Polyvalents et très motivés, les hommes du Seebataillon sont capables d’assurer l’ensemble des missions de l’infanterie navale : contrôle des navires, surveillance des ports, évacuation de ressortissants, neutralisation de terroristes…  Rencontre avec les fantassins de la marine allemande, bientôt intégrés à la marine néerlandaise.

« Los ! » lance brusquement le chef du commando. Immédiatement, les dix hommes armés montent à bord du navire, se répartissent par petits groupes sur le pont et le sécurisent. « Zone sécurisée ! » rapporte très vite chaque chef de groupe. Méticuleusement, avec sang-froid et méthode, les fusiliers marins procèdent à l’inspection de chaque recoin du navire. Les hommes sont à l’entraînement en Baltique, mais se préparent pour intervenir dans la Corne de l’Afrique, le golfe de Guinée ou la Méditerranée. Ce sont des professionnels, ils appartiennent à la Bordeinsatzkompanie (BEK) de la marine allemande.

La Bundeswehr possède en effet son unité de fusiliers marins, connue sous le nom de Seebataillon (Bataillon de la mer).  Basée à Eckernförde, sur la côte baltique, dans le Land du Schleswig-Holstein, elle est sous le commandement de la Flottille 1, de Kiel. Dans le cadre d’un projet de coopération renforcée avec la marine des Pays-Bas, le Seebataillon doit être intégré à la marine néerlandaise en 2018, ce qui permettra de mutualiser les moyens. Le développement de la piraterie, du trafic de marchandises illicites et de la contrebande au large des côtes de l’Afrique donne à cette unité très spécialisée l’occasion de faire la preuve de son talent tactique, résultat d’un entraînement de haut niveau.

Une longue tradition

Certes moins connue que les Royal Marines de sa Gracieuse Majesté, l’infanterie de mer allemande n’en a pas moins, elle aussi, une longue histoire. Bien qu’il soit d’origine très récente (2014), le Seebataillon hérite en effet d’une tradition militaire qui remonte à la marine royale de Prusse, laquelle disposait déjà au XVIIIe siècle d’une infanterie navale. D’abord embarqués sur les bâtiments de guerre, les fusiliers marins allemands ont été utilisés, à partir de 1895, comme des troupes d’infanterie coloniale, à l’instar de nos propres troupes de marine. Ils ont notamment été engagés au Cameroun et dans les possessions allemandes d’Afrique de l’Est et du Sud-Ouest pour mater des rébellions indigènes. Ils combattirent aussi en Chine pour défendre les Occidentaux lors de la révolte des Boxers (1899-1901). Au cours de la Première Guerre mondiale, ils étaient de tous les combats en Belgique et en France, mais aussi de l’unique bataille opposant l’armée japonaise aux troupes du Deuxième Reich : le siège de Tsingtao (en Chine). Elle se solda par la défaite des soldats de Guillaume II qui durent capituler après une semaine de lutte pour l’honneur à un contre dix. Intégrés à la nouvelle Kriegsmarine sous le Troisième Reich, ils participèrent à la première bataille de la Seconde Guerre mondiale, à Westerplatte (voir encadré). Les années suivantes les verront employés surtout pour la défense des côtes de la « Forteresse Europe ». Après la guerre, il faut attendre 1958 pour que la Bundesmarine crée un nouveau corps de combattants qui prendra le nom de Seebataillon l’année suivante. De dissolutions en renaissances successives, c’est finalement en 2014 que la dernière réorientation de la Bundeswehr permet la réactivation d’un bataillon naval d’un millier d’hommes.

Le Seebataillon est structuré en cinq compagnies spécialisées : deux compagnies d’assaut (ou, plus exactement, d’abordage) dénommées Bordeinsatzkompanien, une compagnie du génie (les plongeurs-démineurs), une compagnie de reconnaissance et une compagnie de soutien logistique. La seconde compagnie d’assaut a été formée en octobre 2017 seulement. Le bataillon est sous le commandement d’un Kapitän zur See (capitaine de vaisseau) ou d’un Fregattenkapitän (capitaine de frégate) ; chaque compagnie est placée sous les ordres d’un Kapitänleutnant (lieutenant de vaisseau). Les hommes sont tous des volontaires triés sur le volet. Leurs missions sont en partie comparables à celles que la Royale confie à nos commandos marine.

La Bordeinsatzkompanie

La Bordeinsatzkompanie (BEK) est l’unité élémentaire de combat. Ses soldats sont des fusiliers marins polyvalents. Ils sont notamment chargés de l’abordage des navires, du sauvetage en mer, des escortes de bateaux de la marine marchande et des opérations de rapatriement des ressortissants allemands dans l’environnement marin. Parmi leurs missions récurrentes figurent le contrôle des navires et la surveillance des embargos, ainsi que la neutralisation de terroristes et de pirates, et l’exfiltration d’otages ou de prisonniers. Ces soldats spécialisés interviennent à partir d’hélicoptères ou d’embarcations rapides, ils sont aptes à combattre sur mer comme sur terre. 

