Washington suivi par ses alliés anglo-saxons et de nombreux pays européens dénonce depuis la fin 2021 l’« invasion imminente » de l’Ukraine par les forces armées russes se basant sur des photos satellites - aimablement diffusées aux medias - qui montrent des milliers de matériels militaires parqués en rangs d’oignons(1) à proximité des frontières ukrainiennes. Selon la Maison-Blanche, les Russes auraient accumulé 70% de l'artillerie nécessaire pour prendre Minsk. Les manoeuvres militaires qui se déroulent quasi sans interruption dans ces mêmes régions et en Biélorussie sont aussi dénoncées comme des phases préparatoires à une offensive. Qu’en est-il réellement ?

C’était certain au début décembre : l’assaut devrait être lancé en janvier les conditions hivernales favorisant l’évolution des formations blindées(2). Mais l’offensive ne venant pas, les médias ont avancé une bonne raison : si l’attaque n’a pas eu lieu, c’est en raison de l’hiver qui s’est montré trop clément. Les véhicules risquaient de s’embourber dans le sol fragile car non gelé. Il n’en restait pas moins que l’alerte restait si chaude que l’armée américaine et l’OTAN décidaient de dépêcher des troupes supplémentaires dans les ex-pays de l’Est, dont certains n’ont rien à voir avec l’Ukraine mais qui craignent pour leur propre sécurité. En effet, l’ours russe serait si gourmand qu’après l’Ukraine, il serait tenté de s’en prendre aux pays baltes, à la Pologne, à la Suède et à la Finlande (ces deux pays n’appartiennent pas à l’Alliance mais craignent visiblement pour leur propre sécurité).

Le 6 février, le Conseiller pour la sécurité auprès de la Maison-Blanche, Jake Sullivan, a réitéré ces accusations affirmant que la Russie « pouvait déclencher les opération pas plus tard que demain ».

Personne parmi les responsables politiques et encore moins dans les médias occidentaux ne semble s’être aperçu que depuis la fin du marxisme-léninisme, Moscou n’a plus d’idéologie à imposer au reste du monde. Il ne subsiste que deux idéologies dominantes : le salafisme-jihadisme – prôné par certains groupes – et les droits humains (hier appelés « droits de l’homme »). Cette seconde idéologie est portée par les Occidentaux emmenés par les États-Unis.

C’est d’ailleurs ce qui semble motiver les actions que l’on ne peut vraiment qualifier d’« amicales » conduites par les présidents américains qui se succèdent à la Maison-Blanche. Les autres Anglo-saxons (Britanniques, Canadiens, Australiens) sont également totalement imprégnés de la même pensée qui est une sorte d’héritage de la culture protestante.

Le reste de l’Occident est obligé de suivre – parfois par peur comme les déjà cités polonais et baltes qui ont, fort justement, de très mauvais souvenirs de l’URSS – mais surtout pour de simples raisons économiques. Washington est prompt à aider économiquement ses alliés mais encore plus rapide à les accabler de sanctions s’ils sortent de la voie définie prônée diffusée par Voice of America ou le New York Times. Les informations de ces organismes sont théoriquement toujours « de qualité » puisqu’elles sont issues des « services de renseignements » US – qui se livrent là à une politique d’influence –  ou de « hauts responsables » ukrainiens qui ont accès à des documents bien sûr très sensibles. En clair, Washington se livre à des opérations d’influence pour préserver sa place dominante sur le concert international n’hésitant pas, quand cela est nécessaire, de se livrer à des opérations de désinformation qui sont si criantes que même des responsables ukrainiens en paraissent gênés.

Toutefois, l’invasion annoncée n’ayant pas eu lieu, elle est désormais prévue pour demain ou pour bientôt… Le groupe de presse Bloomberg a même sorti à sa une du 4 février sur le net :  « la Russie envahit l’Ukraine » démontrant que les manchettes des journaux sont prêtes en Occident. Certes, il s’est livré ensuite à un rétropédalage et a présenté ses excuses mais le preuve de l’implication directe de certains medias américains dans la « croisade » anti-Russes a été ainsi apportée. A n’en pas douter, si aucune offensive sur l’Ukraine n’a lieu dans l’année qui vient, les medias affirmeront que ce sont les menaces de sanctions délivrées par l’Occident qui auront dissuadé le président Poutine de passer à l’action…

Il faut d’ailleurs admettre que le Kremlin se complaire dans le rôle d’agresseur qui lui a été attribué surtout depuis l’annexion de la Crimée en 2014(3). Trop content de pouvoir enfin remettre la Russie sur le devant de la scène internationale dont elle avait été volontairement exclue par les États-Unis après l’effondrement de l’URSS, Poutine semble trouver un malin plaisir à faire bouger ses soldats comme sur un échiquier et se délecter des paniques provoquées particulièrement dans les pays frontaliers.

