Selon le Site intelligence Group et le journaliste spécialiste de l’islam jihadiste, Wassim Nasr, Iyad Ag Ghali a lancé le 09 août un nouvel appel. Cette déclaration du chef du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) formé le 2 mars 2017 suite à la fusion d’Ansar Dine (qu’il dirigeait), d’Al-Qaida au Maghreb Islamique au Sahel, des katibats Macina et Al-Mourabitoune, intervient après d’environ un an et demi de silence, Ag Ghali s’étant officiellement exprimé pour la dernière fois en novembre 2019.

En dehors de la phraséologie habituelle d’Al-Qaida, il est intéressant de mettre en avant quelques éléments qui permettent de comprendre les raisons d’agir des jihadistes de cette mouvance et à quoi l’on doit s’attendre dans l’avenir. Tout d’abord, Ag Ghali ne se focalise pas que sur sa zone d’influence (le Sahel) rappelant qu’Al-Qaida « canal historique » (1) dont il est un des atouts même s’il n’est qu’un élément « rapporté » (en 2007) , pratique un jihad guerrier internationaliste. Ainsi, il cite la cause palestinienne et, parallèlement, félicite « notre Émirat islamique d’Afghanistan pour le retrait les forces US et alliées […] qui couronne deux décennies de patience de nos frères … » (2).

Depuis le début de la guerre jihadiste lancée par Oussama Ben Laden au milieu des années 1990, il a toujours été reconnu que la création du « califat mondial » qui est l’objectif final des salafistes-jihadistes prendrait beaucoup de temps et que les moudjahiddines d’origine n’en verraient pas la concrétisation. Pour eux, cette guerre s’étendra sur plusieurs générations. 20 ans de combats en Afghanistan, cela a été très long pour les Américains (la guerre la plus longue de leur Histoire) mais pour les taliban et Al-Qaida, ce n’est rien. Des générations de nouveaux jihadistes se sont levées et poursuivent la lutte.

Les reproches faits à la France sont toujours les mêmes :
. L’invasion des terres d’islam (Ag Ghaly ne pense pas qu’au passé colonial de la France mais aussi à ses interventions au Liban, brièvement en Somalie, en Afghanistan, en Irak et en soutien du régime algérien lors des années noires du début des années 1990…). En résumé, dans le passé historique, c’était l’ère du « sabre et du goupillon » et depuis la fin des guerres coloniales, c’est « le droit d’ingérence humanitaire » qui apporte au monde entier les bienfaits des « valeurs universelles ».
. L’insulte faite aux musulmans par les caricatures de Mahomet et le soutien politico-médiatique apporté à leurs auteurs est un problème toujours extrêmement sensible ;
. La « décadence » des sociétés occidentales (où l’on retrouve les « valeurs universelles » citées plus avant) est un argument qui revient sans cesse, l’évolution des mœurs occidentales étant considérée comme haram (interdit par l’islam)… La peine est claire pour ces « pêcheurs » et exprime bien la colère d’Allah : la « décapitation des mécréants moqueurs par des soldats invisibles ».

Toujours aussi classique, il appelle au jihad « contre la France, les croisés et les juifs et leurs alliés apostats… » (sont inclus les États-Unis, la Russie, Israël et les pays « arabes et étrangers » – des musulmans qui dévient de l’islam des origines en n’ayant pas renié le Taghout [les idoles] (3)). À noter que les chiites ne sont pas cités à la différence de Daech qui les considère comme des apostats qui ne méritent que la mort.

Enfin, Ag Ghali qui est un Touareg déclare : « Cet appel s’adresse à toutes les tribus et ethnies de ces pays pour s’entraider et renier les conflits en revenant à la charia pour éteindre le feu des vengeances tribales […] à tous les fronts et mouvements, il est temps que vous reniez la démocratie et ses accords et reconnaître que tout cela ne libèrera pas le pays […] la vraie libération se fait à travers le jihad qui libère les hommes ». Si là encore une « valeur universelle », en l’occurrence la Démocratie, est clairement rejetée, un appel du pied est fait à toutes les ethnies à cesser les querelles tribales endémiques au Sahel pour s’unir sous la bannière du jihad seul porteur de solution…
D’ailleurs, le site OPEX 360 fait état d’un dernier rapport de l’ONU qui dit : « Les efforts déployés par le GSIM pour séduire les communautés touareg, arabe, peule, voire bambara, semblent être une manœuvre visant à permettre au groupe de s’assurer le contrôle d’un vaste territoire. Pour ce faire, le groupe bénéficie de l’appui de la structure centrale d’Al-Qaida et des conseils du comité Hittin(4), créé par cette dernière en 2015 pour faciliter la collaboration opérationnelle et financière avec les affiliés régionaux d’Al-Qaida ».

Dans ce cadre, Ag Ghali ne cache pas son intention de progressivement pousser vers le sud avec vraisemblablement comme objectif final d’atteindre un jour le Golfe de Guinée.

Dernier point intéressant, il affirme : « aux captifs, vos frères moudjahiddines ne manqueront pas un effort pour vous libérer et vous ramener à vos familles avec les honneurs… Soyez patients, Allah est du côté des patients ».

Les prisons sont donc des objectifs prioritaires et la libération des détenus entre dans le cadre de ce qu’Al-Qaida avait lancé en Irak en 2013 avec sa politique intitulée « brisons les murs ». Le côté psychologique de cette façon de faire est très important. Les jihadistes savent que le mouvement ne les laissera pas tomber en faisant tout son possible pour les libérer et, à défaut, s’occupera des familles comme de celles des « martyrs ».

1. Voir article du 27 novembre 2021 : AQMI : Le remplaçant de Droukdel, Abou Obeida Youssef al-Annabi.
2. Théoriquement, Ag Ghali est subordonné sur les plans politique et militaire à Abou Obeida Youssef al-Annabi (émir d’AQMI) qui lui-même répond à Ayman al-Zawahiri. Sur le plan religieux, il dépend – comme les autres – de l’émir des taliban afghans, Haibatullah Akhundzada. Cela dit, il bénéficie d’une très large autonomie de décision et d’action.
3. La définition est assez large pour inclure tous les pays musulmans dont les dirigeants déplaisent à Al-Qaida. Pour faire court : tous.
4. Un groupe de hauts responsables d’Al-Qaida « canal historique » qui participent à la diffusion des volontés d’Al-Zawahiri.

Publié le

Texte

Alain Rodier

Photos

DR