A Mayen, une bourgade de Rhénanie-Palatinat, à 30 km à l’ouest de Coblence, se trouve le QG du Zentrum für Operative Kommunikation (Centre pour la communication opérationnelle). Lointaine héritière des compagnies de propagande, cette unité particulière de la Bundeswehr, mise en place à l’origine par la nouvelle armée allemande engagée dans la guerre froide, est spécialisée dans les actions psychologiques.
Gagner la guerre est aussi une affaire de communication ; c’est un lieu commun de l’affirmer. Si ce n’est guère nouveau, cette donnée est aujourd’hui largement prise en compte par les états-majors et les dirigeants politiques. Au siècle dernier, on a créé les unités de propagande, essentielles pour remonter le moral de l’arrière comme celui des combattants, tout en cherchant à agir sur celui de l’adversaire. Elles furent ensuite désignées comme des unités de « guerre psychologique », le vocabulaire évoluant avec les méthodes et les mentalités.
Depuis une vingtaine d’années, le monde et les technologies ont radicalement changé et les Etats doivent faire face à un nouveau défi, dans un univers complexe en constante évolution. Ce qu’on désigne de nos jours par « activités psychologiques », c’est un ensemble d’actions planifiées mises en œuvre en temps de paix, de crise ou de guerre, à destination de l’ennemi, des alliés et des neutres, en affectant leurs attitudes et leur comportement dans un sens souhaitable du point de vue politique autant que militaire. Les activités psychologiques d’aujourd’hui utilisent largement la technologie la plus pointue. L’armée allemande, comme les autres, s’est adaptée.
Les origines
En 1955, nous sommes en pleine guerre froide. L’Allemagne fédérale, qui n’avait plus d’armée depuis la dissolution de la Wehrmacht en 1946, crée alors la Bundeswehr et s’intègre dans l’OTAN. Deux ans après cette renaissance, l’état-major projette de mettre en place des éléments chargés de ce qu’on désigne alors comme les opérations de « guerre psychologique » (en allemand, Psychologische Kampfführung [PSK] : conduite du combat psychologique). Ce n’est pas une nouveauté : en son temps, la Wehrmacht avait créé un très efficace service de propagande, les Propagandakompanien (voir page 62). La mise en œuvre du projet débute en 1958 et, l’année suivante, l’unité de PSK voit le jour. Sur le site d’Andernach, la plus ancienne ville allemande, dans le Kreis de Mayen-Coblence, sont installées une radio bénéficiant du soutien technique de la radio civile Südwestfunk et une imprimerie. Cette dernière sera transférée à Adenau (entre Coblence et la frontière belge) en 1966. L’objectif prioritaire de l’unité est de lutter contre la propagande communiste venue de RDA. Emissions de radio, publication et diffusion de tracts ou de journaux sont de son ressort.
A partir de 1970, le PSK change de nom pour celui d’unité de Psychologische Verteidigung (Défense psychologique), tout en conduisant le même type de mission. D’autres unités voient progressivement le jour : en 1971, un second bataillon est créé et implanté à Clausthal-Zellerfeld (Basse-Saxe), symboliquement situé dans le massif du Harz, à un jet de pierre de la frontière interallemande. Une station de radio, Radio OberHarz, y est implantée.
En 1989, la chute du Mur annonce la fin prochaine des missions dirigées contre l’Est. Fin 1990, la guerre froide est virtuellement terminée et l’Allemagne s’est réunifiée ; le pacte de Varsovie disparaît un an plus tard. Les unités « psychologiques » sont transformées et désignées cette fois comme unités « d’information opérationnelle ». Les radios, comme les armées, changent de mission : elles sont chargées du lien entre les soldats allemands et les familles. Elles prennent alors part à des opérations de soutien dans le cadre des missions de l’ONU et de l’OTAN dans lesquelles l’armée allemande est impliquée : en Somalie (1993-1994), dans les Balkans (1995-2000), en particulier en Bosnie-Herzégovine (1997) et au Kosovo (1999-2000), ainsi qu’en Afghanistan (2001) et au Congo (2006). En 2013, les anciennes unités ⇐ sont dissoutes et est créé le Zentrum für Operative Kommunikation (ZOpKomBw) qui est actuellement chargé de la communication opérationnelle.