En plus d’une formation poussée, les fusiliers marins allemands doivent acquérir de nombreuses qualifications additionnelles, comme le combat au corps à corps ou la formation médicale spéciale. Les hommes des unités d’assaut sont également formés à la manipulation des explosifs. Ce large éventail de capacités et la complexité de leurs missions sont les caractéristiques des forces spécialisées de la marine allemande. « Notre mission première est de protéger sur terre comme en mer », souligne l’officier marinier Volker H., un chef de groupe de la Bordeinsatzkompanie. 

« Nous sommes les fantassins de la marine et notre formation de base est similaire à celle de nos homologues de l’armée de terre », explique un jeune fusilier marin. Ils sont entraînés à l’utilisation de toutes les armes d’infanterie. « Cela va du HK MP7 au fusil G36 et à la mitrailleuse MG3, en passant par la 12,7 et le Panzefaust 3 », ajoute un soldat de l’équipe. Les tireurs d’élite, eux, sont équipés du Gewehr 22 en calibre 338LP, déclinaison allemande de l’AWM britannique. « Ce ne sont pas des têtes brûlées ni des Rambos. Ce sont de vrais professionnels qui agissent toujours avec intelligence et discernement », tient à préciser l’encadrement de la Deutsche Marine. Dans les situations de stress, ils doivent conserver leur sang-froid, gage de leur efficacité, et se focaliser sur leur mission. « Notre force mentale est notre arme la plus puissante », affirme avec assurance l’un des chefs de groupe. 

Outre les missions permanentes de protection dans l’océan Indien et ailleurs, les hommes de la Bordeinsatzkompanie sont appelés à intervenir dans le cadre d’opex. Ainsi, ils ont pris part à l’opération Pegasus (du 26 février au 3 mars 2011). Il s’agissait d’évacuer de Libye des ressortissants occidentaux alors que le pays se trouvait plongé en pleine guerre civile. L’opération, conduite par les forces britanniques et allemandes, a permis le sauvetage de 262 personnes, dont 125 Allemands.

« Red Griffin 2017 »

Du 8 au 19 mai 2017, la Division Schnelle Kräfte (DSK), la force rapide de l’armée allemande, a procédé à un vaste exercice dans le Schleswig-Holstein, auquel les hommes du Seebataillon ont pris une part active. Ce n’est pas une première : l’unité d’infanterie de la Deutsche Marine, spécialisée dans les opérations maritimes, a souvent collaboré avec la DSK de la Bundeswehr. Environ 3 500 soldats, parmi lesquels des Français et des Néerlandais, ont participé à l’exercice conjoint Red Griffin/Colibri 50 ; pour sa 50édition, Colibri, la traditionnelle manœuvre aéroportée franco-allemande, était couplée à Red Griffin. C’était la plus grande manœuvre en terrain découvert depuis la fin de la guerre froide. 

En 2017, le scénario de Red Griffin comprenait l’évacuation par la mer de personnels de l’ONU à partir d’une zone de crise en Europe (un pays balte, vraisemblablement). Au cours de cet exercice d’évacuation, on a fait appel au savoir-faire des forces du Seebataillon. De telles opérations exigent beaucoup de l’interopérabilité des différentes unités, et le Seebataillon possède l’expertise nécessaire pour conduire tout type d’opérations dans l’environnement maritime. Les fusiliers marins allemands ont d’abord sécurisé une plage à Ludwigsbourg, à 14 km de leur base d’Eckernförde, prévue pour l’évacuation des Onusiens. Après avoir débarqué, puis annihilé rapidement les forces ennemies, l’infanterie navale a pris possession d’une zone d’atterrissage pour hélicoptères en arrière du rivage. Deux hélicoptères de combat Apache de l’armée américaine assuraient le soutien aérien. Un détachement de parachutistes US, largué d’un Chinook, a renforcé la sécurisation avant qu’un second Chinook dépose le personnel des Nations unies pour les confier aux hommes du Seebataillon. Ensuite, les marins ont escorté les « civils » vers un bateau de débarquement déjà en attente en vue de leur évacuation. L’exercice fut, de l’avis des observateurs, une réussite. Il faut dire que le bataillon est pratiquement de toutes les manœuvres aéronavales : l’exercice géant de l’OTAN Baltops 2017, qui s’est déroulé en mai dernier en Baltique orientale, les a vus à l’œuvre aux côtés des Finlandais.

