Mohammed Salah al-Din Zaidan plus connu sous le patronyme de Saif al-Adel (qui signifie : « Épée de justice »), le chef présumé d’Al-Qaida depuis la mort d’Ayman Al-Zawahiri annoncée le 31 juillet 2022 (1) a choisi l'anniversaire des attentats du 11 septembre pour dévoiler son dernier « livre » paru sur le net en langue arabe de 381 pages.
Ancien responsable de la sécurité de Ben Laden dont il était également l’expert en explosifs, il a été impliqué dans la planification des attaques contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie en 1998. Depuis sa fuite d’Afghanistan suite à l’intervention américaine de 2011, il avait été localisé en Iran. En effet, les militants d’Al-Qaida avaient fuit avec leurs famille, soit au Pakistan, soit en Iran. Par exemple, la famille de Ben Laden s’était retrouvée éclatée entre ces deux pays.
Dans un premier temps,les réfugiés avaient été placés plus ou moins en résidence surveillée sous la garde du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI, pasdarans).
Curieusement, la partie de l’organisation Al-Qaida a repris progressivement ses activités logistiques en Iran sous la supervision du GCRI.
Cela explique que les responsables d’Al-Qaida ont toujours évité de s’en prendre au chiites qu’ils considèrent idéologiquement comme des traitres à l’Islam (apostats). Les Américains soupçonnent aussi Téhéran d’avoir utilisé cette branche de la « nébuleuse » pour servir ses propres intérêts. Ils aussi dévoilé l’identité de responsables jihadistes qui étaient des « financiers » du mouvement. Par contre, il semble que toute opération opérationnelle directe menée depuis le territoire iranien était interdite.
La localisation et la liberté d’action réelle dont bénéficierait al-Adel aujourd’hui ne sont pas connues.
Toutefois, il est considéré comme un stratège de premier plan pour Al-Qaida alors que Ben Laden et le docteur Zawahiri étaient surtout des idéologues..
La sortie de ce livre vraisemblablement rédigé entre 2017 et 2022 intitulé « Lecture gratuite de 33 lois de la guerre » intervient à un moment d’incertitude sur le sort d’Al-Qaida et de sa direction. Il peut donner quelques pistes de recherches.
Il reprend les arguments tirés de l’ouvrage « Les 33 stratégies de guerre » écrit par l’auteur américain (d’origine juive) Robert Greene en 2006. Il convient de ne pas s’étonner, al-Adel a toujours montré une prédilection à lire des ouvrages étrangers et en particulier américains. Le livre de Greene est composé de discussions et d’exemples de stratégies offensives et défensives émanant d’une grande variété de personnes et de conditions en les appliquant à des conflits sociaux tels que les querelles familiales et les négociations commerciales. Il est intéressant de noter qu’al-Adel admire les idées de Greene tout en critiquant les éléments qui entrent en conflit avec les principes d’Al-Qaida et les enseignements islamiques. Néanmoins, il insiste sur le fait que les jihadistes peuvent bénéficier des théories du livre pour les appliquer dans la guerre (sans fin) qu’ils mènent pour établit le « califat mondial ».
Al-Adel souligne ainsi la nécessité d’adapter les stratégies du mouvement à l’évolution des différentes situations en faisant effort sur l’inventivité, la flexibilité et l’autocritique.
Le livre d’al-Adel est organisé en cinq sections principales, chacune contenant plusieurs chapitres couvrant un large éventail de sujets stratégiques, depuis le développement des compétences en leadership, la promotion de la dynamique d’équipe jusqu’à l’exploration des techniques de guérilla et des nuances de la guerre psychologique.
Les écrits d’al-Adel, en général, et ce livre, en particulier, mettent en lumière un changement notable dans la pensée stratégique d’Al-Qaida.
Contrairement à al-Zawahiri, qui se concentrait souvent sur des questions théoriques et religieuses, al-Adel reste un stratège avec des conseils de « terrain »..
Il préconise de s’éloigner de l’adhésion rigide à la cause en sortant des sentiers battus. Pour cela, il souhaite qu’Al-Qaida agisse de manière imprévisible.
Cette approche vise à maintenir l’ennemi dans l’incertitude rendant presque impossible toute prédiction sur les actions futures des mouvements jihadiste.
Le leadership (le commandement) est aussi un élément central de la vision d’al-Adel. Il souligne que les dirigeants doivent posséder un mélange de connaissances, d’expérience et la capacité d’imposer le respect et la loyauté à leurs fidèles.
Mais selon lui, les chefs pour être efficaces, doivent également être réceptifs aux commentaires des membres de la base favorisant ainsi une culture du travail en équipe au sein des cellules jihadistes.
Les civils ne devraient – théoriquement – pas être ciblés
La philosophie stratégique d’al-Adel déconseille fortement les attaques contre des cibles civiles. Son raisonnement est ancré dans la conviction que de telles actions contredisent les principes islamiques et compromettent l’acceptation de leur appel à l’Islam : « Si nous ciblons le grand public, comment pouvons-nous espérer que son peuple accepte notre appel à l’Islam ? ».
Il exhorte plutôt les jihadistes à concentrer leurs attaques contre les institutions gouvernementales et sécuritaires qui sont pour lui des « cibles légitimes ».
Dans les pays à majorité musulmane (le premier objectif d’Al-Qaida), al-Adel souligne l’importance de la création du chaos au moyen d’attaques coordonnées visant à semer la panique au sein des gouvernants et des groupes rivaux.
