ils seraient particulièrement vulnérables dans les zones de transit de la mer Rouge et du golfe d’Aden où les navires passeraient un certain temps à se rassembler, former le convoi et mettre en route.

On sait désormais que la menace des missiles Houthis est élevée et que leur arsenal est considérable. Les planificateurs navals doivent s’inquiéter de leur capacité à lancer des attaques concentrées et prolongées simultanément depuis plusieurs directions. Cela a été démontré lors de la toute première attaque, le 19 octobre, lorsque les Houthis ont lancé quatre missiles de croisière et 15 drones sur l’USS Carney, un destroyer qui opère toujours en mer Rouge et qui fera partie d’OPG. L’attaque, probablement prévue pour tester la doctrine la réponse de l’adversaire a duré neuf heures, obligeant l’équipage du navire cible à rester aux postes de combat pendant une période prolongée.

N’importe quel responsable militaire dirait à ses supérieurs politiques que la nécessité tactique nécessite des attaques contre les infrastructures de missiles Houthis à terre au Yémen : sites de lancement fixes et mobiles, installations de production et de stockage, centres de commandement et radars.

Une réponse proactive à la menace des missiles, en d’autres termes, visant à détruire la capacité de tir des Houthis, plutôt qu’une réponse réactive limitée à abattre les missiles à leur arrivée.

En théorie, les attaques contre les infrastructures adverses pourraient être basées sur des reconnaissances par satellites et par des drones d’observation puis menées par des missiles lancés depuis la mer Rouge et l’océan Indien et des drones armés depuis des bases terrestres lointaines.

Mais la seule possibilité réaliste de succès significatif nécessiterait l’engagement d’avions de combat et de bombardiers.

Les attaques contre des cibles au Yémen auraient une justification militaire claire. Mais ils comporteraient également un risque politique évident : celui de voir l’Occident, et en particulier les États-Unis, être perçus dans le monde arabo-musulman comme entrant effectivement dans la guerre menée par Israël suite aux actions terroristes du Hamas du 7 octobre.

Conscients du risque d’une telle évolution qui pourrait facilement provoquer une extension du conflit, les États-Unis tentent d’agir avec prudence, en s’engageant avec les puissances régionales et en envoyant des messages indiquant qu’ils ne veulent pas d’escalade.

La Maison Blanche et le Pentagone marchent désormais sur des charbons ardents. S’ils ne font rien, la route de la mer Rouge sera rapidement fermée, causant d’importants dégâts aux économies américaine, européenne et asiatique.

Si les demi-mesures qu’ils proposent actuellement, consistant simplement à escorter les convois sans attaquer les sites de missiles au sol, ne parviennent pas à garantir un passage sûr, ils auront perdu la face et n’auront pas réussi à empêcher un ralentissement économique.

Il reste le cas des tentatives d’abordage des navires civils afin de les prendre en otage. Le 31 décembre, quatre embarcations houthies se sont approchées et ont tiré  sur le Maersk Hangzhou immatriculé à Singapour et exploité et détenu par une société danoise, qui a appelé à l’aide. Des hélicoptères MH-60S/R Sea Hawk du porte-avions USS Eisenhower et du destroyer USS Gravely qui se trouvaient sur zone ont répondu et ont coulé trois d’entre elles « en état de légitime défense ». Les équipages ont été tués et le quatrième bateau a fui la zone. Il s’agissait de la deuxième attaque contre le Maersk Hangzhou en 24 heures. Il avait été attaqué par des missiles le 30 décembre. Lors de cette action, l’USS Gravely avait déjà détruit deux missiles balistiques « entrants » tirés depuis les côtes yéménites.

Et si les États-Unis sont finalement contraints d’attaquer les Houthis au sol, ils auront directement contribué à une dangereuse escalade qui pourrait ensuite être difficile à gérer. De plus sur le plan purement tactique, les forces armées saoudiennes et émiraties s’y cassent les dents depuis leur intervention de 2015…

 

1. Voir : « Les Houhis yéménites en guerre contre Israël » du 7 novembre 2023.

Publié le

Texte

Alain Rodier