Les tirs de drones provenant très vraisemblablement d’Ukraine se multiplient en Russie. Parfois ce sont des cibles symboliques (comme Moscou) qui sont visées et cela ne cause que peu de dégâts en dehors de l’humiliation que cela peut provoquer au Kremlin. Parfois les objectifs sont des sites beaucoup plus sensibles comme des dépôts de carburants ou des installations pétrolières et gazières comme la raffinerie Afipsky dans le territoire de Krasnodar le 30 mai.

Cela devient alors plus préoccupant pour Moscou d’autant que ces actions sont complétées par des déraillements de trains ou des « incidents » vraisemblables dus à des sabotages comme lorsque des « inconnus » ont incendié un relai du système de signalisation et de sécurité de voie ferrée dans la région de Novossibirsk dans la nuit du 23 mai 2023, perturbant la circulation ferroviaire sur la ligne du transsibérien.

L’option des commandos ukrainiens infiltrés est plausible, surtout quand les opérations terrestres ont lieu à proximité de la frontière. Mais il reste aussi une « guerre de partisans » qui peut être conduite par une opposition armée russe.

Elle a déjà fait parler d’elle lors de coups de main audacieux (mais tactiquement symboliques) dont le dernier a eu lieu dans la région de Belgorod (1) le 22 mai. Le 1er juin, les forces russes auraient repoussé trois tentatives de pénétration de son territoire dans la région de Belgorod qui, en outre, continue à subir des bombardements d’artillerie…

Cela dit en dehors de la propagande orchestrées ans la région de Belgorod ces derniers temps, est-ce que des « réseaux de résistants » sont en train de se constituer dans la clandestinité en Russie ? Il semble que les autorités moscovites le croient et ont commencé des enquêtes pour débusquer les « traitres ».

Des attaques ou de sabotages de bureaux de recrutement de l’armée russe ont eu lieu. Des tracts en rapport avec la « Légion de la Liberté de Russie » ont été vus sur les murs des villes de Moscou, St-Petersburg, Sotchi…

Plus rare, quelques russes souhaitant rejoindre l’Ukraine pour s’enrôler dans les mouvements d’opposition armée ont été appréhendés à proximité de la frontière. Ce n’est peut-être pas grand-chose mais cela « bouge. »

Responsable politique connu de l’opposition armée

L’ancien député de la Douma d’État, Ilya Ponomarev, qui avait été le seul membre Du parlement à voter contre le déclenchement de l’« opérations spéciale » (en clair, l’invasion de l’Ukraine) est maintenant une cible à abattre pour Moscou. Il faut dire qu’il apparait publiquement aux côté de partisans anti-Poutine en Ukraine. Selon la base de données du ministère russe de l’Intérieur : « l’ancien député de la Douma d’État Ilya Ponomarev, qui a été arrêté par contumace pour avoir diffusé des faux sur les forces armées russes, a été placé sur la liste des personnes recherchées. » Rosfinmonitoring a ajouté que l’ancien député Ilya Ponomarev déjà qualifié d’« agent étranger en Russie » a été ajouté sur la liste des « terroristes et des extrémistes ».

L’opposition « connue » au sein de l’armée

Le 21 août 2022, trois mouvements connus de l’opposition armée russe (La Légion « Liberté de Russie », le « Corps des volontaires russes » (RDK) et l’Armée nationale républicaine(NRA)) avaient signé publiquement la « Déclaration d’Irpin » qui officialisait leur unité et la création d’un centre de commandement opérationnel commun. Le drapeau blanc-bleu-blanc avait été choisi comme symbole de la lutte commune.

Leur objectif final est : « la défaite de l’armée russe en Ukraine, la libération du Donbass et de la Crimée, ainsi que la destruction du régime de Poutine et de ses vestiges. »

Le drapeau blanc-bleu-blanc cité est déjà utilisé par la « Légion de la Liberté de Russie ».

Pour sa part, l’« Armée nationale républicaine » a revendiqué dans un communiqué publié sur son compte Telegram l’assassinat de Darya Dougina le 22 août 2022 dans la région de Moscou. Elle était la fille d’Alexandre Douguine, un théoricien ultranationaliste russe dont elle partageait et diffusait les idées (2).

Le même groupe a revendiqué l’assassinat le 2 avril 2023 à Saint-Pétersbourg du correspondant et blogueur militaire Maxime Fomine alias Vladlen Tatarskii (3).

Le bureau du procureur général de la Fédération de Russie a demandé de reconnaître la Légion « Liberté de Russie » associée à Ilya Ponomarev comme une « organisation terroriste » et d’interdire ses activités sur le territoire de la Fédération de Russie.

Les réactions du Kremlin

La Russie procède depuis des années (avant ses interventions de 2014 et 2022 en Ukraine) à des arrestations massives d’opposants au président Poutine. Ils sont généralement condamnés à de lourdes peines de prison pour des motifs qui semblent parfois très futiles comme celui de divulgation de « fausses informations » sur l’armée russe.

Les « colonies pénitentiaires » semblent retrouver la grande époque des goulags staliniens. Les pires horreurs y seraient commises ayant même amené le pouvoir à muter de nombreux responsables (mais sans plus)…

Depuis la prise de la Crimée en 2014, la politique du Kremlin a consisté à laisser partir ceux qui le souhaitaient à l’étranger pensant qu’ils seraient moins dangereux à l’extérieur qu’à l’intérieur. Cette manière de procéder va à l’encontre de ce que pratiquait l’URSS qui tentait de boucler ses frontières.

Ceux qui restent sont soumis à une surveillance étroite du FSB.

Ainsi, le 18 mai, les domiciles d’opposants à Poutine ont été perquisitionnés. Celui du mathématicien Mikhail Lobanov, de Nodari Khananashvili et de Galina Filchenko. Ils sont tous cités comme « témoins » dans l’affaire criminelle lancée contre Ilya Ponomarev.

Les morts « accidentelles » ou par « maladie foudroyantes » non expliquées sont également fréquentes.

Le Kremlin avait déjà pris des mesures en proclamant différents niveaux de restrictions des libertés en octobre 2022.

Ainsi, « Le Conseil de la Fédération qui a approuvé le décret de Vladimir Poutine sur l’introduction de la loi martiale » dans les zones en Ukraine, occupées par l’armée russe à compter du 20 octobre 2022.

Les régions concernées (c/f carte ci-dessous) sont :

. en rouge : Loi martiale (zones occupées) ;

. en orange : État de préparation intermédiaire (Crimée occupée + Russie) ;

. en jaune : État de préparation accru (ouest russe) ;

. en vert : État de préparation de base (le reste de la Russie).

Le survol des grandes villes est désormais totalement interdit aux drones n’appartenant pas aux forces de sécurité.

Cette opposition au sein de la population russe est-elle un épiphénomène ou quelque-chose de plus important ? Personne ne le sait en dehors des services secrets qui les soutiennent directement ou indirectement.

Les exemples d’opposition extérieure à un régime autoritaire qui n’ont jamais abouti sont légion. Il suffit de tourner son regard vers l’Iran…

 

1. Voir : « Les Russes combattant pour l’Ukraine » du 26 mai 2023.
2. Voir : « Russie : assassinat de la fille d’un proche de Poutine » du 22 août 2022.
3. Voir : « Assassinat d’un blogueur nationaliste » du 4 avril 2023.

Publié le

Texte

Alain Rodier