Le contexte
La Bundeswehr, comme ses alliées de l’OTAN, est aujourd’hui aux prises avec des conflits de nature complexe. Les Etats désintégrés, les menaces asymétriques, les organisations terroristes et leurs avatars divers, les sous-conflits locaux, ainsi que l’accroissement des réseaux mondiaux de communication, modifient en permanence l’environnement opérationnel. La communication y joue un rôle primordial, sans rapport avec celui qu’il pouvait être il y a seulement trente ans. La transmission quasi instantanée d’informations et d’images est notamment une donnée nouvelle à prendre en compte. En effet, au moyen des nouvelles technologies d’information et de communication, ce processus se déroule sans limites spatiales ni temporelles. Un incident (embuscade, attentat, attaque de drone…), même mineur, survenant dans une zone de conflit peut être filmé et directement transmis via les téléphones portables et les réseaux sociaux, puis amplifié à des fins de propagande. Il risque alors de générer des réactions sans commune mesure avec sa nature ou son réel degré de gravité. Les unités de guerre psychologique ont dû s’adapter à cette nouvelle donne.
Organisation et missions
Le ZOpKomBw constitue une branche à part entière de la Bundeswehr. Placé sous le commandant d’un colonel, il relève directement du Commandement de la reconnaissance stratégique. Il comprend environ un millier de personnels, presque exclusivement des militaires (son homologue américain, les civil affairs, en compte dix fois plus). Jusqu’à une période récente, il était rattaché à l’arme des transmissions de l’armée de terre (Heer), mais en juillet 2017, il a été intégré dans le cadre des structures du Commandement de reconnaissance stratégique de Gelsdorf (Rhénanie-Palatinat). Ses éléments sont des spécialistes de l’information et des techniciens (informaticiens, ingénieurs, cinéastes, webmasters, etc.). Ce sont aussi des soldats au même titre que les autres. Ils sont déployés sur les différents théâtres d’opérations et intégrés dans des unités combattantes où ils participent à des missions de combat ou de soutien. A ce titre, ils sont préalablement formés au combat et à l’antiterrorisme. « Leur mission, comme toutes les autres unités du même type, est d’utiliser tous les moyens de communication et toutes les méthodes possibles pour agir directement sur les forces adverses ou les populations qui les soutiennent dans les zones où les unités de la Bundeswehr ou un de ses alliés sont implantés […] Leur but est de changer les comportements sur le long terme afin de s’assurer de la confiance de la population où les troupes allemandes sont engagées. De plus, leurs actions visent à établir une communication avec leurs adversaires en vue de la réconciliation et de la reconstruction future, et ce, malgré les combats en cours », précise un article de mars 2009 sur le site Infoguerre. Toutes les formes d’action en direction de l’adversaire et des populations locales sont pratiquées, y compris la désinformation. En revanche, cela est rigoureusement proscrit vis-à-vis des troupes allemandes, de leurs alliés ou des civils allemands. Ce que confirme le lieutenant-colonel Dressel, responsable de l’analyse du Dezernat ZOpInfo, dans une interview de 2006 : « Il nous est expressément interdit de pratiquer des techniques d’influence sur notre propre population, sur nos alliés ou sur nos propres forces. Nous ne l’avons jamais fait, nous ne le faisons pas, et je garde espoir que nous ne soyons jamais en situation de le faire. »
Les opérations d’influence
Les opérations militaires d’aujourd’hui ne visent pas à la domination ni à la conquête, du moins lorsqu’elles sont conduites par les armées occidentales. Il s’agit en général de rétablir l’ordre et l’Etat de droit dans des pays ou des régions en proie ⇐ à des guerres civiles. Dans les conflits de ce type, il importe de gagner à soi les populations locales. On a alors systématiquement recours aux opérations militaires d’influence (OMI). Partant du constat que l’emploi seul de la force est insuffisant pour gagner, ces OMI sont un complément indispensable des opérations de guerre. L’ennemi, même et surtout quand il s’agit de groupuscules terroristes, est d’ailleurs le premier à s’en servir avec une efficacité certaine. On assiste alors à une guerre de l’information mondialisée grâce aux nouvelles technologies. Le général Vincent Desportes évoque, dans un entretien donné en 2013 à Communication et Influence, tout l’intérêt de ces opérations : « La projection de puissance ou l’action brutale sont capables de faire plier momentanément l’adversaire. Mais tant que l’on n’a pas changé les esprits, l’adversaire va revenir à la charge, quitte à contourner les obstacles. D’où l’importance capitale des opérations d’influence quand on embrasse une question dans son ensemble. » Le ZOpKomBw est, pour l’Allemagne, l’unité militaire en charge de ce type d’opérations.
