Le 15 avril dernier, à l’occasion des célébrations du 105e anniversaire de la naissance du fondateur du régime nord-coréen, Kim Il-sung, l’armée nord-coréenne a organisé une gigantesque parade militaire. Lors de cette démonstration de force, Pyongyang a vu défiler pour la première fois des militaires appartenant au corps d’armée dit « de forces spéciales ».
Cette année, pour la journée anniversaire du 15 avril, dite « Jour du Soleil », les Nord-Coréens ont découvert l’élite de l’Armée populaire de Corée (APC), dont les membres d’un détachement au complet ont défilé en tenue camouflée trois tons, coiffés de casques de type « Fritz », avec jumelles de vision nocturne, et armés de fusils d’assaut Type 88-2 ou Type 99 à chargeur hélicoïdal à grande capacité et de semi-automatiques Baek Du San, version locale du CZ 75. Quinze jours plus tôt, le 1er avril, Korean Central News Agency (KCNA), l’agence de presse officielle nord-coréenne, avait rapporté que Kim Jong-un avait assisté, depuis un poste d’observation, à des manœuvres impliquant des unités des Joseon-inmingun teugsubudae, les forces spéciales de l’APC.
Cette composante de l’armée de terre nord-coréenne ou Joseon-inmingun lyuggun n’est cependant pas une force d’opérations spéciales comme l’entend la définition OTAN des Special Operations Forces (SOF). En fait, il s’agit plutôt d’une force d’élite, au niveau corps d’armée, regroupant plusieurs types d’unités spécialisées, avec des effectifs on ne peut plus pléthoriques, qui avoisinent au total les 190 000 hommes et femmes.
Ce véritable corps d’armée, qui serait toujours placé sous l’autorité du général Kim Yong-bok, anciennement commandant du 11e Corps d’armée de Pyongan-nambo, est chargé avant tout de mener des opérations offensives en territoire sud-coréen. Et plus précisément trois types d’opérations, en fonction de la spécialité des unités qui lui sont rattachées : ouverture de brèches dans le dispositif défensif de première ligne de l’armée sud-coréenne ; création d’un second front sur ses arrières afin de désorganiser son dispositif et ses lignes de ravitaillement par des actions décentralisées et de harcèlement ; reconnaissance tactique-stratégique, recueil de renseignements et actions directes dans la profondeur.
Outre ces trois missions « institutionnelles » figure un quatrième type d’opérations, qui s’apparente plus aux actions clandestines qu’aux opérations spéciales proprement dites, car il s’agit, ni plus ni moins, d’opérations Homo, visant en l’occurrence l’élimination physique de leaders politiques ou militaires sud-coréens. Cette dernière mission serait confiée prioritairement à une unité très spéciale et tout aussi secrète, identifiée récemment sous le nom d’unité 525. Elle est encadrée organiquement au sein du corps d’armée dit « de forces spéciales », mais opère de façon totalement indépendante et en complète autonomie au profit du Bureau général de reconnaissance (BGR), le service de renseignement militaire.
Si l’on ne sait quasiment rien de plus sur l’unité 525 (organisation, effectifs, formation/entraînement, etc.), on sait, en revanche, que les autres unités des Joseon-inmingun teugsubudae sont organisées en bataillons et en brigades, avec une spécialité propre à chaque type d’unité. Véritable armée dans l’armée, montée en puissance au cours de la décennie passée, ce corps d’armée est constitué, en effet, de quatre forces distinctes : Infanterie légère d’assaut, Force aéroportée, Force amphibie et Force de reconnaissance.
Multiforce, multimission
Comme son nom l’indique, l’Infanterie légère d’assaut, qui est organisée au niveau bataillon et qui compte 60 000 hommes environ, opère généralement en appui ou de concert avec des unités conventionnelles rattachées à un des quatre corps d’armée déployés en premier échelon le long de la Demilitarized Zone (DMZ), la zone tampon entre les deux Corées, soit les 1er, 2e, 4e et 5e Corps d’armée. Son rôle principal est l’infiltration à travers la DMZ, en utilisant notamment les galeries et tunnels souterrains, pour attaquer les positions sud-coréennes et ses lignes de communication avancées, anticipant et préparant le terrain aux unités classiques de manière à faciliter leur progression. Cette mission prévoit aussi la prise d’assaut de points clés et la destruction d’objectifs tactiques, toujours au profit des unités des quatre corps d’armée.
