Le plus grand procès antimafia mené depuis les années 1980 (à l’époque, le procès de Palerme de 1986 avait considérablement affaibli Cosa Nostra en Sicile) diligenté contre la ‘Ndrangheta va se tenir à partir de janvier en Italie. Un juge a mis en examen 444 personnes suspectées d’être des « initiés » (les « affranchis ») ou des « associés » (qui ne sont pas membres de la mafia; ils sont désignés dans le langage de la ‘Ndrangheta de « contrasti honorati ») de la ‘Ndrangheta. Les chefs d’inculpation sont tentatives de meurtres, extorsions, blanchiment d’argent sale et trafic de drogues.

La première audience débutera le 13 janvier pour 355 accusés. 89 autres prévenus acceptant une comparution accélérée, seront jugés à partir du 27 janvier. Cette dernière procédure permet d’alléger les condamnations si les prévenus sont reconnus coupables.
L’affaire avait débuté en 2019 quand les forces de sécurité avaient mené la plus grande opération policière de l’histoire italienne récente arrêtant 334 personnes, dont des élus, des avocats, des greffiers, des comptables, des fonctionnaires, etc. Alors que les procès des années 1980 contre Cosa Nostra visaient les principaux chefs de clans et les « affranchis », cette fois ce sont en grande partie les « associés » et, en particulier ceux qui se livrent à la criminalité en col blanc, qui sont ciblés.
L’objectif de la justice italienne est de tenter de diminuer l’infiltration de la société civile par la mafia en punissant lourdement ses « associés ». Pour pouvoir accueillir ce procès monstre dans des conditions de sécurité correctes, un tribunal spécial a été édifié dans la ville de Lamezia Terme en Calabre.

La ‘Ndrangheta dite « mafia calabraise » profitant d’une relative discrétion, car aucun repenti de haut niveau n’est venu se présenter à la justice, est progressivement devenue la mafia la plus importante d’Italie(1). Selon le FBI, elle est même l’une des cinq Organisations criminelles transnationales (OCT) les plus puissantes au monde, voire la numéro un(2). Selon INTERPOL, il y a longtemps que cette mafia a étendu son influence sur l’ensemble de l’Italie puis en Europe (avec une prédilection pour l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne), au Maroc puis en Turquie, en Irak, en Thaïlande, en Australie et enfin sur le continent américain. Son chiffre d’affaires est estimé à environ 50/60 milliards d’euros par an.

La ‘Ndrangheta a abandonné l’industrie de l’enlèvement dans les années 1980 car jugée comme une activité présentant un mauvais rapport coût/efficacité. Elle se livre à tous les autres trafics avec une prédilection pour ceux de drogues, des êtres humains (elle aurait « investi » le marché libyen), des déchets toxiques (plus d’une trentaine de navires chargés de déchets radioactifs auraient été coulés au large de l’Italie). Présente depuis longtemps dans le domaine de la santé et des prêts usuraires, elle espère tirer d’immenses profits de la crise provoquée par la Covid-19.

La majorité des entreprises situées en Calabre dépend plus ou moins directement de la ‘Ndrangheta, les autres ayant dû depuis longtemps plier bagage, car le « pizzo » (l’ « impôt » mafieux) exigé était trop important. Pour blanchir les sommes colossales qui proviennent de ses activités criminelles, cette mafia a infiltré l’économie légale en Europe et en particulier celle ayant trait à l’immobilier.

Elle est organisée en  » ‘ndrine » ou « cosche » autour de familles très hiérarchisées et traditionalistes qui seraient regroupées en quelques 166 « Locali » (clans). Depuis la fin des années 1990, afin de tenter de mettre un terme aux guerres internes incessantes, un organisme de coordination a été créé sous la forme de la « Coupole » de Cosa Nostra : la « Provincia » ou « Crimine » présidée par un « Capo Crimine » élu chaque année. Cet organisme n’a pas de puissance hiérarchique verticale, mais est une sorte de tribunal de paix dont le but est d’apaiser les tensions pour que les « affaires » puissent se poursuivre sereinement.

1. Il y en a quatre autres : la Camorra napolitaine, Cosa Nostra sicilienne, la Sacra Corona Unita des Pouilles et la Stidda également sicilienne.
2. Les autres sont le Cartel de Jalisco Nouvelle Génération (CJNG) mexicain qui a détrôné le cartel de Sinaloa au sein du « top five ». Ce dernier comprend aussi les yakusas japonais de Yamaguchi Gumi, la mafia moscovite Solnseskaya Bratva (actuellement en recherche de chef, elle pourrait être rétrogradée dans l’avenir) et la Camorra napolitaine.

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Texte

Alain Rodier

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