Après une visite à Damas au début juillet, le ministre des Affaires étrangères jordanien Ayman Safadi a été accueilli le 4 juillet par le nouveau ministre turc des Affaires étrangères Hakan Fidan.

Pour mémoire, Hakan Fidan est l’homme de confiance du président Recep Tayyip Erdoğan. Il a dirigé les services spéciaux turcs (le MIT) de 2010 à 2023 et a été nommé ministre des Affaires étrangères après qu’Erdoğan ait remporté les élections (législatives et présidentielle) en mai 2023. Il connaît tous les méandres de la diplomatie turque, particulièrement les plus scabreux.

Les deux ministres ont discuté du dossier syrien ainsi que d’une série de questions bilatérales et régionales.

Safadi a déclaré que les deux pays étaient sur la même longueur d’ondes sur l’avenir des réfugiés syriens résidant dans leurs pays respectifs, exprimant le soutien d’Amman à l’appel d’Ankara à créer un fonds international pour assurer le retour volontaire et sûr des Syriens dans leur patrie. Il a ajouté que : « la communauté internationale a également des responsabilités à cet égard, nous poursuivrons nos efforts pour établir un fond international ».

La Turquie accueille plus de 4 millions de Syriens qui ont fuit la guerre civile tandis que la Jordanie en abrite près de 1,5 million.

L’objectif d’Ankara est de finaliser une « zone tampon » dans le nord de la Syrie qui longe sa frontière sud où devraient être établis d’immenses camps de réfugiés financés par la communauté internationale.

Cette situation est proche de ce que connaissent les Palestiniens depuis la création de l’État d’Israël et plus encore, depuis l’établissement des nouvelles frontières (non reconnues par la communauté internationale) suite à la « guerre des six jours » de 1967.

La visite de Safadi intervient au moment où des négociations de haut niveau ont lieu entre Ankara et Damas – qui étaient patronnées par Fidan alors qu’il était directeur du MIT – dans le but de normaliser la situation après plus d’une décennie d’hostilités entre les deux capitales suite à la « révolution arabe » syrienne de 2011.

La Jordanie, qui est l’un des premiers États arabes à avoir rétabli les relations diplomatiques avec Damas et a officiellement abandonné son soutien aux rebelles luttant contre le président syrien Bachar el-Assad, a organisé une série de réunions entre les capitales régionales et Damas en vue de la réadmission de la Syrie dans la Ligue arabe, chose faite le 7 mai 2023.

Safadi a également été reçu par le président turc Recep Tayyip Erdoğan après son arrivée à Ankara alors qu’il avait rencontré Assad à Damas la veille. C’est un geste diplomatique fort qui montre que la Jordanie joue le rôle d’intermédiaire privilégié entre les présidents syrien et turc qui ont tous les deux un lourd passif difficile à surmonter, mais la politique ne s’embarrasse pas de sentiments personnels…Les deux couples présidentiels semblaient très proches avant 2011.

Fidan a déclaré pour sa part que la Turquie et la Jordanie poursuivraient leur coordination sur le dossier syrien : « nous estimons qu’il est nécessaire d’établir la stabilité dans la région dès que possible pour le retour des Syriens. Nous poursuivrons nos consultations sur cette question ».

La Suède

Fidan et Safadi ont condamné une manifestation au cours de laquelle des pages du Coran ont été brûlées devant une mosquée en Suède le 28 juin par un réfugié syrien. La manifestation, qui a eu lieu pendant la fête musulmane de l’Aïd al-Adha, est venue fort à propos pour permettre à Ankara de renouveler son refus de l’entrée de la Suède dans l’OTAN.

Fidan a déclaré que son pays trouvait préoccupant l’échec de la structure de sécurité suédoise à empêcher ces provocations au moment des discussions sur son adhésion à l’OTAN : « pour les évaluations de stratégie et de sécurité, il est désormais plus discutable de savoir si l’adhésion de la Suède à l’OTAN apportera plus de fardeau ou plus d’avantages ».

La Turquie traîne des pieds pour ratifier l’adhésion imminente de la Suède à l’alliance transatlantique, exigeant que Stockholm poursuive les individus et les groupes qu’Ankara considère comme des terroristes (PKK et réseau Gülen).

Fidan a rajouté : « naturellement, notre évaluation professionnelle de la sécurité ne semble pas très positive dans un contexte où la Suède, consciemment ou non, accueille [des organisations terroristes] ».

Il est vrai que la Suède a été une terre d’accueil privilégiée pour tous les opposants turcs en général et pour les membres du PKK en particulier depuis le début de la lutte armée lancée en 1984. Devant l’augmentation permanente de violences intérieures, Stockholm semble vouloir revoir sa politique en matière d’immigration.

Ce débat reviendra lors du sommet annuel de l’Alliance atlantique qui aura lieu à Vilnius les 11 et 12 juillet où Ankara va jouer un rôle de premier plan car la Turquie détient de nombreuses cartes maîtresses :

– son rôle d’intermédiaire principal entre Moscou et Kiev (le président Zelensky rencontre Erdoğan le 7 juillet à Istanbul pour lui soumettre la candidature de l’Ukraine et l’OTAN et, sujet plus immédiat, la prolongation de l’accord d’exportations de céréales via le détroit du Bosphore que Moscou semble vouloir arrêter à son terme le 17 juillet ;

– ses livraisons d’armes dont des drones Bayraktar TB2 et des munitions de différents calibres.

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Texte

Alain Rodier