Soutenu par Vladimir Poutine, le président de la Tchétchénie, république constitutive de la Fédération de Russie, a créé sa propre unité de forces spéciales, dont la montée en puissance pose question.

Depuis plus d’un an, nous assistons à la lente mais inexorable montée en puissance des forces spéciales de la République de Tchétchénie. Leur visibilité internationale est apparue en avril 2015 lors de la septième Annual Warrior Competition qui se déroulait comme tous les ans en Jordanie, au King Abdullah II Special Operations Training Center (KASOTC) d’Amman. 37 équipes d’une dizaine d’hommes chacune, venant de 18 pays (dont les Etats-Unis et le Canada), participaient à la rencontre. La Fédération de Russie était représentée par deux unités antiterroristes (SOBR : unité d’intervention rapide). La première équipe était tchétchène et portait à la fois le drapeau russe et le drapeau tchétchène sur son uniforme, alors que la seconde équipe russe ne portait que les trois couleurs de la bannière nationale. A l’issue des épreuves, l’équipe tchétchène est sortie vainqueur de la compétition, devant une unité chinoise et la garde royale jordanienne. Tout le monde a pu voir les Spetsnaz nord-caucasiens recevoir leurs trophées, un casque d’hoplite miniature monté sur un socle de marbre. Tous portaient, lors de la cérémonie de remise des prix, des tee-shirts noirs frappés de l’aigle bicéphale, d’un portrait du président Poutine ou de l’ours russe, sur l’avers, et celui de Ramzan Kadyrov, sur le revers !

Un projet ambitieux

C’est le jeune Président (40 ans) qui est le concepteur de la création des forces spéciales. Deux raisons expliquent cette démarche. Premièrement, Ramzan Kadyrov est un guerrier, un sportif et un chef de guerre passionné par les questions militaires. Il s’est donc rendu compte qu’une force armée moderne devait avoir une composante de forces spéciales. Ses forces armées, qui comptent, selon les sources, entre 10 000 et 30 000 hommes, alignent des unités de Spetsnaz. A l’instar des bataillons « Zapad  », « Vostok » et « Akhmad Kadyrov », elles se sont distinguées lors de la deuxième guerre de Tchétchénie, puis au cours de la lutte anti-wahhabite de ces dernières années. Mais ce sont plus des unités d’infanterie d’élite que des forces spéciales au sens où nous l’entendons en Europe occidentale et aux Etats-Unis. Elles ne remplissent que partiellement les critères nécessaires pour se voir attribuer l’appellation de forces spéciales. 

La seconde raison est politique. Le président tchétchène a reçu le soutien de Vladimir Poutine, sans lequel un tel projet n’avait aucune chance d’aboutir. Cette aide s’explique en grande partie par la relation particulière qui existe entre le chef de l’Etat russe et son « homologue caucasien » depuis l’assassinat, en 2004, d’Akhmad Kadyrov, le père du président tchétchène. Une relation qui tient à la fois du paternalisme et de la vassalité 1. 

En revanche, ce projet n’a pas manqué de soulever des questions au sein des structures de forces fédérales où certains se sont interrogés sur la réelle nécessité de créer d’autres unités spéciales, alors qu’il en existait déjà suffisamment dans l’armée de terre, la marine, le GRU, le FSB ou le MVD 2.

En 2014, le leader tchétchène a confié son projet à un officier russe, le major Daniel Martynov, un ancien Spetsnaz du groupe Alpha du FSB. Selon Marbek Vatchagayev (ancien membre de l’Administration indépendantiste, chercheur au Jamestown  Institut), pour atteindre cet objectif ambitieux, Ramzan Kadyrov aurait décidé de construire un centre d’entraînement dédié aux forces spéciales. Il sera localisé entre les agglomérations de Goudermes et Tsentoroï, fief du clan Kadyrov. A la différence des autres centres de ce type en Russie, il sera une entreprise privée. En fait, ce centre sera une petite ville comprenant de nombreuses installations, dont une école de parachutisme, une piste d’aviation… Ce « village des forces spéciales » sera, par ailleurs, ouvert à la population locale et aux touristes !

Décryptage

Mais quelles seront les missions de ces forces spéciales ? Et quelle est la signification politico-militaire d’une telle construction ? Trois explications sont possibles. Tout d’abord, il s’agit, dans le contexte de guerre larvée qui se poursuit en Tchétchénie et dans l’ensemble du Nord-Caucase, de disposer d’unités d’élite pour agir rapidement et « chirurgicalement » contre les petites formations djihadistes qui s’accrochent toujours au terrain. Ensuite, ces unités pourraient être engagées au sein des forces fédérales, lors d’un conflit de plus grande intensité, comme ce fut le cas en Géorgie en 2008, avec le bataillon « Vostok ». Certains parlent d’une « garde prétorienne » – mot valise qui traîne partout dans les médias –, mais l’idée est peu crédible pour la simple et bonne raison que le président tchétchène a déjà et depuis longtemps ce qu’il lui faut en ce domaine. Enfin, la création de ces FS, bien qu’antérieure à celle de la garde nationale (5 avril 2016), s’inscrit vraisemblablement dans ce vaste projet, dont elles seraient une composante, voulu par le président Poutine. Selon le porte-parole du Kremlin, cette force regroupera plus de 400 000 hommes. Environ 200 000 du ministère de l’Intérieur (MVD) et encore autant provenant de la fusion d’unités déjà existantes du MVD (OMON : formations anti-émeute et SOBR : unités d’intervention rapide). La garde nationale aura pour missions de lutter contre le narcotrafic, la criminalité organisée et le terrorisme, comme vient de le démontrer son intervention le 17 août dernier, à Saint-Pétersbourg, contre des « terroristes » caucasiens. Elle sera aussi employée pour la défense territoriale, la protection de certains sites sensibles et du maintien de l’ordre public… 

A ce stade, beaucoup d’inconnues subsistent sur cette nouvelle structure (comme le soulignait déjà le numéro de RAIDS d’août 2016). Mais force est de constater qu’une fois de plus Ramzan Kadyrov et la Tchétchénie bénéficient d’un statut spécial au sein de la Fédération de Russie 3 et tout particulièrement dans le domaine sensible de la sécurité nationale, à un moment où la région et, au-delà, le Moyen-Orient connaissent un désordre géopolitique préoccupant.

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Présidence de la République tchétchène