La direction de la Communication de la Présidence turque a annoncé le 3 juin que le président Recep Tayyip Erdoğan avait désigné le Pr. Ibrahim Kalin à la tête de l'Organisation nationale du renseignement (MIT) pour succéder à Hakan Fidan nommé ministre des Affaires étrangères. Il a été intronisé deux jours plus tard.

Ibrahim Kalin occupait depuis 2014 le poste de porte-parole de la Présidence de la République de Turquie.

Âgé de 51 ans, il a également été vice-président du Conseil de sécurité et de politique étrangère de la présidence turque et conseiller principal de Recep Tayyip Erdoğan depuis 2018.

Après sa victoire aux élections du 28 mai, le président turc avait dévoilé son nouveau cabinet à la suite de son investiture dans la capitale Ankara. Hakan Fidan étant nommé ministre des Affaires étrangères, il devait quitter le MIT qu’il dirigeait depuis 2010.

Le nouveau directeur natif d’Erzurum a consacré sa jeunesse à l’étude de la philosophie et de la religion musulmane. En 2002, il a obtenu un doctorat en philosophie avec une thèse intitulée : « La théorie de la connaissance de Molla Sadra et la possibilité d’une épistémologie anti-subjectiviste »…

Considéré comme un théologien ayant traduit de nombreux ouvrage portant sur l’islam, il est lui-même l’auteur de nombreux livres.

Cela ne l’empêche pas d’être aussi un excellent chanteur et musicien qui peut être vu sur Youtube.

Entre 2005 et 2009, il a été le président fondateur de la Fondation pour la Recherche Politique, Economique et Sociale, tout en entamant une carrière dans la fonction publique.

En 2009, il est devenu conseiller d’Erdoğan, alors Premier Ministre, chargé des affaires étrangères.

L’année suivante, il a été nommé coordinateur de la diplomatie du Premier ministre, un poste nouvellement crée qu’il a été le premier à occuper.

En 2011, il a rejoint le Conseil d’Administration de l’Université Ahmet Yesevi de Nursultan au Kazakhstan.

Il a été nommé en 2018 vice-président du Conseil présidentiel de la sécurité et de la politique étrangère, ainsi que conseiller principal de la Présidence.

En 2020, il a reçu le titre de professeur émérite à l’Université Ibn Khaldoun d’Istanbul.

Ibrahim Kalin incarne la nouvelle génération de l’élite universitaire et bureaucratique turque formée dans le moule voulu par Erdoğan depuis plus de vingt ans.

La promotion d’Hakan Fidan au rang de ministre peut être considérée comme une réussite mais paradoxalement, comme une manière élégante de le mettre sur la touche afin de neutraliser la menace potentielle qu’il pouvait représenter pour le président Erdoğan.

Complètement paranoïaque, le président turc a toujours considérés que ceux qui détenaient trop de « pouvoirs » (comme Fethullah Gülen dont la confrérie l’a pourtant aidé à devenir Premier ministre et à neutraliser l’armée) comme un danger pour lui.

Avec les opposants, l’affaire est simple : la justice « aux ordres » fait son office en les envoyant à l’ombre pour de nombreuses années. Il suffit de regarder le cas du Parti démocratique des peuples (HDP) représenté à la Grande Assemblée nationale de Turquie. Situé politiquement à gauche et issu du mouvement politique kurde, il veut « représenter la société turque dans sa diversité » en défendant l’écologie politique, les droits des Kurdes, des femmes et des LGBT. Ses principaux dirigeants et plus de 20.000 de ses membres et sympathisants sont en prison.

Par contre, pour ses proches, il a toujours joué plus finement. La promotion de Fidan le neutralise de fait car il n’a plus la main sur les services spéciaux qui ont une compétence extérieure et intérieure. Pour mémoire, leurs effectifs sont estimés à plus de 8.000 fonctionnaires auxquels il convient de rajouter des milliers d’honorables correspondants.

Ce n’est pas le « jeunot » d’Ibrahim Kalin (52 ans) tout diplômé qu’il soit (le passé universitaire réel d’Erdoğan reste sujet à des interrogations) qui risque de lui créer du tort.

Par contre le MIT qui a une bonne réputation d’efficacité risque de perdre un peu en crédibilité.

Or, en ce moment Erdoğan joue sur la corde raide entre les États-Unis et l’OTAN d’un côté, la Russie de l’autre.

En ce qui concerne le premier parti, Ankara persistait depuis des mois à refuser la candidature de la Suède dans l’OTAN car elle ne « coopérait » pas correctement dans la lutte contre le PKK (et autres opposants au président Erdoğan comme des fidèles de la confrérie Gülen).

Divine surprise, dans un demi-tour dont il a le secret, il a finalement accepté le 10 juillet l’entrée de la Suède à l’OTAN en échange du « soutien actif » de ce pays aux efforts visant à redynamiser le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE tout en contribuant à la modernisation de l’accord d’union douanière UE-Turquie et à la libéralisation des visas. Il reste à la Hongrie d’approuver l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Viktor Orban avait laissé entendre qu’il pourrait suivre la décision d’Ankara.

Le sommet de Vilnius va pouvoir se consacrer pleinement à l’Ukraine à propos de laquelle Erdoğan a déclaré qu’elle « mérite d’intégrer l’Otan » … contre l’avis de Washington…

Pour le second, la Russie a été mise devant le fait accompli au début juillet lorsque la Turquie a laissé partir avec le président Zelenski cinq commandants du groupe Azov faits prisonniers à Marioupol en mai 2022. Un accord tripartite prévoyait qu’ils devaient rester en Turquie jusqu’à la fin de la guerre…

Plus inquiétant est la déclaration comme quoi la Turquie « protégera » les navires transportant des céréales ukrainiennes (et russes) via la mer Noire même si Moscou ne prolonge pas l’accord conclu sous l’égide de l’ONU qui vient à expiration le 17 juillet. Que va-t-il se passer si les marines turque et russe se croisent ? Jusqu’à maintenant dans des cas un peu similaires, le président Erdoğan avait fait machine arrière (sans que cela ne soit clamé sur la place publique pour ne pas lui faire perdre la face). Il est possible que l’accord va être reconduit ce qui permettra Erdoğan de dire que c’est grâce à son intervention personnelle ! Dans ce dossier, il n’a pas toutes les cartes en main car ce sont les armateurs et les compagnies d’assurance qui décideront s’ils souhaitent s’engager en cas de retrait de la Russie…

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Texte

Alain Rodier