Il affirme que les attaques ne peuvent réussir que si elles sont menées en série accompagnées d’une solide propagande visant à semer la terreur, « de sorte qu’ils [les adversaires] aient le sentiment qu’aucun endroit n’est sûr ».
Tout au long de son livre, il se concentre aussi sur l’importance de la guerre psychologique pour briser l’adversaire.
Critique des politiques passées
Le livre aborde également la question des anciens partenaires qui ont rompu leurs liens avec Al-Qaida, critiquant implicitement leurs actions.
Al-Adel souligne que les dirigeants d’Al-Qaida doivent être proactifs et fermes lorsqu’ils initient une rupture des liens avec de tels insoumis. Pour lui, il faut expulser sans attendre tout élément suspect de dissidence.
Son point de vue peut être interprété comme une critique (à peine) voilée des réactions passées d’Al-Qaida face aux velléités de rupture de ses affiliés, notamment de l’État islamique (EI – Daech) et du Hayat Tahrir al-Cham (HTC), qui étaient considérées comme lentes et indécises de la part d’al-Zawahiri.
Al-Adel accorde une grande importance aux masses musulmanes en tant que partenaires idéales des groupes jihadistes promouvant une stratégie axée sur la conquête des cœurs et des esprits dans ces dernières conformément à l’approche traditionnelle d’Al-Qaida.
Les implications de ces changements stratégiques pour les actions et les alliances futures d’Al-Qaida restent à découvrir. Cependant, le danger potentiel du mouvement, surtout s’il est vraiment dirigé par al-Adel (ce qui n’a jamais été confirmé par Al-Qaida) , ne doit pas être sous-estimé.
Ce stratège redoutable pourrait conduire à une organisation plus dynamique et moins rigide sur le plan idéologique.
Livres passés
Al-Aden n’en n’est pas à son coup d’essai. Il a particulièrement émis un ouvrage intitulé « Al-Qaida – Lutte et vents de changement – Cours politique et militaire » qui a été publié en août 2015 en trois volumes.
Ce livre démontre déjà chez son auteur une réflexion approfondie, des compétences historiques et une compréhension politique, mais aussi une connaissance pointue des stratégies américaines du point de vue de « connaissez votre ennemi ».
Une grande partie de l’ouvrage se compose d’exemples historiques de révolutions et de soulèvements à travers le monde, l’objectif étant de tirer les leçons des erreurs passées et de les appliquer en vue d’un soulèvement de grande ampleur à travers le monde musulman.
Al-Adel affirme que les membres de toutes les nations du monde possèdent un trait inné qui les pousse à protester contre l’injustice et l’exploitation des gouvernants.
Il présente la révolution comme une « destruction dans le but de construire » et met l’accent sur l’aspect violent qui l’accompagne.
Pour lui, une fois la révolution réussie, un mécanisme militaro-sécuritaire devra être mis en place pour garantir le maintien des acquis. On retrouve là ce que mettent en place les talibans en Afghanistan depuis leur victoire d’août 2021 sur la coalition internationale emmenée par les États-Unis.
Il est intéressant de noter qu’al-Adel affirme qu’un soulèvement antigouvernemental peut être général et ne pas nécessairement avoir au départ des motivations islamiques. Aux mouvements jihadistes de profiter des opportunités offertes…
Il aborde aussi le concept du « soulèvement populaire » car il convient d’impliquer la population car une révolution ne peut réussir que si elle est portée par le peuple.
Pour lui, la résistance passive et non violente n’est pas suffisante pour provoquer la chute d’un régime et la formation d’un gouvernement islamique.
Cependant, un peu en contradiction, il s’attarde également longuement sur la révolution iranienne, la présentant comme un modèle remarquable de soulèvement globalement non-violent.
Al-Adel cite d’anciens historiens militaires et stratèges (tels que Liddell Hart et Clausewitz) et discute en détail de la différence entre une stratégie directe et celles qui suivent une approche indirecte.
En outre, une grande partie de ses ouvrages est consacrée à l’examen des stratégies américaines sur lesquelles son expertise est impressionnante.
En ce qui concerne Al-Qaida elle-même, al-Adel précise que l’objectif de l’attaque contre les États-Unis (obsession des émirs successifs d’Al-Qaida) n’est pas seulement destiné à affaiblir cette puissance ou à renverser son gouvernement mais à créer un climat idéologique révolutionnaire qui amènera les peuples musulmans àprendre position contre leurs propres dirigeants.
En final, il évoque une fois de plus les « révolutions arabes » qui ont échoué en raison de leur nature spontanée et du manque de liens entre elles.
À ce sujet, il n’hésite pas à critiquer Al-Qaïda, affirmant que l’organisation n’a pas investi suffisamment d’efforts face aux différents mouvements islamiques locaux pour coordonner les révolutions. Al-Qaïda aurait dû faire comprendre clairement à ces groupes quels étaient ses plans et les encourager à prendre part au prochain soulèvement.Cette négligence de la part d’Al-Qaida a entraîné une perte de soutien parmi les jihadistes locaux dont une partie a rejoint Daech. En d’autres termes, Al-Qaida a fait preuve de négligence en donnant de l’espoir aux groupes locaux et en supposant qu’ils assumeraient eux-mêmes la responsabilité de « réaliser la volonté de Dieu ».
1. Voir : « Nouvel ‘émir’ pour Al-Qaida ? » du 16 février 2023.
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