RAIDS a franchi le cap de la nouvelle année sur la base active la plus au nord de la zone Barkhane, à portée de roquettes des groupes armés terroristes (GAT). Un site essentiel, occupé désormais par à peine 300 militaires français auxquels la ministre des Armées, Florence Parly, a rendu visite.
C’est à Tessalit, au cœur de la zone d’action des GAT, que Florence Parly a décidé de fêter le passage à la nouvelle année. La ministre des Armées a été accueillie par le groupement tactique interarmes (GTIA) Dauphin, à dominante cavalerie, armé principalement par le 12e Cuirs d’Olivet (Loiret) depuis septembre. Il aligne 300 cavaliers, répartis en deux escadrons de combat et un escadron de commandement et de logistique. Dauphin est surtout implanté plus au sud, à Kidal, une des clés de la porte d’entrée de l’Adrar des Ifoghas : une des plus importantes zones refuges des GAT. Cet ensemble montagneux a sa propre ressource en eau et offre une variété de cachettes : une double spécificité qui rend l’Adrar assez attractif.
C’est à Kidal qu’est installé le chef de corps du régiment, le colonel Régis Anthonioz, présent à Tessalit pour le réveillon, avec l’essentiel du GTIA. Kidal reçoit traditionnellement beaucoup plus de tirs que Tessalit. En outre, les rapports avec la population, manipulée par les GAT, mais aussi par tous ceux qui veulent exploiter la situation, y sont notoirement difficiles.
Comme l’a rappelé par la suite Florence Parly, malgré un effectif assez réduit (300 hommes lors de notre reportage, cela peut être moins, mais aussi beaucoup plus), les capacités présentes à Tessalit permettent de donner à Barkhane (et à Sabre, qui n’a pas été nommée…) toute son efficacité dans cette zone contestée.
Rappelons par ailleurs que Tessalit dispose aussi d’un camp de la MINUSMA, qui utilise également la piste rouverte en février 2013 par les forces spéciales.
Un réveillon particulier
Quasiment tous ceux qui étaient présents sur la FOB, sauf les militaires d’astreinte dans les postes de garde et dans les VBL qui inlassablement parcourent le périmètre, ont réveillonné avec la ministre, qui a visité d’abord une partie du camp, s’est fait briefer par le général Guibert, COMFOR, avant d’adresser ses vœux aux « Barkhaniens ». Florence Parly a rappelé que « la France restera le temps nécessaire ». « Mais la présence de la France n’est pas éternelle », a-t-elle aussitôt rappelé, après avoir évoqué la mémoire des deux militaires morts cette année.
Le dîner a été concocté par le mess de Tessalit, grâce à une débrouille bien française et une mobilisation de bras, y compris des non-pros de la cuisine : vérines, volaille et gâteaux au chocolat, arrosés de vin blanc et rouge, avec une flûte de champagne pour le passage à la nouvelle année. Vu l’incertitude de l’environnement, il n’y avait pas besoin de consignes de modération sur la consommation d’alcool : il suffit de vivre à Tessalit pour en être conscient.
Sur leur assiette, les convives ont pu découvrir leurs étrennes : un couteau Opinel n°8, floqué de la mention « Ministère des Armées », et son étui. Puis le dîner a été entrecoupé de chants de tradition, dont le premier qui s’imposait, le chant de la 2e DB.
La ministre a pu échanger avec plusieurs tablées, puis elle a longuement remercié les personnels de cuisine et de service qui avaient œuvré toute la soirée.
Ensuite, Florence Parly a parcouru plusieurs postes de guet répartis sur le périmètre et dans la FOB. Parmi les capteurs disponibles pour la force protection, les caméras multispectrales Margot 3000 issues de l’adaptation réactive de l’Afghanistan, le radar de détection de tirs GA12 et le ballon de la STAT (voir RAIDS n° 378) arrivé le dernier, au début de l’automne. Le tout actionne un réseau de haut-parleurs et de balises lumineuses d’alerte, en cas de détection de tir. Les personnels disposent d’abris anti-roquettes éprouvés par des années de menaces de ce type en Afghanistan puis au Sahel.
Pour la présence de la ministre – un créneau classé particulièrement sensible –, d’autres moyens ont été mis en place : un Mirage 2000 venu spécialement de Niamey faisait entendre son réacteur M53 pour signifier aux éventuels GAT qu’il était dans les parages. Au moins une Gazelle surveillait les alentours dans le même créneau, et on peut même imaginer qu’un moyen ISR persistant, comme un drone Reaper, pouvait être mobilisé par un travail plus spécialisé encore.
Comme à Mopti le lendemain, des forces spéciales étaient discrètement mobilisées à Tessalit, une base qu’elles connaissent bien par ailleurs pour en faire régulièrement un de leurs tremplins dans toute la sous-région.
Précaution supplémentaire, les deux avions amenant la presse et les parlementaires (dans un C-130 espagnol) et la délégation ministérielle (dans un C-160 de l’escadron de transport 2/64 « Anjou ») se sont posés de nuit, et ont fait débarquer leurs pax, moteurs tournants. Tous ces passagers ont ensuite rallié un convoi blindé qui les a amenés de la piste jusqu’à l’intérieur de la FOB. Et les quelques heures de sommeil ont été prises avec gilets pare-balles et casques, à quelques dizaines de mètres d’un abri-anti-roquettes, la menace numéro un.