Radio et télévision
Deux médias sont à la disposition du ZOpKomBw : une station de radio, Radio Andernach, et une chaîne de télévision, la Bundeswehr TV (Bwtv). Leurs programmes sont destinés aux soldats en opérations extérieures, elles n’ont pas vocation à communiquer vers les populations ou les forces adverses des pays où se trouvent les troupes allemandes, pas plus qu’avec les alliés. Elles assurent un lien indispensable entre les soldats, leurs familles et les civils allemands.
Depuis mars 2015, la chaîne Bwtv transmet les programmes télévisés de Mayen en utilisant le cryptage PowerVu via les satellites Hot Bird, Eurobird 9 et NSS 12. Elle propose des reportages, des longs métrages et des émissions de divertissement. Ces deux médias constituent aussi un outil très utile pour la hiérarchie militaire quand elle a besoin de s’adresser aux troupes sur le terrain de manière informelle ou conviviale. Les familles ont, quant à elles, la possibilité d’adresser des messages personnels, et les soldats d’y répondre. Les salutations des parents et des proches sont transmises par différents canaux : téléphone, internet ou carte postale.
Témoignage
Sur le site officiel de la Bundeswehr, un lieutenant du ZOpKomBw livre un témoignage sur son action concrète en Afghanistan : « Avec cinq camarades, nous formons l’équipe consultative pour le Bayan-e Shamal Media Center de Mazar-e Charif [nord de l’Afghanistan]. Notre mission est de soutenir les activités d’information des forces de sécurité afghanes, en particulier dans le contexte des opérations en cours. Mon travail consiste à conseiller les Afghans sur la radio et le Web, comme la coordination de divers programmes radiophoniques, des émissions en direct, des interviews et des programmes d’information. De plus, j’observe l’activité du site web du Media Center et les réseaux sociaux. Avec une communauté de plus de 600 000 abonnés, notre page Facebook est le troisième site le plus populaire du pays. Des options de communication high-tech, telles que l’Internet mobile, permettent à une grande partie de la population afghane de disposer d’informations à jour. »
Le public allemand, ayant fait l’amère expérience du nazisme et du communisme, est très sensible à tout ce qui touche à la manipulation de l’opinion ; il a besoin de savoir que son armée n’a recours à ces méthodes qu’à des fins de pacification et de réconciliation. D’où la nécessité pour la Bundeswehr de bien décrire et expliquer son action et son implication dans les missions de maintien de la paix.
Moyens et méthodes
L’unité a également recours aux méthodes classiques de communication. Cela comprend la distribution de dépliants d’information, y compris derrière les lignes ennemies, par des aéronefs. Les tracts sont fréquemment imprimés en imitant des billets de banque en monnaie locale, de façon à les rendre plus attractifs. La méthode, très basique, peut sembler simpliste, mais elle a fait ses preuves. Dans les zones sous contrôle, les soldats du ZOpKomBw rédigent et distribuent des magazines dans la langue nationale du pays (c’est le cas au Kosovo et en Bosnie, par exemple). Des émissions de radio, de télévision et des sites web sont aussi fréquemment utilisés pour communiquer.
Les opérations de relations publiques et l’aide humanitaire figurent également dans la panoplie des « armes » du ZOpKomBw. Le contact direct avec les populations et les chefs de village est une préoccupation constante, qui n’est pas sans rappeler les sections administratives spécialisées (SAS) mises en place par l’armée française pendant la guerre d’Algérie.
L’avenir de l’unité semble assuré, tant il est vrai que l’action psychologique a pris une place considérable dans les conflits contemporains et surtout dans les phases sensibles qui les suivent. Gagner à soi les esprits et les cœurs est la garantie d’une paix durable.
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