L'ancien chef d'état-major de la défense ukrainienne, le général Valery Zaluzhni, pense que l'OTAN s'accroche à des doctrines et à des systèmes hérités de la Guerre froide, alors que le champ de bataille est transformé par l'Intelligence Artificielle et de nouvelles technologies adaptées, relativement économiques et évolutives.

Si son point de vue doit être examiné à travers le prisme de la guerre qui se déroule en Ukraine, il n’en reste pas moins que son expérience doit être prise en considération. Il est un des rares généraux qui ait commandé durant une guerre de haute intensité, de plus en ne bénéficiant pas le la supériorité militaire sur son adversaire russe. Ses succès à la tête d’une armée constituée de bric et de broc ont été extraordinaires.

Le général Zaluzhni devenu ambassadeur d’Ukraine en Grande-Bretagne au début 2024, a développé son analyse de la guerre moderne dans un post de Telegram daté du 9 novembre exhortant les pays de l’OTAN à donner la priorité au développement de la résilience nationale.

Commentaire : il a parfaitement raison et les Ukrainiens ont été un véritable exemple de résilience. Mais le problème des sociétés occidentales repues est qu’elles ont développé une culture de l’individualisme forcené. Il leur est très difficile de faire passer l’intérêt « national » avant l’intérêt « individuel ». En France, l’effort fait vers la réserve opérationnelle est louable mais reste pour le moment insuffisant. D’autre part, il n’est théoriquement pas possible de recréer le service national par manque de moyens, d’infrastructures (bradées depuis longtemps au secteur civil), d’équipements et avant tout, de volonté politique et de soutien populaire. La société française se sent à l’abri grâce à la force de dissuasion  – certes extrêmement bien conçue et servie par des personnels admirables – qui constitue la « ligne Maginot » moderne.

De plus, sur le fond, il n’est pas évident que le retour au service militaire apporterait un vent nouveau à l’esprit de défense.

Et pour mémoire, durant la Guerre froide, l’armée française se préparait à un conflit qui n’excèderait pas quelques jours. Les Ukrainiens vont atteindre en février les trois ans de guerre…

Préparant son intervention à un séminaire organisé par l’Armée royale des Pays-Bas et la Bundeswehr, il a souligné l’urgence de se préparer aux défis de 2030 et de renforcer les capacités de défense de l’OTAN.

« L’issue la plus importante des progrès technologiques émergents pourrait être le rétablissement de la capacité de mener des opérations offensives efficaces aux niveaux opérationnel et stratégique ».

Cependant, il avertit que la révolution de la technologie militaire ennemie dominée par les drones et l’intelligence artificielle, ciblera probablement les infrastructures militaires et civiles stratégiques paralysant ainsi des pays entiers.

Il poursuit : « La révolution technologique en cours a marqué le début d’une nouvelle ère de guerre, centrée sur l’attrition, où la voie vers la réalisation des objectifs politiques consiste à épuiser systématiquement les ressources et les capacités de l’ennemi ».

Commentaire : le général remet juste en avant le concept de la « guerre totale » ajoutant  que les progrès technologiques seront à prendre en compte. Il insiste sur l’attrition qui est devenue l’élément central de tout conflit. Cela implique automatiquement qu’il faudra aux pays de l’OTAN d’avoir suffisamment de réserves humaines et matérielles pour durer dans le temps en remplaçant les pertes au fur et à mesure.

Il avait déjà lancé un avertissement lors de une allocution du 18 octobre au Royal United Services Institute (RUSI) à Londres : « La guerre a changé […] Il n’y aura pas de guerre du modèle de 1953 – je parle de la guerre de Corée […] lorsque deux armées professionnelles, chacune de plus d’un million de personnes se sont affrontées sur le champ de bataille -».

