Les attaques menées depuis le début de l’année en Irak et en Syrie soulignent le fait que Daech a gagné assez de puissance pour accroître ses actions offensives. Si le « califat » avait bien été défait en 2019 avec la disparition du proto-État, c’était loin d’en être le cas pour le mouvement salafiste-jihadiste dont les activistes étaient uniquement repassés dans la clandestinité(1).

Certes sérieusement étrillés et ayant perdu de nombreux combattants tués ou faits prisonniers, il a fallu un certain temps pour remettre de l’ordre dans l’organisation. Une période de restructuration a été suivie par celle de harcèlements sporadiques de tout ce qui pouvait représenter l’autorité. Mais ces actions avaient lieu contre des « cibles molles » ou grâce à des attentats faciles à réaliser. Le début 2022 marque une nouvelle étape, des unités constituées n’hésitant plus à s’en prendre à des cibles dures : postes militaires fortifiés, prisons, check points, etc.

Irak

Ainsi, le 20 janvier, une attaque nocturne a visé un poste militaire en Irak dans la province de Diyala (est) a fait onze morts. Selon les autorités irakiennes : « l’attaque a eu lieu vers 02 h 30 contre une base de la région de Hawi al-Azim » située non loin de la province de Salaheddine. Le gouverneur de Diyala, Mouthanna al-Tamimi, qui a confirmé le bilan auprès de l’agence de presse irakienne INA a critiqué « la négligence des soldats car la base est fortifiée. Il y a une caméra thermique, des lunettes de vision nocturne et une tour de guet en béton ».

Quatre attaques de postes de contrôles des peshmergas ont été revendiqués le 22 janvier (un ayant eu lieu le 20 janvier et les deux autres le lendemain).

Depuis des mois, des attaques ponctuelles étaient menées contre des villageois et les forces de sécurité dans le nord du pays, notamment dans les régions de Kirkouk, de Salaheddine et de Diyala. Un attentat terroriste avait visé en juillet 2021 un marché du quartier chiite de Sadr City à Bagdad et avait causé la mort d’une trentaine de personnes. Ces actions avaient été éclipsées par la sourde lutte  menée par les milices chiites contre les Américains et les autres mouvements politiques irakiens.

Syrie

À peu près en même temps qu’à Diyala en Irak, l’importante prison Al-Sina’a de Ghwayran à Hassaké dans le nord-est de la Syrie (dans la zone contrôlée par les Forces démocratiques syriennes – FDS -) a été attaquée le 20 janvier et les combats se sont poursuivis les jours suivants. Le 23 janvier, selon les FDS, « au moins 39 membres des forces de sécurité kurdes et 70 combattants de l’EI avaient été tués ». Cette prison abrite habituellement quelques 3.500 détenus dont une grande partie d’activistes de Daech. Dès le 21 janvier Daech a revendiqué cette opération via son « agence de presse » Amaq disant que son objectif était de « libérer les prisonniers ». 800 de ses membres auraient été libérés mais de 24 janvier matin, des activistes étaient toujours retranchés dans la prison.

Selon les FDS, quelques 12.000 jihadistes de plus de 50 nationalités sont prisonniers dans les centres de détention placés sous leur contrôle. Les FDS demandent le rapatriement des combattants étrangers et de leurs famille dans leurs pays d’origine.

En Syrie, Daech menait jusque là des actions de harcèlement dans le vaste désert qui s’étend de la province centrale de Homs jusqu’à celle de Deir Ez-zor à la frontière avec l’Irak. Des mutineries avaient bien déjà eu lieu (dont cinq dans celle de Al-Sina’a) mais aucune de l’importance de celle de ces derniers jours.

Rien ne prouve pour l’instant que ces deux assauts qui ont débuté presque au même moment étaient coordonnés par une « autorité centrale » mais cela semble très probable. C’est inquiétant car cela prouverait que Daech a terminé sa restructuration et qu’une sorte de hiérarchie est de nouveau en place. Ce qui est certain, c’est que l’organe médiatique de Daech Al-Amaq est opérationnel. Ce type d’opération risque de se renouveler, les combattants de Daech reprenant confiance en eux et surtout constatent que leurs adversaires sur le terrain sont moins combatifs car l’aide américaine a été réduite. Théoriquement, il n’y a plus d’unité « combattante » US sur zone ; cela dit, des hélicoptères armés et au moins deux blindés Bradley sont intervenus lors des combats de Hassaké.

S’il n’est pas question pour l’instant de la re-création d’un proto-État, la situation sécuritaire devrait rapidement se dégrader dans ces deux pays et il faut rappeler que les prisons et les centres de détention sont des objectifs privilégiés dans le cadre de la campagne « brisons les mur » lancée par Al-Qaida en Irak en 2012 et ensuite reprise par Daech (qui a quitté le giron d’Al-Qaida pour fonder son califat en 2014).

1. La direction de Daech qui savait que son proto-État n’aurait qu’une existence éphémère tant ses adversaires étaient nombreux avait soigneusement préparé cette phase de passage dans la clandestinité.
2. Voir « Syrie. Attaque de la prison d’Hassaké » du 21 janvier 2022.

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Texte

Alain Rodier

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