Des compétences exceptionnelles

La Deutsche Marine est présente sur tous les océans, conséquence de l’engagement de l’Allemagne dans les opérations de l’OTAN et des Nations unies. La protection des routes maritimes, des navires, celle des ports et des installations portuaires, les opérations d’évacuation et de sauvetage en mer, la lutte contre le terrorisme et la piraterie : le Seebataillon est mis à contribution dans une large variété de missions. « Grâce à une gamme exceptionnelle et complète de capacités, nous couvrons l’ensemble du spectre des missions de l’infanterie navale », explique le capitaine de frégate Arne Krüger, premier chef de corps du Seebataillon et ancien plongeur-démineur, dans une interview au Kieler Nachriten. « Les hommes sont tous extrêmement motivés », assure l’officier. 

Recrutés sur de sévères critères physiques et psychologiques, les fusiliers marins allemands doivent apprendre, une fois les bases du combat d’infanterie acquises, toutes les techniques d’abordage et de sécurisation des navires, celles de débarquement et de protection des plages et le sauvetage du personnel isolé (Joint Personnel Recovery). En raison de cette pléthore de tâches, il y a un besoin accru et permanent de formation, souligné par les exigences élevées de performance des soldats. Les hommes suivent une formation au tir étendue, un entraînement au combat rapproché, une formation médicale et choisissent une spécialisation individuelle (sniper, par exemple). Quant aux futurs chefs d’équipe, ils doivent apprendre les compétences de base des soldats qu’ils sont appelés à diriger plus tard. En outre, le bataillon est équipé de la technologie la plus avancée, il dispose de nombreux véhicules blindés (Dingo 2, notamment), de drones sous-marins télécommandés et de petits drones aériens. Les spécialistes opèrent généralement sous la forme de commandos habitués au travail en équipe et fortement motivés. En raison de ses nombreuses compétences et de la polyvalence de ses hommes, le Seebataillon est parfois surnommé « le bataillon multifonction de la marine ». Lorsqu’il a quitté le commandement du bataillon, en 2016, le Fregattenkapitän Krüger a déclaré : « Je n’ai jamais vu de meilleurs soldats et de camarades aussi motivés, au cours de mes 25 années de service, et j’en suis très fier. » Un bel hommage de la part d’un officier chevronné.

Lutte antiterroriste

Bien qu’ils ne soient pas intégrés dans les forces spéciales de la Bundeswehr, les fusiliers marins du Seebataillon sont formés à contrer des attaques terroristes qui pourraient se produire contre les navires et les ports allemands ou alliés. Dans ce contexte, la Bordeinsatzkompanie a conduit un exercice à grande échelle en 2015, testant ses capacités de réaction face à cette menace. La marine allemande veut à tout prix éviter un scénario comme celui de l’attaque de l’USS Cole dans le port d’Aden en 2000, où de nombreux soldats américains ont été tués. La manœuvre s’est caractérisée par une série d’exercices individuels très pointus. « L’objectif principal était la sécurité portuaire et la surveillance spatiale de l’ensemble de la base, précise le capitaine Christian Ickert, qui dirigeait l’exercice. Tous les objectifs ont été atteints de manière satisfaisante. J’aimerais particulièrement souligner la motivation des soldats. » 

En outre, depuis plusieurs années, l’Allemagne collabore avec d’autres Etats membres de l’OTAN, pour développer un système de surveillance portuaire internationalement utilisable. Différents types de capteurs ont été sélectionnés, installés et testés. Des systèmes radars et des caméras infrarouges permettent d’observer la zone immédiate autour du port, à la fois sur la mer et sur le rivage. Ce nouveau système de surveillance spatiale doit être à nouveau testé et optimisé. 

A la fois marins et terriens, les soldats de cette jeune unité qu’est le Seebataillon ont démontré, au cours des quatre années passées, leur aptitude à remplir avec succès les missions délicates que leur confie la Bundeswehr. Il reste à prouver que leur intégration dans la marine néerlandaise constitue une véritable plus-value opérationnelle. 

La bataille de Westerplatte

A l’aube du 1er septembre 1939, la Wehrmacht envahit la Pologne, la Seconde Guerre mondiale commence. Au large de Dantzig (aujourd’hui Gdansk), le croiseur Schleswig-Holstein ouvre le feu sur la péninsule de Westerplatte qui commande l’entrée du port. Ce sont les premiers coups de canon du conflit. Pendant une semaine, la faible garnison polonaise va résister aux multiples assauts des troupes allemandes, parmi lesquelles l’infanterie navale de la Kriegsmarine, l’ancêtre du Seebataillon. Le 7 septembre au matin, alors que Varsovie est déjà investie, le major Sucharski fait sa reddition, mais les Allemands lui permettent de conserver son sabre, eu égard à l’héroïsme dont avaient fait preuve ses hommes. Lorsqu’ils quittent la place forte en ruines, les soldats allemands rendent les honneurs aux soldats polonais de la garnison.