Tout le monde avait prédit à juste titre que l’Ukraine lancerait ses principales attaques au sud sur Melitopol et Berdiansk dans le but de couper la Crimée occupée de la Russie et des parties occupées de l’est de l’Ukraine.
Or, la stratégie d’une défense en profondeur consiste à préparer plusieurs positions sur un territoire puis les utiliser pour combattre et se replier si nécessaire, échangeant des kilomètres contre l’attrition de l’adversaire.
Les Russes ont donc construit des centaines de kilomètres de fortifications multicouches bien adaptées à une défense en profondeur. Cela constituait ce qui a été appelé « la ligne Surovikine » du nom du général qui commandait le corps expéditionnaire russe en Ukraine.
Mais depuis le début de la contre-offensive ukrainienne, mais ils ont passé leur temps à combattre en avant la première ligne avec la plupart des forces disponibles.
Il faut dire qu’entre-temps, le général Sergueï Surovikine est tombé en disgrâce au Kremlin après la courte et infructueuse rébellion du chef de guerre Eugène Prigojine à qui il était lié par une solide amitié.
Il a été remplacé par le général Valéri Gerasimov, commandant l’ensemble des armées russes. C’est sous son commandement direct que les troupes russes n’ont plus utilisé la défense en profondeur comme cela était prévu initialement.
Non seulement elles ne se pas contentées de mener un combat défensif mais ont aussi contre-attaqué avec tous les moyens disponibles qu’elles ne pouvaient pourtant pas se permettre de gaspiller.
Selon un expert ukrainien : « Les Russes ont construit une défense en profondeur dans le sud de l’Ukraine, mais ont passé la majeure partie de la contre-offensive sans l’utiliser ».
Les généraux ukrainiens pensaient que la première ligne russe serait la partie la plus difficile à briser tandis que les seconde et troisième seraient plus aisées à conquérir.
Le colonel (er) ukrainien Viktor Kivliuk, du centre de réflexion pour les stratégies de défense expose : « la défense [russe] comptait sur ses capacités à battre en retraite […] Mais s’il ne reste plus personne pour battre en retraite depuis la première ligne, qui défendra la seconde ? ».
Pour lui, la plupart des véhicules, de l’artillerie, de la défense aérienne et des communications russes se trouvent entre la première et la deuxième ligne et il n’y a pas grand chose de disponible entre la deuxième et la troisième.
Les commandants ukrainiens s’attendaient également à une baisse de la densité des mines à mesure qu’ils avanceraient ce qui devait leur donner plus de marge de manœuvre.
Il existe plusieurs hypothèses raisonnablement solides quant aux décisions militaires prises par la Russie.
La plus évidente est un désaccord doctrinal.
Surovikine souhaitait une défense de position classique, épuisant toute avance sur plusieurs lignes défensives, tandis que Gerasimov – qui aurait reçu des instructions précises du président Poutine allant dans ce sens – s’est lancé dans une défense active avec des contre-attaques régulières sur les flancs.
Dans cette version des évènements, Gerasimov a peut-être été trop confiant et a surestimé ce que les forces à sa disposition pouvaient accomplir avec une défense active.
Une autre raison pourrait être que l’armée russe ne disposait pas de suffisamment de forces pour occuper ses lignes.
Cet été, les observateurs étrangers jetaient le doute sur la contre-offensive dans le sud, qui avait débuté début juin.
Après que les brigades attaquantes se soient enlisées et aient perdu des véhicules, certains n’ont pas tardé à considérer l’opération comme une entreprise vouée à l’échec.
Le Pentagone avait une faible opinion de leurs chances de succès avant même que la contre-offensive ne débute.
Les progrès récents, plus réguliers, sont ce que les observateurs attendaient avec impatience. Certains responsables ukrainiens ont qualifié cela de « tournant ».
Mais cela ne signifie pas que les succès ukrainiens feront perdre le contrôle de la situation par la Russie même si cette dernière a paru s’aggraver pour elle au fur et à mesure que les armements déversés par les Occidentaux s’intensifiaient.
Avec l’augmentation des pertes et le déploiement de réserves stratégiques, Moscou pourrait devoir prendre des décisions difficiles quant à l’endroit où retirer ses troupes pour les redéployer dans le sud. De plus, même si le président Poutine a affirmé que 270.000 volontaires se sont engagées dans l’armée russe au cours des sept derniers mois, les équiper, les former et les amener sur le front sud à temps pour faire la différence relève de l’exploit.
Mais maintenant, il faut s’attendre à un gel de la situation.
Réactions de l’Ukraine à la stabilisation du front
Kiev semble avoir parfaitement compris que le front allait se figer au moins pour quelques mois. L’arrivée des chars américains ABRAMS ne changera rien à court terme – même dans la mesure où ils seraient opérationnels immédiatement, ce qui est peu probable – car il n’existe aucune « arme miracle ».
En conséquence, les Ukrainiens ont décidé d’intensifier la pression de manière différente, en particulier en frappant la flotte de la Mer Noire, vraisemblablement avec des missiles Storm Shadow/SCALP-EG. Le siège du commandement de la Marine a été durement impacté et des navires ont été gravement endommagés. Les ponts constituent également des objectifs de choix.
De plus, Washington accepte enfin de livrer un « petit nombre » de missiles MGM-140 ATACMS qui peuvent être mis en œuvre par les lance-roquettes M142 HIMARS déjà en dotation. Ils viendront utilement renforcer la capacité destructrice des missiles de croisière franco-britanniques Storm Shadow/SCALP-EG.
Comme cela a été démontré ces derniers mois, les Ukrainiens font preuve d’inventivité dans de nouvelles armes qui viennent « piquer » les navires russes comme les drones navals. Un groupe privé qui se nomme lui-même « Brave-1 » serait en train de tester des drones sous-marins connus sous l’appellation de « Marichka ».
La Crimée risque de devenir difficile à vivre pour les forces russes dans les temps à venir. De plus, ces actions offensives sont largement médiatisées dans un but « psyops » pour tenter de motiver les populations ukrainiennes et convaincre les Occidentaux que leur coopération active doit se poursuivre.