Ces précautions ne sont pas formelles : les tirs sont mensuels à Tessalit, et la dernière attaque sur Kidal remonte au 28 novembre dernier. « Mais à Kidal, il se passe beaucoup de choses quotidiennement, reconnaît le chef de corps, même si l’on combat un ennemi invisible. Il nous harcèle avec des tirs de roquettes, des poses de mines et IED. C’est surtout un ennemi qui nous teste. Kidal et Tessalit sont les portes d’entrée de l’Adrar des Ifoghas, qui est la zone refuge des GAT [comme en 2013], ici principalement des membres d’Ansar Dine. Nous sommes aussi à côté d’une zone de flux, car la Transsaharienne est toute proche. Nous avons amélioré l’escorte des convois avec des capacités nouvelles pour augmenter la sécurité. Les GAT essaient de maintenir une image de vigueur, mais sans convaincre : ils n’ont plus la force qu’ils avaient au début de Serval. Nous avons pris une décision très particulière pour sécuriser les convois, en déployant nos AMX10 et VBL, qui font la différence. Si bien que cet ennemi reste assez furtif, on a assez peu de contacts sur notre mandat. »
Sur le toit d’un des bâtiments en dur qu’on rejoint par des marches faites de bastion walls, un duo de spécialistes du transit scrute les alentours avec des jumelles multifonctions JIM-LR, après avoir englouti le repas de réveillon. Pas d’armes ultramodernes à disposition, seulement les FAMAS de dotation, sans la moindre aide à la visée : leur emploi sur ce toit est seulement de donner l’alerte, une responsabilité assez lourde dont il faut s’accommoder, alors que la FOB est régulièrement parcourue de bruits assez divers. A un moment, on a même l’impression d’entendre des coups qui s’écrasent sur le sol. Mais ce ne sont que les tables du réveillon qui sont repliées un peu violemment…
Leur créneau, entrecoupé par le passage de la ministre, durera deux heures. Réveil prévu à 5 heures. La même heure qu’hier, et sans doute que demain. Leur travail courant est d’accueillir les avions, et le trafic est assez soutenu, car Tessalit est la plateforme idéale pour les opérations face à l’Adrar.
L’indispensable support médical
L’isolement du secteur rend incontournables les équipes médicales. Il ne faut plus compter sur la « golden hour » qui vous garantissait, en Afghanistan, d’avoir rallié le Rôle 3 (à Kaboul ou à Bagram) en une heure. Le Rôle 1 est le poste de secours de premier niveau. Hors période d’opérations, c’est un cabinet médical. Dès qu’un militaire français sort de la FOB, il dispose forcément d’un support médical. Le Rôle 2, contigu, est un petit hôpital de campagne avec son unique salle d’opération. Posés à même le sol, les lots MASCAL (mass casualty), mention un peu macabre qui renvoie à un tir de roquette, à un attentat-suicide ou à un « green on blue » qui auraient fait beaucoup de victimes. C’est un de ces lots qui avait servi lors des explosions d’IED à répétition, cet été. Plusieurs vies de Français ont été sauvées, ici, par les équipes du Service de santé des armées, sous une frêle tente. Trois blocs sont réalisés, chaque semaine, par cette antenne chirurgicale aérotransportable (ACA) rattachée à l’hôpital de Brest, mais armée, de fait, par des personnels médicaux venant de toute la France.
Le Puma qui dort dehors sur la DZ hélico est, lui, chargé d’aller récupérer les blessés, éventuellement sous le feu, dans les 200 km à la ronde. En opération, le délai de décollage n’est que de quelques minutes, le temps de faire chauffer les turbines Turmo. Le playtime sur la zone d’extraction est extrêmement réduit, à élongation maximale : le Puma pose le médecin et l’infirmier, appuyés par un commando montagne, qui garde le contact avec le Puma qui redécolle en général pour ne pas rester exposé. Puis c’est l’extraction, après un conditionnement minimal pour le vol et une compréhension des blessures, si elles n’ont pu être diagnostiquées par un spécialiste. Il arrive même que ce Puma soit la relève d’un autre hélicoptère de manœuvre ramenant de beaucoup plus loin un blessé : il peut donc prendre son alerte au sol, dans une zone d’effort momentané à cet effet.
Ce soir de réveillon, chacun des membres des équipes médicales reste prêt à servir dans son domaine, comme tous les autres militaires de la base : aucun excès n’est donc possible, au-delà de la traditionnelle flûte de champagne et de quelques verres de vin.
ministre est allée à la rencontre des militaires de la force conjointe du G5 Sahel, à Sévaré (centre du Mali). C’est là que l’état-major d’une soixantaine de militaires (dont deux Français) s’est installé, dans le « col de cygne » où la guerre du Mali a commencé en janvier 2013. Depuis ce terrain, les Gazelle du 4e RHFS avaient porté le premier estoc aux GAT déferlant du nord. C’est là que le chef de bataillon Damien Boiteux a perdu la vie. Aucune plaque ne le mentionne à Sévaré, mais c’est rappelé à trois endroits différents au PC régional de la TF Sabre (lire par ailleurs page 30).