En revanche, la Force aéroportée, qui devrait aligner une dizaine de brigades pour un effectif avoisinant les 45 000 hommes, opère de manière indépendante, généralement au niveau bataillon (chaque brigade devrait compter six bataillons de 500 à 600 éléments). La mission principale de la Force aéroportée, qui comprend des personnels féminins, est l’infiltration sur les arrières de l’adversaire, à partir de la troisième dimension (parachutage, aérotransport d’assaut ou héliportage), pour mener des actions décentralisées, comprenant la saisie de sites sensibles ou d’objectifs militaires à haute valeur stratégique et les actions de harcèlement visant à désorganiser les arrières de l’ennemi en utilisant les tactiques propres à la guérilla. Pour les infiltrations en territoire ennemi, les troupes aéroportées nord-coréennes se servent des vieux, mais toujours efficaces, biplans monomoteurs An-2 Colt (environ 300 exemplaires en service), relativement silencieux et en mesure de voler à très basse altitude, évitant ou réduisant ainsi les risques de détection radar. Sont utilisés également pour les infiltrations les différents hélicoptères Mil (Mi-2 Hoplite, Mi-4 Hound et Mi-8 Hip) en service dans l’armée de l’air nord-coréenne (voir RAIDS n° 375), ainsi que les plus légers monoturbines MD-500D américains, achetés illégalement aux Etats-Unis dans les années 80.
La Force amphibie, qui devrait compter, selon les sources, entre trois et cinq brigades, organisées en bataillons, pour un effectif global compris entre 8 000 et 12 000 hommes, est rattachée organiquement à l’armée de terre ; la marine nord-coréenne ne disposant pas directement d’unités d’infanterie de marine. Comme la Force aéroportée, son rôle, en cas de conflit, consiste à s’infiltrer en territoire ennemi pour mener les mêmes types d’actions, mais à partir des côtes est et ouest de la péninsule, en utilisant les moyens propres à la spécialité.
Parmi les moyens d’assaut amphibie et d’infiltration, outre les classiques LCU (Landing Craft Utility) et LCM (Landing Craft Medium) de classes Hantae/Hanchon et Hungman en service dans la marine nord-coréenne, figurent les embarcations rapides d’assaut de type VSV (Very Slender Vessel) classe Nampo, Chaho et Chong Jin, dont plus de 200 sont en service. Il s’agit de petites unités de 20 à 28 m de long, pouvant transporter jusqu’à 40, voire 50 fantassins, dont certaines sont armées d’un canon de 85 ou 100 mm ou d’un lance-roquettes de 122 mm. Affichant une vitesse supérieure à 50 nœuds, ces VSV existent également en versions plus compactes, qui sont utilisées essentiellement pour l’insertion de commandos et de nageurs de combat, tout comme les SILC (Submersible Infiltration Landing Craft), embarcations semi-submersibles de 10 m de long, pouvant naviguer en surface à une vitesse de 40 nœuds au maximum et, une fois à proximité de l’objectif, sous l’eau, à profondeur de snorkel. Entre 130 et 150 hovercrafts classe Kongbang, pouvant transporter jusqu’à 50 fantassins, sont mis également à la disposition de la Force amphibie. A noter que plus d’une soixantaine d’unités de la classe Kongbang, entrées en service tout récemment, ont été déployées à Koampo, près de l’île sud-coréenne de Baeknyeong, en mer Jaune. Par ailleurs, le Bureau général de reconnaissance dispose de ses propres unités de commandos marine et nageurs de combat.
Enfin, la Force de reconnaissance est comparable par bien des côtés aux unités Spetsnaz du GRU, le service de renseignement militaire russe. Cette force, qui opère pour l’essentiel au profit du BGR en tant que bras armé, devrait compter entre quatre à six brigades, pour un effectif global avoisinant les 20 000 opérateurs. En tant que forces d’opérations spéciales proprement dites, les éléments de ces brigades, qui opèrent généralement en petits détachements opérationnels autonomes, sont chargés, tout comme leurs homologues russes, des missions de reconnaissance profonde et de recueil de renseignements, mais aussi des actions directes (sabotage et destruction, élimination/neutralisation d’objectifs stratégiques, etc.) sur le territoire sud-coréen. L’insertion en territoire ennemi des opérateurs de la Force de reconnaissance peut se faire par voie terrestre, aérienne (parachutage et hélitransport notamment), fluviale ou maritime, grâce aux moyens mis à leur disposition par la Force aéroportée et la Force amphibie, mais aussi grâce à des moyens bien plus spécialisés de guerre navale spéciale, mis en œuvre par la composante d’action sous-marine rattachée au Bureau général de reconnaissance.
À suivre…
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