Chaque année, le Service canadien de renseignements criminels (SCRC) édite un Rapport public sur le crime organisé au Canada.

Pour 2020, le SCRC estime que les activités des organisations criminelles ont été fortement impactées par la crise générale provoquée par la Covid-19. Mais, comme d’habitude, elles ont fait preuve de leurs capacités d’adaptation exceptionnelles bien plus rapides que celles de la société civile et des autorités gouvernementales. Cela avait déjà été constaté lors de l’effondrement de l’URSS et du Pacte de Varsovie au début des années 1990. Les OCT avaient très rapidement tissé des liens « économiques » entre les criminalités qui existaient déjà à l’Est et à l’Ouest, une sorte d’« ouverture des activités criminelles à l’international ».

Selon le SCRC, en 2020, il y avait aurait quelques 2.000 groupes criminels identifiés au Canada essentiellement en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique.
Malgré la « Loi sur le cannabis » très libérale promulguée en 2018, les groupes criminels et plus particulier ceux des Outlaw Motorcycle Gangs (OMG) ont continué à être bien présents sur ce marché tout en infiltrant l’industrie légale. Pour ce faire, ils sont passés par l’intermédiaire de propriétaires, d’employés ou de membres de conseils d’administration d’entreprises légales et aussi par des sociétés d’investissement. Ils ont eu recours au programme de marijuana produite à des fins médicales et ont ainsi exploité des cultures autorisées par le gouvernement. Ils ont dépassé les limites permises en nombre de plants et détourné cette production complémentaire vers le marché illégal. Cela devrait donner à réfléchir à tous les promoteurs de la « légalisation des drogues douces » sous prétexte que cela couperait l’herbe sous le pied des Organisation criminelles transnationale (OCT). Le résultat de l’expérimentation canadienne démontre qu’il n’en n’est rien.

Le SCRC évalue que le fentanyl (un opioïde 40 fois plus puissant que l’héroïne extrêmement populaire depuis des années) a été provoqué la mort par overdose de plus de 4.000 personnes au Canada en 2019. Il pense qu’en 2020, l’augmentation devrait être en augmentation de plus de 50 %.
En 2020, malgré les mesures de restriction mises en place en raison de la COVID-19, l’importation de produits précurseurs s’est poursuivie surtout en provenance de la Chine mais la production canadienne a également augmenté (les circuits courts tant vantés en Europe).

Le prix au détail de la cocaïne a connu de très importantes hausses au Canada. La raison est que l’interdiction des vols internationaux qui permettaient aux trafiquants de négocier dans des pays producteurs ou de transit, et les restrictions aux frontières ont considérablement perturbé les importations de ce produit depuis l’Amérique latine. Il est possible que les groupes criminels vont se tourner de plus en plus vers les transports par voie terrestre pour acheminer leur marchandise.

Le Canada est aussi connu pour être un point de transit historique vers des marchés très lucratifs que sont l’Australie et l’Europe. La raison est que le Canada « est reconnu à l’échelle internationale comme un pays à faibles risques ». Les cartels latino-américains estiment, en plus, que les lois relatives au blanchiment d’argent « ne sont pas aussi sévères » et la lutte anti-drogue, « pas aussi rigoureuse » que dans beaucoup d’autres contrées.

Ainsi, entre 45 et 113 milliards de dollars seraient blanchis chaque année au Canada en infiltrant le secteur privé. Pour mener à bien cette activité, les organisations criminelles ont de plus en plus recours à des professionnels. Celles qui utilisaient les bars, les restaurants et les casinos ont eu plus de difficultés à opérer en 2020 comparativement à celles qui utilisent les transferts de fonds, les transactions commerciales et les cryptomonnaies.

Puisqu’il a été plus difficile de faire entrer de la cocaïne au Canada, plusieurs OCT se sont tournées vers la méthamphétamine. Les produits précurseurs servant à sa fabrication et la méthamphétamine elle-même produite au Mexique ont continué d’entrer au Canada en 2020 car ces produits sont plus difficiles à distinguer que la cocaïne.

Une analyse effectuée sur trois ans (2018-2020) révèle que les entreprises du secteur privé les plus infiltrées par les OCT se trouvent dans l’hébergement et les services alimentaires, le commerce de détail, les transports, le stockage et le génie civil. La crise sanitaire est une opportunité d’infiltration du monde médical et paramédical.

Les auteurs du rapport ne le nomment pas directement mais ils ciblent le plus important des Outlaw Motorcycle Gang, les Hells Angels, dont les effectifs ont augmenté de 14 % depuis 2016 sur la scène nationale et internationale. Mais les motards auraient vu leurs activités diminuer durant la pandémie en raison de l’interdiction des rassemblements et des déplacements, ce qui a limité leurs capacités d’expansion. Mais les randonnées et autres activités vont reprendre dans les secteurs où les règles vont être assouplies.

Les organisations de type mafieux très présentes au Canada (d’origine italienne, chinoise, japonaise, russe, irlandaise, etc.) ont vraisemblablement perdu des revenus en raison de la pandémie. Mais il est possible – comme ce qui se passe aujourd’hui en Italie – qu’elles ne profitent de la crise économique pour proposer des prêts usuraires pour ensuite prendre le contrôle d’entreprises légales particulièrement dans la restauration, l’hôtellerie, la fabrication de désinfectants ou de l’équipement de protection individuelle.

En 2020, une guerre des gangs aurait repris, particulièrement au Québec où plusieurs entreprises liées à la mafia ont été la cible d’incendies criminels. C’est vraisemblablement la reconfiguration du crime organisé en fonction des nouveaux secteurs à exploiter qui est derrière cette montée de la violence.

Sur le plan de la violence physique, moins de 200 meurtres et 1.000 infractions liés aux armes à feu ont été commis par des membres de groupes criminels organisés au Canada en 2020 (ce qui reste très faible par rapport au reste du continent américain).

Le SCRC évalue que 97 % des gangs de rue sont impliqués dans ces violences. Mais le rapport souligne qu’à la suite de la première vague de COVID-19 et de l’assouplissement des mesures sanitaires, « les fusillades sont devenues plus fréquentes dans la grande région de Montréal et n’ont pas diminué lors de la deuxième vague ». Les auteurs du rapport craignent que ce phénomène ne dégénère lorsque les mesures touchant les déplacements interprovinciaux seront assouplies.

Pour plus de précisions sur le crime organisé, je renvoie à mon livre « le crime organisé du Canada à la terre de feu » (éditions du Rocher, Décembre 2013) et particulièrement au chapitre II : « le Canada, un pays si tranquille ». En dehors des conséquences de la crise créée par la pandémie, les fondamentaux n’ont pas changé depuis.

 

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Texte

Alain Rodier

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