Commentaire : là, il suit la doctrine politique de Kiev (cela est normal puis qu’il en est le représentant officiel à Londres) : refuser toute solution « à la coréenne » : pas d’accord de paix, aucune concession politique, front gelé depuis 1953… Il est possible qu’après l’entrée en fonction de l’Administration Trump le 20 janvier, qu’une solution temporaire ressemblerait beaucoup  à la « coréenne » soit imposée par la Maison Blanche. La suite relèvera des « prédictions de Madame Irma ». Ce qui semble certain, c’est que la Russie n’a pas les moyens humains et tactiques pour s’en prendre à l’Europe dans sa globalité – dont les pays sont membres de l’OTAN -. L’Armée russe n’a pas la puissance de feu le Pacte de Varsovie (bien que sa puissance ait été volontairement surévalué). Mais un objectif limité semble les intéresser  le Kremlin: l’accès permanent et sécurisé à l’enclave de Kaliningrad via la Lituanie ou/et la Pologne (la Biélorussie ne comptant pas car elle est totalement aux ordres de Moscou). Ces deux pays ont donc raison de s’inquiéter.

Pour le général Zaluzhni, les paradigmes conventionnels de la guerre, ancrés dans des déploiements de troupes à grande échelle et des combats mécanisés, sont aujourd’hui des reliques d’une époque révolue.

Il a relaté le scepticisme auquel il avait été confronté les années précédentes lorsqu’il parlait de la révolution technologique imminente dans la guerre. « Lorsque les robots sont entrés sur le champ de bataille, il y a eu des rires de la presse et des généraux occidentaux  […] Cependant, en 2024, la technologie, en particulier l’intelligence artificielle, a commencé à jouer un rôle important dans la guerre ». Les rires se sont éteints remplacés par une reconnaissance croissante de l’impact profond de l’IA et de l’automatisation des conflits modernes.

Par contre « il semble que l’OTAN est restée silencieuse et ne s’est pas adaptée aux changements de la sécurité mondiale ». Malgré le pouvoir transformateur des technologies émergentes, l’Alliance continue de s’appuyer sur des doctrines et des systèmes d’armes dépassés hérités du milieu du XXe siècle : « la sécurité mondiale continue d’être construite sur des systèmes d’armement coûteux, y compris des missiles, des avions de combat et des porte-avions  […] Ces outils de guerre, bien que redoutables, sont de plus en plus vulnérables dans un conflit où la production et le déploiement de ces systèmes à grande échelle ne sont pas viables […]  la capacité de produire à grande échelle des chars de bataille en nombre durant dans une guerre massive diminuera, réduisant leur efficacité ».

Commentaire : ces affirmations sont des coups portés aux tenants du développement de nouveaux armements du type porte-avions qui coûtent très chers mais qui sont désormais trop vulnérables pour un effet opérationnel discutable. Quant au futur char de bataille franco-allemand…

L’analyse de Zaluzhni indique une conclusion qui donne à réfléchir : l’avenir de la sécurité

mondiale ne peut pas s’appuyer uniquement sur les matériels existants.

L’accent doit se déplacer vers des systèmes évolutifs, flexibles et technologiquement avancés. Les drones basés sur l’IA, les cybercapacités et les plateformes de défense automatisées ne sont pas seulement des outils supplémentaires ; ils deviennent les piliers centraux de la stratégie militaire.

Ces idées ne sont pas académiques car elles sont enracinées dans la lutte existentielle de son propre pays. Pour lui, « malheureusement, l’avenir de la sécurité mondiale ne peut pas reposer uniquement sur ces moyens dépassés ».

Il souligne l’urgence de son message : le monde doit se préparer à une nouvelle ère de conflits, une ère où la supériorité technologique et l’adaptabilité détermineront le résultat.

Commentaire : le général n’a pas tort. Il lance l’alerte mais il est vraisemblable qu’il sera peu suivi. Le monde intellectuel et politique (intéressé par les électeurs) se passionne pour le réchauffement climatique qui pourrait amener la fin de l’humanité dans des centaines d’années mais moins pour les dangers de conflits qui sont susceptibles de déboucher sur une guerre nucléaire à court ou moyen terme. Il suffit qu’un des dirigeants concernés soit particulièrement vindicatif ou commette une erreur de procédure qui enclenche le processus final. Heureusement, il existe des systèmes de sécurité intermédiaires qui pourraient éviter une erreur d’appréciation.

Film Docteur Folamour

Publié le

Texte

Alain Rodier