Le maxi-procès de membres liés à la ‘Ndrangheta, la plus puissante des mafias italienne s’est terminé le 20 novembre avec plus de 200 condamnations sur 338 accusés (1). La plupart avaient été arrêtés lors de vastes opérations policières menées en 2019 pour affiliation ou des collaborations présumées avec le clan criminel Mancuso implanté dans la région de Limbadi, dans la province de Vibo Valentia en Calabre.

C’est le deuxième procès en importance intenté à la mafia italienne après celui qui s’est tenu à Palerme contre Cosa Nostra (1986-87) auquel il a souvent été comparé.

Des peines de 30 ans d’emprisonnement ont été prononcées contre Saveri Razionale, le « boss » de San Gregorio d’Ippona, et contre Domenico Bonavota, celui de Sant’Onofrio.

Par contre, l’ancien maire de Pizzo Calabro (Vibo Valentia) Gianluca Callipo a été acquitté alors que l’accusation avait requis 20 ans d’emprisonnement.

Des membres de la société civile et des fonctionnaires ont également été impactés. Ainsi, l’ancien lieutenant-colonel des carabiniers Giorgio Naselli a pris 2 ans et 6 mois de prison et l’ancien commandant de la police urbaine de Vibo Valentia, Filippo Nesci a été condamné à 4 ans d’incarcération.

Giancarlo Pittelli, avocat et ancien parlementaire de Forza Italia a été condamné à 11 ans de prison. Il aurait entretenu des relations confidentielles avec Luigi Mancuso, boss du clan homonyme, et « aurait systématiquement mis en contact des criminels disposant d’importantes richesses avec des principaux représentants institutionnels, du monde des affaires.

Les magistrats ont également découvert un lien étroit entre la ‘Ndrangheta et les représentants des loges maçonniques de la ville de Vibo Valentia dont Pittelli faisait partie.

Dans le passé, Pittelli avait présidé le conseil d’administration de la Calabrese Airport Company (SaCal), la compagnie qui gère les aéroports de Lamezia Terme, Reggio de Calabre et Crotone. Il a occupé deux mandats politiques, l’un à la Chambre des députés en 2001 et l’autre au Sénat en 2006, dans les deux cas sous l’étiquette du parti avec Forza Italia.

En 2005, il avait été inculpé dans un procès important, appelé « Poséidon » accusé d’avoir commis des détournements de fonds de l’UE dans le secteur de l’écologie. Cependant, l’enquête a été close en 2011 faute de preuves suffisantes..

Depuis janvier 2021, trois juges ont auditionné durant des milliers d’heures des témoins, parmi lesquels une cinquantaine de mafieux repentis devenus collaborateurs de justice, sur les activités de la famille Mancuso et de ses associés, un important clan de la’Ndrangheta contrôlant la province de Vibo Valentia.

Ce maxi-procès s’est tenu sous haute protection dans la ville de Lamezia Terme. Les chefs d’inculpation étaient : association mafieuse, trafic de drogue, extorsion, usure, blanchiment d’argent sale…

Soixante-dix autres personnes qui avaient choisi la procédure accélérée qui permet aux accusés de renoncer à une partie de leur droits en échange d’allègements de peines conséquents avaient été condamnées dès 2021.

Basée en Calabre, une région très pauvre située dans la pointe de la Botte italienne, la’Ndrangheta est la plus riche et la plus puissante des mafias italiennes (Cosa Nostra. Camorra, Sacra Corona Unita, Stidda).

Présente dans une quarantaine de pays, elle exerce sur sa terre d’origine une emprise étouffante, infiltrant et corrompant l’administration tout en faisant régner sa loi sur la population.

Au cours du procès, les accusés ont détaillé le fonctionnement brutal de la’Ndrangheta, son emprise sur la population locale, les rackets, le trucage des appels d’offres et des élections, le trafic de drogues, d’êtres humains, d’armes, etc. Ils ont comment ils cachaient des armes dans des cimetières ou comment ils utilisaient des ambulances pour transporter de la drogue, comment ils cultivaient de plantations de marijuana.

La’Ndrangheta serait actuellement composée d’environ 150 familles calabraises. Son chiffre d’affaires annuel se monterait à une cinquantaine de milliards d’euros à travers le monde.

Ceux qui s’opposent à la « pieuvre » sont menacés, voire disparaissent sans laisser de traces (la lupara bianca).

À la différence du maxi-procès de Cosa Nostra de Palerme en 1986-87 qui vit la condamnation de 338 mafieux et associés, celui de la ‘Ndrangheta n’a pas eu le même retentissement dans la presse et dans le public.

Avec l’aide d’Interpol, l’Italie est parvenue ces dernières années à resserrer son étau sur les réseaux mafieux. Les polices du monde entier ont bien identifié la menace que ces Organisation criminelles transnationales faisaient peser sur leurs propres pays – en collaboration avec les bandes criminelles locales ou internationales (2) -.

Mais en dépit de son envergure, ce procès ne devrait pas bouleverser les activités de la’Ndrangheta ni des autres mafias. Cosa Nostra s’est bien relevée de son propre maxi-procès. Seules les têtes ont changé mais pas le contexte.

Les « Parrains », « Boss » et autres « sicarios » ont encore de beaux jours devant eux d’autant que la recomposition de l’ordre international qui se déroule douloureusement actuellement offre des opportunités au crime organisé pour se lancer dans de nouveaux marchés lucratifs.

En effet, à côté des trafics classiques qui vont perdurer (drogues, armes, prostitution, fraudes informatique…), celui des êtres humains semble en train d’exploser sans parler de toutes les mesure pour lutter contre le réchauffement climatique et pour l’écologie qui sont de nouveaux terrains de chasse privilégiés pour les mafieux.

 

1. Voir : « Le plus grand procès contre une mafia italienne aura lieu au début 2021 » du 7 décembre 2020.

2. Voir : « Liens entre la ‘Ndrangheta et le cartel de Jalisco Nouvelle Génération » du 28 avril 2023.

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Texte

Alain Rodier