Florence Parly n’a pas caché sa satisfaction de voir l’état-major de la force conjointe désormais équipé pour travailler ; ce qui n’était pas forcément le cas en septembre. De fait, désormais, la salle de conduite des opérations est équipée d’ordinateurs modernes semblant en état de fonctionner, permettant une meilleure gestion. Mais, a reconnu le général Didier Dacko, commandant de la force conjointe du G5 Sahel, plusieurs progrès doivent encore être réalisés en matière de communications (le cryptage est loin d’être la règle), de coordination et de support aérien (pour l’instant, la force n’a pas d’hélicoptères apportés par ses membres), et peut-être, de protection du secret. Ce sont les principaux retex de How Bi, la première opération qui avait été menée par la force conjointe à l’automne. Il semble également difficile aujourd’hui de bénéficier effectivement de la disponibilité des troupes promises : l’autorité du général Dacko doit encore être reconnue par tous les chefs d’état-major des armées nationales clairement dépossédés de leurs troupes, le temps des opérations. On sait que ce genre d’agrément ne s’est pas non plus fait en un jour, pour des troupes françaises, en d’autres temps et lieux ; rien de vraiment anormal, donc.
La force G5 Sahel se met en place
Car c’est la spécificité de cette force conjointe, qui doit regrouper 5 000 hommes et femmes des cinq pays du G5 Sahel : elle existe bien sur le papier (il n’y aucun recrutement spécifique à faire), mais la difficulté principale reste leur mobilisation. Le général Dacko estime qu’il faudra encore deux, trois ou quatre opérations, avant que la force conjointe puisse entrer dans une routine de conduite opérationnelle. Aujourd’hui, constate-t-il, les modes d’action, les cultures, et les menaces de chaque armée d’origine de la force conjointe sont encore trop éloignés : son premier objectif est donc de développer l’interopérabilité.
L’équipement aussi doit être amélioré. C’est l’objet des fonds promis par les conférences de donateurs : Paris organisait la sienne le 15 janvier. Les Africains du G5 Sahel demandent 430 millions d’euros pour lancer la machine, puis 60 millions pour l’entretenir. Les Européens, Américains, mais aussi Arabes (notamment les Saoudiens) ont promis la moitié (250 millions d’euros) en liquide et en matériel, avec un enjeu évident : que cette manne arrive, bien sûr, jusqu’aux opérations de la force conjointe. La France a choisi une approche prudente, en fournissant essentiellement du matériel de protection balistique (casques, gilets) et des véhicules : des VLRA, mais aussi des Technamm Masstech (identiques à ceux de l’Armée de terre) bien adaptés du fait de leur base Toyota, société qui bénéficie d’un bon service après-vente en Afrique.
Chaque bataillon de la force conjointe (chaque pays en aligne deux) dispose d’une compagnie équipée par la France ; effort qui doit être poursuivi en 2018, explique Florence Parly.
L’enjeu de la réussite au Sahel passe aussi par plus de moyens actuellement sous-capacitaires : le renseignement aérien (ISR), le transport tactique et les hélicoptères. A ce stade, peu de raisons d’être optimiste, vu de Paris. Les Britanniques ont bien commencé à retirer leurs Reaper du combat contre Daech, mais il n’y aura sans doute pas de bascule d’un théâtre vers l’autre. Même si, en 2013, le général Mercier avait fait visiter Niamey à son homologue britannique, qui entendait, à l’époque, assister la France avec des drones, tandis que la menace Boko Haram était également en pleine croissance.En matière d’hélicoptères, ce sont surtout les mandats MINUSMA qui ont bénéficié des apports des hélicoptères européens : néerlandais d’abord (CH-47), allemands (NH90) et, en 2018, belges (NH90 également). Trop peu d’engins, dans un mandat trop restrictif, qui n’a donc pas vraiment d’impact. Un Français de haut rang note bien que les Allemands font désormais des escortes de convois, mais cela n’impacte pas vraiment la situation locale. L’arrivée des Italiens au Niger, avec 450 militaires et 120 véhicules, a été appréhendée comme un renfort à Barkhane, mais les Italiens eux-mêmes le présentent surtout comme une grosse mission de formation des Nigériens à la lutte contre le terrorisme et contre l’immigration illégale. Il n’est cependant pas à exclure que des forces spéciales constituent le noyau de l’ensemble, et puissent avoir une action – concertée ou non avec les Américains et les Français de Sabre – sur le Niger, où l’insécurité s’est dégradée.
La force conjointe n’a, de toute façon, aucun état de grâce, alors qu’elle-même fait l’analyse – partagée par les Occidentaux – d’un risque évident de retour des combattants de Daech au Sahel. De quoi s’occuper, en plus du fond d’activité courant. L’opération Koufra, interrompue par les fêtes de fin d’année et les relèves, devrait reprendre courant février. Désormais, Barkhane donne clairement la priorité à des opérations longues s’inscrivant dans la durée.
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