Le 7 avril, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté pour la deuxième fois depuis 2006, date de la création du Conseil des droits de l’homme composé de 47 États membres, l’exclusion d’un de ses membres : la Russie (le précédent avait été la Libye en 2011). Cette résolution a été adoptée par 93 votes pour, 24 votes contre et 58 abstentions. Israël s’est attiré les foudres de la Russie pour avoir voté en faveur de son exclusion.

La Russie avait rejoint le Conseil en janvier 2021 en tant que l’un des 15 pays élus par l’Assemblée générale pour un mandat de trois ans.

Par contre, la Russie, la Chine, Cuba, la Corée du Nord, l’Iran, la Syrie, le Vietnam, ont été parmi ceux qui ont voté contre (voir le tableau en haut).
Les abstentionnistes comptaient en particulier l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Mexique, l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Qatar, le Koweït, l’Irak, le Pakistan, Singapour, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et le Cambodge. Cela laisse à penser que l’unanimité faite contre la Russie pour son agression contre l’Ukraine est en train de se fissurer.
Le vote est intervenu alors qu’au début avril, après le retrait des forces russes de la région de Kiev, des images ont montré dans la ville ukrainienne de Boutcha des centaines de cadavres de civils dans les rues et dans des fosses communes.

Moscou s’en est ensuite pris aux pays qui ont voté pour cette résolution, en particulier contre l’État hébreu. Le vote israélien a été qualifié par le Kremlin comme une « attaque anti-Russie [qui provoque] des regrets et le rejet ». Utilisant un ton inhabituel, Moscou a évoqué ; « l’annexion rampante de la Palestine » et la « bande de Gaza devenue une prison à ciel ouvert ». Le Kremlin a accusé l’État hébreux de « maintenir la plus longue occupation dans l’Histoire d’après guerre ».
Après une période qui a semblé être hésitante, Israël s’est rangé derrière la Maison-Blanche pour lui apporter son soutien dans la politique de sanctions décrétées contre la Russie. Par contre, il refuse toujours de fournir des armements à Kiev. Bien sûr, l’État hébreux est quasi-indépendant pour ses approvisionnements en gaz en raison de ses gisements off-shore importants (Israël pourra même devenir dans l’avenir un important fournisseur pour l’Europe), par contre, il importe la moitié de sa consommation en blé de Russie et 30% d’Ukraine. De plus, Moscou est le principal fournisseur de charbon pour les centrales électriques et le changement de fournisseur ne se fait pas en un claquement de doigts et coûtera cher à l’économie. Si les déclarations à venir de Bennett devraient rester sur un ton relativement modéré, ce n’est pas le cas pour son ministre des Affaires étrangères, Yair Lapid, qui brigue le poste de Premier ministre en août 2023 et qui compte ainsi marquer sa différence.
Par contre, en raison des deux votes condamnant la Russie à l’ONU, il faut s’attende à ce que les déclarations hostiles vis-à-vis d’Israël se multiplient à Moscou dans les prochaines semaines. Comme durant la Guerre froide, le Kremlin va instrumentaliser le conflit israélo-palestinien (en revenant en permanence sur les « droits bafoués des Palestiniens ») à des fins de politique étrangère.

Un problème immobilier diplomatico-religieux qui dure depuis la fin du XIXè siècle est revenu à la surface, le président Poutine ayant adressé à la mi-avril une lettre au Premier ministre Bennett concernant le transfert de propriété du complexe de l’église russe orthodoxe Alexandre Nevsky situé à proximité du Saint Sépulcre à Jérusalem à la Russie…

Et pourtant, tout avait commencé d’une autre façon. À la demande émise le 25 février par le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui avait sollicité Bennett pour qu’il ouvre un canal diplomatique avec Moscou, le chef du gouvernement israélien s’était entretenu à de nombreuses reprises avec Poutine puis Zelensky.