Ainsi, selon une source ukrainienne de « haut niveau » citée par le NYT, les Russes auraient augmenté leurs effectifs de 100.000 à 110.000 hommes. Il y a rien de bien nouveau puisque les chiffres de 130.000 et même de 150.000 avaient parfois déjà été avancés en janvier.

Pire encore, « certaines unités » basées en Crimée auraient été placées au niveau d’alerte le plus élevé sur l’échelle militaire russe. La question se pose toutefois : pourquoi pas toutes ? Des formations militaires déployées dans d’autres régions (non définies) seraient désormais au deuxième niveau sur la même échelle d’alerte.

Selon Kiev, si l’invasion devait débuter, elle commencerait par des « conquêtes limitées » qui,  si elles étaient couronnées de succès permettraient à Moscou d’étendre ses zones d’opérations.

Toutefois, ces affirmations sont tempérées par certains responsables politiques qui estiment que cela fait partie du « vrai jeu de poker » auquel se livre le Kremlin. Il est plus destiné à créer la confusion entre Kiev et l’Occident qu’un signe annonçant une incursion imminente. Ils soulignent que les armées russes ne pourraient mener des offensives multiples pendant plus d’une semaine car la chaîne logistique resterait faible : les munitions, les carburants et les vivres viendraient vite à manquer(4) et le personnel de réserve disponible serait en nombre insuffisant. D’autres analystes mettent en avant le faible niveau d’entraînement et de formation des militaires russes qui les handicaperait considérablement en cas de combats urbains – ce qui serait le cas en Ukraine -. Cela dit, l’armée russe est confrontée à ce type de situation depuis les guerres de Tchétchénie. Par contre, il est vrai que le commandement toujours centralisé bride les initiatives pouvant être prises à l’échelon des commandants d’unités élémentaires sur le terrain.

Puisqu’il faut conclure et que prévenir l’avenir est un exercice périlleux, l’auteur pense que la Russie qui est très forte dans l’« art de la surprise » (prise de Kaboul en 1979, Crimée 2014, Syrie 2015) ne va pas venir là où on l’attend. Par exemple, personne ne semble remarquer qu’ayant « une guerre d’avance », elle est en train de renforcer sa flotte du Pacifique en y affectant les derniers fleurons de ses sous-marins à propulsion nucléaire. Ce n’est que la conséquence du rapprochement Moscou-Pékin qui est en grande partie la résultante de la politique offensive de Washington qui ne supporte pas que son hégémonie mondiale soit contestée.  Deux choses semblent acquises : jamais la Russie ne lâchera la Crimée considérée comme stratégiquement vitale en raison de la présence de la base navale de Sébastopol et Alexeï Navalny, l’opposant préféré des Occidentaux – mais qui, sur le fond ne leur est pas si « favorable » que la rumeur veut bien le dire – ne sera pas libéré avant des années.

 

 

1. En contradiction totale avec un déploiement opérationnel où les engins doivent être éclatés du le terrain de manière à ne pas constituer des cibles trop évidentes pour l’aviation et l’artillerie adverse.
2. Voir : « Ukraine. Non, il n’y aura pas d’invasion en janvier » du 6 décembre 2021.
3. Cela a été le virage de la politique étrangère du Kremlin qui se basait sur son expérience de la guerre en Géorgie, celles de Tchétchénie étant considérées comme des affaires purement « intérieures ».
4. Il a souvent été signalé la chaîne médicale qui ne serait pas en place. Depuis que cette information a été diffusée par la presse, des sources affirment qu’elle est désormais prête. Cela fait partie de la guerre de propagande menée de par et d’autre.

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Texte

Alain Rodier

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