Le 30 juin, Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe a déclaré à Minsk devant son homologue biélorusse, Vladimir Makeï: « le rideau de fer, de fait, il est déjà en train de s’abattre » entre la Russie et l’Occident en raison de la crise diplomatique internationale qui fait suite à l’« opération militaire spéciale », c-à-d l’invasion de l’Ukraine(1).

Il reprend la phrase de Winston Churchill prononcée aux États-Unis en 1946 « de Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un rideau de fer s’est abattu sur le continent » prenant acte de la séparation du continent européen entre les pays capitalistes et le bloc soviétique. Cela avait marqué le début de la Guerre froide.

Lavrov a même ironisé : « que (les Occidentaux) fassent attention et qu’ils ne se coincent pas (les doigts) dedans ».

Selon lui, l’Union européenne n’accorde aucune attention à l’intérêt de la Russie car elle prend ses consignes à Washington.

Le ministre a également estimé que le sommet de l’OTAN ayant eu lieu à Madrid fin juin avait démontré que les États-Unis voulaient soumettre tous les pays à leur volonté.

Son homologue biélorusse a renchéri en déclarant que le nouveau « rideau de fer » était érigé, cette fois, par les Occidentaux eux-mêmes et non par Moscou.

Il convient de se souvenir que le régime communiste en place à Moscou et dans tous les pays tombés sous sa tutelle après la Seconde Guerre mondiale craignait la fuite des populations actives vers l’Ouest, et plus particulièrement celle des savants et techniciens indispensables au développement de la société des « petits matins qui chantent ».
Ce mouvement s’est perpétué avec le temps amenant même l’érection du mur de Berlin(2) en 1961.

L’OTAN et son pendant, le Pacte de Varsovie, ont ainsi vu le jour en 1949 pour l’Alliance et en 1955 pour le second. En Europe, les armées se faisaient face l’arme au pied. C’est la politique de dissuasion nucléaire qui a empêché l’invasion de l’Europe qui se serait terminée en troisième guerre mondiale.

Cela n’a pas empêché les affrontements indirects conduits lors de la décolonisation(3), l’affaire de Suez, les guerres de Corée puis du Vietnam et par les mouvements révolutionnaires en Amérique latine, en Afrique et même en Europe. Les services secrets des pays membres du pacte de Varsovie au minimum « accompagnaient » ses « combattants de la liberté ».

C’est l’Initiative de défense stratégique (IDS) connue comme la « guerre de étoiles » mise en œuvre sous l’administration du président Ronald Reagan qui a mis à genoux l’URSS. Elle ne pouvait plus suivre financièrement et techniquement les États-Unis sur ce terrain politico-militaire puis avait connu le désastre afghan en 1989. En bref, la Russie était ruinée et ne parvenait plus à assurer la cohésion des pays de l’Est.

Il est vrai que l’Histoire ne se renouvele jamais de la même façon. Mais elle peut donner quelques clefs pour tenter d’imaginer – avec d’infinies précautions – ce qui pourrait se passer dans un proche avenir.

En Ukraine, une fois tout le Donbass conquis, les forces russes devraient consolider leurs positions en adoptant une attitude défensive.
Les Ukrainiens seront également obligés de « camper sur leurs positions », n’ayant pas assez de moyens – humains et matériels – pour lancer des offensives de rupture nécessaires pour emporter la décision.

L’évacuation de l’île des serpents est une humiliation de plus pour Moscou et une victoire pour Kiev. Mais les positions sur ce rocher de 0,17 km2 stratégiquement non indispensable étaient intenables car il était devenu un réceptacle de tir pour l’artillerie ukrainienne. Les Ukrainiens n’ont intérêt à y reprendre pied car leur corps expéditionnaire sera alors à son tour soumis aux bombardements russes (marine et aviation).

La situation devrait donc se stabiliser le long d’une ligne de front coupant l’Ukraine en deux : à l’Est et au Sud, la partie « indépendantiste », à l’Ouest l’Ukraine « libre ».
Cela ne devrait pas empêcher les coups de main locaux et des bombardements et tirs d’artillerie sporadiques.

En résumé, personne ne devrait ni gagner ni perdre la guerre.

En Europe, les armées de l’OTAN et russe devraient rester l’arme au pied même si l’affaire du « mini-blocus » de l’enclave de Kaliningrad par la Lituanie reste préoccupante(4).
Les pays Baltes et la Pologne craignent une offensive russe mais une chose a considérablement changé depuis la Guerre froide. Si les Russes ont effectivement des « intérêts » à défendre, ils n’ont plus d’idéologie marxiste-léniniste à diffuser mondialement. Il y a bien les populations d’origine russe présentes en Europe du Nord qui pourraient servir de prétexte à une intervention, mais une attaque directe contre un pays membre de l’OTAN irait directement contre les intérêts même de la Russie.

La crainte de la constitution d’un axe Moscou-Pékin est en train de s’installer en Occident. Mais, à court et moyen terme, cela irait contre les intérêts de la Chine qui souhaite étendre son influence économique à l’ensemble de la planète via son projet des nouvelles routes de la soie.

Théoriquement, le monde ne deviendra pas totalement bipolaire. D’un côté se dessine le bloc occidental plus le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle Zélande. De l’autre, la Russie et la Biélorussie. Entre les deux, la Chine, l’Inde, l’Afrique, les pays asiatiques, caucasiens (et peut-être la Turquie) qui vont jouer sur les deux camps au mieux de leurs intérêts qui peuvent être fluctuants.

Mais tout cela pourrait changer à moyen terme si la situation en Mer de Chine venait à se dégrader de manière significative.

1. La responsabilité de l’invasion de l’Ukraine revient au Président Vladimir Poutine qui en a donné l’ordre. L’ancien ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, rappelle que Georges Clemenceau avait répondu à un interlocuteur qui contestait la responsabilité de l’Allemagne dans le déclenchement de la Grande Guerre : « Peut-être mais en fin de compte, ce n’est pas la Belgique qui a envahi l’Allemagne ».
2. Selon Moscou : le « mur de protection antifasciste »…
3. Comme rien n’est simple, Washington étant alors idéologiquement pour le processus de décolonisation, se retrouvait, au moins politiquement, dans le camp de Moscou contre les puissances coloniales.
4. Voir « Lituanie – Russie. Crise en vue ? » du 22 juin 2022.

Publié le

Texte

Alain Rodier

Photos

DR