Le 5 mars, et bien qu’Israël ait un des nombreux pays ayant condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie (voir tableau ci-avant), Bennett s’était rendu auprès du président russe tout en maintenant une coordination avec la France, l’Allemagne et les États-Unis. Son objectif était de maintenir un espace de dialogue entre Moscou et Kiev.
Mais à son retour de Moscou, Bennett avait lui-même estimé que les chances d’aboutir étaient infimes – mais qu’il avait « l’obligation morale » de tenter de mener à bien des négociations -.

Israël est le seul pays occidental qui n’appartient ni à un camp, ni à un autre dans cette guerre. Il entretient des relations étroites avec l’Ukraine et la Russie depuis des années. D’ailleurs, de nombreux Ukrainiens mais aussi des Russes ont rejoint Israël depuis le début de la guerre suivant ce qui s’était passé dans entre 1990 et 1999. À l’époque l’État hébreu avait ouvert ses portes aux membres de l’ex-URSS présentant un certificat de judaïcité et à leur famille (770.000 migrants) ce qui d’ailleurs avait généré de nombreux trafics de faux papiers. Aujourd’hui, sur environ neuf millions d’habitants, la communauté originaire de l’ex-URSS compte plus d’un million d’âmes. Elle est très appréciée car elle a été d’un apport très bénéfique pour Israël ayant globalement un niveau d’éducation supérieur à la moyenne.

Mais ce ne sont ni les échanges économiques ni l’immigration qui sont vraiment au centre des préoccupations de l’État hébreu. Son souci principal est l’ennemi iranien avec lequel il est en guerre larvée en Syrie. Israël tient à conserver sa liberté d’action dans le ciel syrien pour contrer les velléités hégémoniques de Téhéran.
Depuis l’intervention russe en Syrie à la fin septembre 2015, une liaison directe a été établie entre l’état-major russe basé sur la base aérienne de Hmeimim et Israël dans le but qu’aucun « incident » militaire ne surviennent lorsque Tsahal bombarde des objectifs iraniens dans la profondeur du territoire syrien. La défense anti-aérienne russe n’est jamais intervenue directement et les S-300 livrés à Damas n’ont pas été mis en œuvre – sans doute parce que les Russes n’ont pas donné les clefs nécessaires -.
Une autre difficulté opérationnelle réside dans le fait que les appareils israéliens opèrent alors qu’ils ne survolent pas l’espace aérien syrien(1). Cela est de notoriété publique pour le Liban mais est également possible au dessus de la Jordanie voire partiellement pour l’Irak.
Peut-être surtout, Israël – comme tout un chacun – s’est rendu compte que la puissance militaire « classique » russe était bien moins importante que l’on pouvait l’imaginer(2). Sur le fond, les forces russes en Syrie ne représentent pas un danger potentiel pour l’aviation israélienne et, de plus, la Russie n’a aucun intérêt à déclencher des actions militaires sur zone alors qu’elle est embourbée en Ukraine.

Enfin viennent s’ajouter les pressions « amicales » de Washington vis-à-vis de l’État hébreu en lui rappelant qu’il doit tout aux USA, en particulier sur les plans économique et militaire (en matière d’armements). Pour la forme, Washington a appelé son protégé à une certaine « retenue » lors des opérations militaires qu’il lance en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et sur l’esplanade des Mosquées pour répondre aux attentats et des tirs de roquettes dont il a été victime ces dernières semaines(3). Mais cela ne devrait pas aller plus loin que le niveau de la rhétorique.

Pour l’État hébreu et à la différence des pays du Golfe persique, il n’y a pas photo. Il convient de suivre les États-Unis et ses alliés occidentaux dans la politique des sanctions qui sont en train d’être mises en place contre la Russie. Une dernière chose est d’ailleurs reprochée à Moscou : ses liens de plus en plus étroits avec Téhéran ce qui classe la Russie dans les « pays hostiles ».

1. Ce qui sous-entend que les services de renseignement israéliens sont très bien implantés en Syrie pour être à même de définir avec une précision extrême les cibles à frapper en évitant au maximum les pertes collatérales.
2. On retrouve là la surestimation des forces soviétiques par l’OTAN durant la Guerre froide. Un « classique ».
3. Voir article : « Les attentats meurtriers se succèdent en Israël » du 8 avril 2022.

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Texte

Alain Rodier

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