En septembre-octobre, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a fait le tour des pays occidentaux (États-Unis, Union européenne, OTAN) pour présenter son « plan de victoire ». Il reconnait que son pays est en difficulté sur le terrain face à la pression et aux bombardements russes mais qu’il veut être en position de force avant d’envisager toute négociation. Pour lui, « l'Ukraine est prête à faire une vraie place à la diplomatie mais, pour cela, nous devons être forts ». Il a déclaré au parlement à Kiev que ce plan pourrait mettre fin à la guerre en 2025.

Points clés

1/ Adhésion immédiate de l’Ukraine à l’OTAN, avant même la fin de la guerre.

2/ Renforcement de la défense qui comprend la poursuite des opérations sur le territoire russe, la levée des restrictions sur les frappes en Russie, l’augmentation de la défense aérienne, la destruction d’aéronefs russes en coopération avec des amis, l’élargissement de l’utilisation des drones et des missiles ukrainiens et l’accès aux renseignements des partenaires.

3/ Dissuasion. Il s’agit de déployer un ensemble complet de mesures de dissuasion non nucléaires qui protègeront contre l’agression russe et limiteront ses capacités.

4/ Développer le potentiel économique stratégique de l’Ukraine et intensifier les sanctions. La protection conjointe par les États-Unis et l’UE des ressources naturelles critiques de l’Ukraine et l’utilisation conjointe de leur potentiel économique.

Les deuxième, troisième et quatrième points comprennent des addenda confidentiels qui ont été présentés aux partenaires.

5/ Après la guerre, les soldats ukrainiens pourraient utiliser leur expérience pour renforcer les défenses de l’OTAN et de l’Europe, remplaçant potentiellement les troupes américaines par les forces ukrainiennes.

Il a ajouté quelques commentaires : « Poutine est devenu fou et veut seulement la guerre, il la veut absolument. Il ne changera pas. Il est trop coincé dans le passé, trop en retard sur son temps. Il est sourd à tout le monde […] Nous devons tous changer la situation pour contraindre la Russie à la paix ».

S’adressant aux députés ukrainiens le 16 octobre, il a également critiqué la Chine, l’Iran et la Corée du Nord pour leur soutien à la Russie en les décrivant comme une « coalition de criminels ».

Ce « plan » est accueilli diversement.

Pour l’adhésion à l’Otan, le nouveau secrétaire général Mark Rutte a rappelé le caractère « irréversible » du cheminement de l’Ukraine vers l’Alliance : « l’Ukraine sera membre de l’Otan […] la question est de savoir quand, je ne peux pas répondre pour l’instant ».

De toute façon, une adhésion avant la fin de la guerre est constitutionnellement exclue. La proposition de « remplacer des soldats américains » en Europe est un appel du pied à ceux qui sont pour un certain isolationnisme à Washington.

Les Pays baltes et la Pologne ont accueilli positivement ce plan, le président lituanien Gitanas Nauseda rappelant que : « notre hésitation [l’Europe] est le meilleur moyen et le plus direct vers l’escalade ».

On n’insistera jamais assez sur l’hostilité exacerbée de ces pays vis-à-vis de la Russie. Le joug imposé par l’URSS et le communisme international pendant 45 ans a laissé des traces indélébiles. Les Pays baltes et la Pologne sont conscients de leur position géographique pour la Russie qui tient à préserver l’enclave de Kaliningrad.

Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’UE a affirmé : « c’est une guerre existentielle. La Russie est une menace existentielle pour l’Europe et j’espère que les États membres vont continuer à soutenir l’Ukraine ».

Il serait utile de savoir quel raisonnement amène à faire état d’une « menace existentielle pour l’Europe » que font peser environ 165 millions de Russes et de Biélorusses sur quelques 447 millions d’habitants (sans compter les 332 millions d’Américains et les 41 millions de Canadiens) alors que l’idéologie expansionniste marxiste-léniniste a disparu.

Plusieurs pays se montrent plus prudents, redoutant une escalade avec la Russie ou, plus prosaïquement, pour des raisons budgétaires.

Pour l’Allemagne, le chancelier allemand Olaf Scholz a appelé le 16 octobre à « tout faire » pour empêcher la poursuite du conflit en Ukraine, y compris en discutant avec le président russe Vladimir Poutine, toutefois en concertation avec Kiev.

De son côté, le premier ministre hongrois Viktor Orban, dont le pays préside actuellement le Conseil des ministres de l’UE, il a qualifié le plan du dirigeant ukrainien de « terrifiant ».

À Washington, les conditions de paix posées par Zelensky sont globalement considérées comme étant en contradiction avec la situation actuelle. Devant les représentants américains, il a reconnu la fatigue croissante de son pays dont le moral s’effondre progressivement sous le poids du nombre croissant de morts, d’une loi de mobilisation controversée et des assauts russes incessants sur le territoire ukrainien. Les analystes américains estiment désormais que tout accord de paix devrait impliquer que l’Ukraine concède des territoires en échange de la sécurité

Mais brillant de ses derniers feux, l’Administration Biden a détaillé une 62ème cession d’équipements militaires pour un montant de 425 millions de dollars pour l’Ukraine, qui comprendrait « une gamme de capacités supplémentaires », notamment des systèmes de défense aérienne et d’artillerie, ainsi que des munitions et des centaines de véhicules blindés.

Mais Kiev s’inquiète maintenant du résultat de l’élection présidentielle américaine de novembre qui pourrait bouleverser la politique de soutien de son allié le plus puissant.

Mais une vaste majorité de la population ukrainienne refuse des concessions territoriales. Oleksiy Haran, professeur-chercheur à la Fondation des initiatives démocratiques à Kiev a déclaré : « si, par négociations, on entend un gel de la situation actuelle avec la Russie, qui en profitera pour ensuite repartir à l’offensive, alors non, les Ukrainiens ne sont pas prêts pour cela. Les Ukrainiens ont besoin de garantie de sécurité ».

Du côté de Moscou, les exigences sont également surréalistes

1/ le Donbass et la Crimée doivent faire partie de la Russie ;

2/ l’Ukraine doit être déclarée « neutre » et donc ne pas appartenir ni à l’OTAN ni à l’UE ;

3/ l’Ukraine doit être « dénazifiée »…

Avant même l’hiver, la situation est donc gelée les points de vue des deux parties étant totalement irréconciliables. De toute façon, rien ne bougera avant que la nouvelle Administration soit installée à la Maison-Blanche.

Sur le terrain, une situation « à la coréenne » semble de plus en plus probable : un gel du front, aucun accord de paix mais peut-être un cessez-le-feu, aucune concession politique d’un côté comme de l’autre…

S’il faut faire un autre parallèle, il y a une chose très semblable entre ces deux guerres : la propagande des deux côtés…

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Texte

AlaiN RODIER