Un ancien diplomate américain est accusé d’avoir une taupe cubaine durant plus de quarante ans.

Le contre-espionnage américain aurait été prévenu en novembre 2022 que Victor Manuel Rocha avait été une source des services de renseignement cubains (Dirección general de Inteligencia – DGI -) au moins depuis 1981.

Une opération de provocation avait alors été montée par le FBI qui a envoyé un Agent spécial agissant sous couverture contacter l’ancien diplomate.

Il a contacté M. Rocha via WhatsApp se présentant (en espagnol) sous le pseudonyme de « Miguel » et se recommandant de « vos amis de La Havane ».

Rocha a accepté de rencontrer clandestinement l’Agent « Miguel » à trois reprises, les entrevues étant filmées et enregistrées (photo ci-avant). Il a été noté que Rocha respectait des « itinéraires de sécurité » quand il se rendait à ses rendez-vous de manière à détecter une éventuelle filature. Cette façon de procéder ne s’improvisant pas, il en a été déduit qu’il avait reçu une formation dans le domaine des liaisons clandestines qui ne peut être délivrée que par des professionnels.

Rocha, croyant avoir à faire à un nouvel Officier Traitant (OT) cubain lui a raconté son passé clandestin. À noter qu’il semblait ne plus avoir de contact depuis son dernier voyage à Cuba en 2017. Heureusement d’ailleurs pour le FBI car la manœuvre aurait alors été éventée. Curieusement, Rocha ne semblait pas avoir de moyen de liaison auprès de ses anciens employeurs pour « vérifier » la véracité de l’approche de « Miguel ». Cela tendrait à prouver qu’il avait été radié – sans doute ne présentant plus d’intérêt dans le domaine du renseignement -.

Quand « Miguel » lui a demandé : « es-tu toujours avec nous? », il s’est emporté n’acceptant pas que « sa loyauté soit remise en question ». Il a même précisé : « c’est comme remettre en question ma virilité ».

Une quatrième rencontre était programmée en décembre mais ce sont deux officiers du Service de sécurité diplomatique (DSS) américain qui l’ont interrogé – cette fois officiellement -.

Il a d’abord nié connaître « Miguel » avant d’avouer une seule rencontre. Devant les preuves accablantes, il a été arrêté et présenté au tribunal fédéral de Miami pour être inculpé.

L’ancien diplomate s’est effondré en larmes lorsque sa famille a dû quitter la salle d’audience.

Selon le ministère américain de la Justice via le procureur général Merrick Garland, cette affaire était « l’une des infiltrations les plus profondes et les plus durables » du gouvernement américain par un agent étranger : « Pendant plus de 40 ans, Victor Manuel Rocha a été agent du gouvernement cubain et a cherché et obtenu des positions au sein du gouvernement des États-Unis qui lui donneraient accès à des informations non publiques et la capacité d’affecter la politique étrangère américaine ».

Parcours

Né en Colombie le 23 octobre 1950 dans une famille bourgeoise ayant migré au États-Unis, il a été naturalisé américain en 1978. Élevé à New York et obtenu des diplômes des prestigieuses universités de Yale, Harvard et Georgetown.

Il est entré dans la carrière diplomatique en 1981 effectuant de nombreux postes à l’étranger au sein du Département d’État.

l982 – 1985, Saint Domingue, République Dominicaine ;

1987 – 1989, Tegucigalpa, Honduras ;

l989 – 1991, Mexico, Mexique ;

1991 – 1994, de nouveau Saint Domingue, République dominicaine ;

1994 – 1995, passage au Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche chargé de Cuba sous la présidence de Bill Clinton ;

1995 à 1997, la Havane, Cuba ;

1997 à 1999, Buenos-Aires, Argentine ;

1999 – 2002, le sommet de sa carrière diplomatique : ambassadeur des États-Unis à La Paz, Bolivie.

Après avoir quitté le Département d’État, il a poursuivi son parcours dans le privé comme conseiller international au sein du LLYC USA, un grand cabinet de relations publiques et auprès d’un cabinet d’avocats américain.

De 2006 à 2012, il a également servi comme conseiller au « US Southern Command » (commandement militaire américain pour l’Amérique latine, les Caraïbes et Cuba).

