Le 3 mai, le général Khalid bin Al-Humaidan, le directeur général des services secrets saoudiens, le General Intelligence Directorate (GID), s’est rendu à Damas pour y rencontrer le conseiller en sécurité du président Assad, le général Ali Mamlouk. Pour rappel, Mamlouk, fidèle parmi les fidèles du régime Assad, est aussi considéré comme très proche des Russes depuis leur intervention dans le pays à la fin septembre 2015.

Les opposants au régime étaient, pour leur part soutenus, à l’époque par l’administration américaine – qui cherche, quand cela est possible, à se battre via des proxies – pour atteindre ses objectifs : là, la chute de Bachar el-Assad. Ces derniers, armés par nombre de missiles anti-chars comme les moudjahiddines afghans l’avaient été en armes sol-air portables du temps de la guerre contre les Soviétiques de 1979 à 1989, étaient en position d’emporter la partie à l’été 2015.

Moscou avait été prévenu de cette situation par ses services de renseignement mais aussi par Ali Mamlouk et le major général Qassem Soleimani qui assurait la gestion des combattants étrangers qui apportaient leur soutien à Damas. L’intervention russe avait changé totalement la donne au grand désespoir de Washington qui depuis tente depuis de « venger » cet affront moscovite.

Cette rencontre entre hauts responsables syrien et saoudien est considérée comme la première du genre depuis la révolte de 2011 mais tous les professionnels savent bien qu’un tel déplacement se prépare bien en amont car cela n’a rien à voir avec une visite de courtoisie inopinée… La normalisation des relations entre Riyad et Damas devrait pouvoir débuter après la fête de fin du jeûne du ramadan, l’Aid al-Fitr située le 13 mai. Inutile de préciser que cela déplaît au plus haut point à Washington mais c’est une sorte de « retour à l’envoyeur » depuis la mise en place de l’administration Biden qui veut remettre Mohamed Ben Salmane, le prince héritier saoudien au pas. Un exemple, le président américain ne veut pas discuter directement avec lui mais uniquement avec son père le roi… C’est aussi dans ce cadre que Riyad a commencé à ouvrir des contacts discrets avec Téhéran démontrant ainsi ne pas être « aux ordres » de l’Amérique qui « est de retour », dixit le président Biden.

L’Égypte et les Émirats Arabes Unis (EAU) se sont déjà rapprochés de Damas, Abou Dhabi rouvrant sa représentation diplomatique en Syrie en 2020.
Toutefois, le grand reproche de Riyad fait à Damas est son soutien au Hezbollah libanais considéré comme le bras armé de Téhéran dans la région. Cela est totalement exact mais pour le moment, c’est plutôt Damas qui reçoit le soutien du Hezbollah.

La grande question est actuellement la reconstruction de la Syrie et de l’Irak après des années de guerre et de dévastations. Si dans le cas de l’Irak, il est vraisemblable que l’Occident en général – et les États-Unis en particulier – sont déterminés à apporter leur aide, ce n’est absolument pas le cas de la Syrie en dehors du « Kurdistan syrien » (en gros, le Rojava qui base sa politique sur un marxisme-léninisme traditionnel agrémenté de « causes progressistes » surnommés l’« apoïsme » du surnom du leader du PKK – Abdullah Öcalan dit Apo – incarcéré sur l’île d’Imrali en Turquie(1)). Les miséreux ne sont audibles en Occident que s’ils entrent dans le cadre d’un système politique acceptable au regard de l’idéologie dominante. C’est pour cela que des milliers d’entre eux sont morts lors du blocus organisé par Washington sur l’Irak en 2002 avant l’intervention de 2003 et que les populations syriennes sont abandonnées à leur sort avec l’excuse : « c’est la faute du régime de Bachar el-Assad ». Il est vrai que ni l’Iran ni la Russie ne peuvent faire face à ce problème tellement il est immense et par manque de moyens (ces deux pays sont eux-mêmes soumis à embargo de la part de l’Occident, ce qui a des conséquences sur leur économie). L’Arabie Saoudite et les EAU ont encore les moyens – financiers – d’intervenir. Encore faut-il qu’ils y trouvent leur intérêt qui passe par une diminution de l’influence de l’Iran sur zone. De longues tractations sont à prévoir.

C’est dans ce cadre qu’une rencontre aurait eu déjà lieu à Bagdad sous les hospices du gouvernement irakien entre Khalid bin Al-Humaidan – décidément très actif – et Saeed Iravani, le secrétaire adjoint du Conseil suprême de la sécurité nationale iranien.
Indéniablement, les choses bougent au Proche-Orient et pas vraisemblablement dans le sens que souhaiterait la Maison-Blanche.

1. Cette idéologie rencontre aujourd’hui toutes les faveurs de l’intelligentsia occidentale en vogue aux États-Unis et en Europe.

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Texte

Alain Rodier

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