Une nouvelle affaire d’espionnage de plus vient confirmer la position de l’Allemagne comme un « nid d’espion ».
Si cette spécificité n’est pas l’apanage de ce pays, il est vrai que sa position géographique en a toujours fait un centre près intéressant pour tous les services de renseignement de la planète. Cela ne date pas de la Guerre froide, de grandes affaires historiques ayant défrayé la chronique même avant la Première Guerre mondiale. Mais, ce rôle a été popularisé par le roman de John le Carré publié en 1953 : « l’homme qui venait di froid ». La trame de cet ouvrage ensuite traduit par un film se passait autour de l’opposition entre l’Allemagne Fédérale et l’Allemagne de l’Est où sévissait l’« homme sans visage » et « maître espion » reconnu Markus Wolf. Plus récemment, le film le « pont aux espions » (le pont de Glienicke) a fait œuvre de mémoire. Tous ceux qui ont vécu cette époque en ont un souvenir glacial…
La particularité de l’Allemagne est que l’on y espionnait bien sûr le pays et ses gouvernants, mais aussi que ce carrefour international permettait de se renseigner sur des tiers. Les affaires sont nombreuses et encombrent les bibliothèques spécialisées. Partant du principe qu’un cas sur dix est dévoilé, cela permet de mesurer l’ampleur du phénomène.
Aujourd’hui, ce sont les Russes qui attirent l’attention des médias, mais c’est oublier qu’au milieu des années 2010, ce sont les Américains qui ont été pointés du doigt pour activités d’espionnage et en particulier l’enregistrement de conversations de dirigeant allemands – et autres -. C’est même allé plus loin avec le recrutement par la CIA d’agents de renseignement au sein de structures utiles qui ont amené l’ambassadeur des États-Unis à être sermonné à plusieurs reprises et le chef de station de la CIA à être expulsé en 2014. Bien sûr, les services chinois sont aussi très présents mais ils ne sont pas encore le souci numéro un de Berlin.
Aujourd’hui, dans le cadre de la guerre menée en Ukraine, selon la presse allemande, le contre-espionnage (l’Office fédéral de protection de la Constitution – BfV -)(1), enquêterait sur le comportement de deux hauts fonctionnaires du ministère de l’Économie et du Climat, chargés de la question énergétique.
Les deux fonctionnaires auraient attiré l’attention de leurs collègues en défendant des positions prorusses et en critiquant les décisions du gouvernement d’Olaf Scholz en matière énergétique, notamment la suspension en février du gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie à l’Allemagne.
L’enquête a montré qu’un des deux suspects avait effectué un voyage d’études en Russie. Les deux fonctionnaires entretiendraient en outre une « proximité affective » avec la Russie. Toutefois, les services ne disposaient pas actuellement de preuve tangible permettant de les traduire en justice. Pour l’instant, ils sont donc présumés innocents.
Un autre cas plus récent vraisemblablement découvert par le contre-espionnage militaire allemand MAD(1) est celui de l’homme d’affaires de 65 ans, Ralf G., également lieutenant-colonel de réserve dans la Bundeswehr. Il aurait rencontré lors d’une réception officielle donnée par la Luftwaffe en 2014 à Berlin un attaché de Défense de l’ambassade de Russie en Allemagne. Ce contact a été suivi par des rencontres fréquentes entre les deux hommes (puis vraisemblablement avec d’autres Officiers traitants), Ralp G. donnant des informations sur des réservistes de la Bundeswehr, sur la défense civile allemande ou encore les conséquences des sanctions économiques contre la Russie suite à l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014.
Selon la presse allemande, les communications avec les Russes avaient aussi lieu sous forme d’appels téléphoniques, d’échanges de mails et par la messagerie Whatsapp. Il n’aurait pas été rétribué mais « récompensé » pour ses services par des « invitations à des manifestations organisées par les services gouvernementaux russes ».
Ses activités professionnelles qui l’amenaient à siéger dans « plusieurs comités de l’économie allemande » lui auraient permis de transmettre entre 2014 et 2020 « des documents et des informations provenant en partie de sources publiques, mais aussi de sources non publiques ».
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Arrêté en 2020 et jugé à partir d’août 2022 (le procès devrait prendre fin en décembre), il reconnait avoir transmis des informations mais affirme n’avoir pas su que ses contacts travaillaient pour les services secrets russes. Cela est faux car toute personne ayant un minimum de connaissances, et en particulier les officiers de réserve allemands, ont obligatoirement suivi des séances de sensibilisation expliquant que tous les membres des missions militaires diplomatiques russes rendent des comptes au GRU.
Il convient toutefois de noter que la méthode employée par les Russes pour traiter cette source est pour le moins peu discrète mais classique dans les milieux diplomatiques.
Le climat de « guerre » qui se développe en Europe occidentale – sans que les représentations parlementaires ne soient consultées sur ce sujet pourtant vital pour la vie des concitoyens – risque d’amener des excès dans la mesure où tous ceux qui ne sont pas en accord avec la doxa officielle sont considérés comme de potentiels « agents de l’étranger ». Cela rappelle les heures du maccarthysme ou de la « peur rouge » (1950-54).
La différence à l’époque est que c’était l’idéologie communiste qui était visée. Mais aujourd’hui ce sont les citoyens russes qui sont considérés avec la plus grande méfiance (dans certains pays comme dans les pays baltes et en Pologne, cela va plus loin, ils deviennent indésirables).
En résumé, toutes personnes qui se sont intéressées à la Russie dans le passé (qui ont eu une « proximité affective » avec elle comme décrit dans le cas des deux hauts fonctionnaires) sans parler de celles qui y ont séjourné ou pire encore, qui ont eu des connaissances russes risquent d’être considérée comme des espions potentiels. Les intellectuels et hommes d’affaires français dans ce cas sont légions.
Les affaires d’espionnage continueront à défrayer la chronique car aucun gouvernement ne songe à se passer de ce moyen qui lui permet de lire en partie le jeu de ses interlocuteurs.
Les Russes sont aujourd’hui les adversaires numéro un mais ils sont loin d’être les seuls à se livrer à des activités de renseignement délictueuses en Europe. Les services de contre-espionnage devant faire effort sur les Russes, leurs confrères d’autres nationalités sont plus tranquilles pour travailler en toute sérénité (2).
1. Comme de nombreux pays occidentaux, l’Allemagne aligne trois services de renseignement : le BfV pour le contre-espionnage (et contre-terrorisme) intérieur, le BND (Service fédéral de renseignement) pour l’extérieur et le MAD (service de contre intelligence militaire) pour le renseignement militaire. Ses personnels ont toujours été estimés comme très compétents mais handicapés dans leurs opérations par une législation restrictive.
2. Lorsque la « guerre contre le terrorisme » a été décrétée par Washington suite aux attentats de 2001, des centaines d’agents du FBI ont quitté leur poste pour se consacrer à ce combat. Les effectifs n’étant pas extensibles, ils n’ont pas été remplacés si bien que le nombre d’activités criminelles (dont l’espionnage) a grimpé en flèche.
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