Durant toutes ces années, il s’était construit une image d’« homme de droite » montrant d’ailleurs une admiration grandissante pour Donald Trump. Chez lui, rien ne pouvait laisser soupçonner la moindre sympathie pour le socialisme.

Maintenant que le pôt aux roses est découvert, un épisode troublant survenu alors qu’il était ambassadeur en Bolivie revient en mémoire. Alors qu’il est en poste en 2002 à la Paz, Evo Morales est alors candidat pour la première fois à l’élection présidentielle avec un programme anti-américain dans lequel il promet de renationaliser les ressources naturelles du pays. Rocha s’adresse alors directement aux électeurs boliviens, les menaçant de mettre fin à l’aide américaine « s’ils élisent ceux qui veulent à nouveau faire de la Bolivie un exportateur de cocaïne ». L’attaque vise directement Morales et provoque automatiquement l’effet inverse, c’est-à-dire sa progression dans les sondages. Celui qui fut finalement élu à la présidentielle suivante en 2005, avait d’ailleurs déclaré sur le ton de la plaisanterie que l’ambassadeur Rocha avait été « son meilleur directeur de campagne ». Le département d’État n’avait pas apprécié l’initiative de Rocha mais n’avait pas soupçonné de double jeu. Rétrospectivement, ce message calamiteux de Rocha ressemble étrangement à un coup de pouce à Evo Morales, le « candidat » de Fidel Castro.

La manipulation de Rocha par les services cubains

Pour l’instant, l’enquête n’a pas révélé vraiment quand et comment Rocha avait été recruté par « Dirección general de Inteligencia” – DGI -.

Il est possible qu’il leur ait rendu des services dès 1973 au Chili alors que le général Augusto Pinochet avait renversé le gouvernement socialiste de Salvador Allende avec le soutien des États-Unis.

Mais il semble que la manipulation a vraiment débuté en 1981 alors qu’il venait d’intégrer le Département d’État. Il constituait dès lors un objectif très intéressant car promis à un brillant avenir.

En dehors de son séjour à Cuba de 1995-97 où les contacts devaient être relativement aisés, il semble qu’il prenait toutes les mesures de protection nécessaires (ne notant rien de compromettant, faisant confiance à sa mémoire, etc.). Pour ses liaisons, il se serait rendu à de nombreuses reprises à Cuba en utilisant souvent des itinéraires détournés, particulièrement via le Panama et en profitant d’un passeport dominicain qu’il avait en sa possession.

Ce qui est certain est que la raison de sa collaboration avec Cuba est idéologique car il était secrètement marxiste et sympathisant de la cause castriste. Il semble même qu’il entretenait un vif ressentiment contre les États-Unis.

En dehors du problème purement « technique » des communications avec leur agent, les services cubains n’ont donc eu aucune difficulté à manipuler leur source.

Avant lui, un ancien fonctionnaire du département d’État, Walter Kendall Myers, avait été condamné en 2010 à la prison à vie pour avoir fourni des informations classifiées à Cuba. Ana Belen Montes (1), une ancienne analyste du renseignement de la défense des États-Unis reconnue coupable d’espionnage pour Cuba, a été libérée de prison en janvier 2023 après une condamnation à 25 ans d’incarcération.

Les États-Unis et Cuba ont eu une relation tendue depuis que Fidel Castro a renversé un gouvernement soutenu par les États-Unis il y a plus de 60 ans. Les États-Unis ont imposé un embargo commercial contre Cuba dans les années 1960. L’ancien président Barack Obama et l’ancien président cubain Raul Castro ont pris des mesures pour normaliser les relations en 2015, bien que l’ancien président américain Donald Trump ait par la suite annulé nombre de ces actions.

Lors d’une réunion d’information ayant eu lieu le 4 décembre, le porte-parole du département d’État américain, Matthew Miller, a déclaré que le département travaillerait avec les agences de renseignement américaines pour limiter tout dommage causé par la violation présumée de la sécurité : « nous travaillerons dans les jours, semaines, mois, dans les prochains mois, avec nos partenaires de la communauté du renseignement pour évaluer les implications à long terme en matière de sécurité nationale dans ce domaine ». Ils ont certainement été très importants.

1. Voir : « UNE AFFAIRE D’ESPIONNAGE HISTORIQUE MAIS PEU CONNUE » du 10 janvier 2023.

Publié le

Texte

Alain Rodier