Des dizaines de documents américains du Pentagone dont certains « classifiés »ont été divulgués et circulent maintenant sur Internet et sont exploités par les médias.
Ces dossiers qui ont dus être photographiés clandestinement sont apparus sur l’application de messagerie Discord (qui sert surtout à des jeux) depuis février. Depuis, les documents apparaissent dans la presse au compte goutes.
L’enquête est en cours et Washington est extrêmement gêné vis-à-vis de ses alliés pour ces fuites qui n’auraient jamais du arriver. Certains responsables du Pentagone reconnaissent que ces documents sont authentiques mais que certains ont été trafiqués sur les réseaux russes.
Ukraine
Selon ces documents, l’offensive de printemps annoncée à grands frais pourrait ne produire que des gains modestes car « des déficiences persistantes ukrainiennes dans la formation et les réserves de munitions vont probablement mettre à rude épreuve tout progrès et aggraver les pertes durant l’offensive.»
Douze nouvelles brigades seraient en cours de formation (dont une avec l’aide des Américains) pour lancer cette offensive qui pourrait débuter dans quelques semaines.
Les documents indiquent en détail le nombre de chars, de véhicules blindés et de pièces d’artillerie qui ont été fournies par les alliés occidentaux à l’’Ukraine.
Une carte du 1er mars donne la situation sur le terrain et évalue les conditions du sol dans l’est de l’Ukraine.
Un autre document, daté du 23 mars, fait état de la présence d’un petit nombre de forces spéciales occidentales opérant à l’intérieur de l’Ukraine, sans préciser leurs activités. Le Royaume-Uni a le contingent le plus important (50) suivi de la Lettonie (17) de la France (NdA : la presse avait annoncé 50), des États-Unis (14) et des Pays-Bas (1). Les gouvernements occidentaux s’abstiennent généralement de commenter des questions aussi sensibles, mais ce détail est susceptible d’être utilisé par Moscou qui a fait valoir ces temps qu’il ne s’agissait pas seulement d’affronter l’Ukraine mais aussi l’OTAN.
L’Ukraine aurait des difficultés à maintenir ses défenses anti-aériennes vitales. Selon un document que l’AFP a consulté sans être en mesure de confirmer l’authenticité : « 89% des défenses de moyenne et longue portée de l’Ukraine seraient constituées de systèmes SA-10 et SA-11 de l’ère soviétique, qui pourraient vite être à court de munitions. En se basant sur le rythme actuel de consommation de ces munitions, les systèmes SA-11 pourraient être à sec fin mars, et les SA-10 début mai. »
De plus, « la capacité de Kiev à maintenir des défenses aériennes de moyenne portée pour protéger la ligne de front sera réduite à néant d’ici au 23 mai. »
Les chiffres des pertes sont également répertoriés. Une diapositive fait état de 223. 000 soldats russes tués ou blessés et de 131.000 Ukrainiens neutralisés. La version de ce passage sur l’internet russe a été modifiée. Par exemple, un graphique évalue le nombre de morts en Ukraine à environ 71.000, chiffre considéré comme plausible, mais ce même graphique annonce aussi entre 16.000 et 17.500 décès russes (alors que la version d’origine cite entre 61.000 et 71.500 morts – une inversion des chiffres ?-.)
Certains responsables ukrainiens ont rejeté les fuites suggérant qu’elles pourraient constituer une campagne de désinformation russe. Mais il y a aussi des signes de frustration et de colère.
Égypte
Le Washington Post a obtenu l’accès à un document de la mi-février qui disait que l’Égypte avait l’intention de produire 40.000 roquettes pour les vendre ensuite à la Russie. Le WP aurait aussi affirmé que le président Abdul Fatah al-Sissi avait ordonné aux responsables de garder cette production puis son expédition secrètes « pour éviter les problèmes avec l’Occident. »
Un haut responsable égyptien (non identifié) aurait déclaré de son côté qu’il « ordonnerait à son peuple de travailler par quarts si nécessaire parce que c’était le moins que l’Égypte pouvait faire pour rembourser la Russie pour une aide non spécifiée plus tôt ». Si cette aide précédente n’est pas spécifiée, l’Agence Reuters avait rapporté en janvier 2023 que la part de la Russie dans les importations de blé égyptien avait augmenté en 2022 ce qui pourrait être une explication possible.
Rien ne prouve que l’Égypte ait procédé à la vente proposée à la Russie. Il est possible qu’il s’agissait d’un « avertissement » fait par le Caire à Washington car l’Égypte est l’un des plus grands bénéficiaires de l’aide militaire américaine (environ un milliard de dollars par an) et la Maison-Blanche avait semblé montrer quelques réticences au cours des dernières années. Il n’empêche que l’influence de Washington en Egypte est très importante.
Un responsable anonyme cité sur les chaînes d’information égyptiennes a décrit ces allégations comme « totalement sans fondement ». Il a rappelé que le Caire n’avait pas pris parti dans la guerre. Le Kremlin a affirmé que cette information était « juste un autre canard.»
Corée du Sud
Un document classifié, lu par la BBC basé sur le renseignement électromagnétique (les écoutes) détaille une conversation sensible entre des conseillers à la sécurité nationale. Ils sont tiraillés entre les pressions faites par Washington pour envoyer des munitions à l’Ukraine et leur politique générale de ne jamais armer les pays en guerre.
Dans le cadre d’un accord de vente de munitions d’artillerie (155 mm) aux États-Unis pour réapprovisionner les stocks livrés à l’Ukraine l’année dernière, Séoul avait exigé un « certificat de destination finale » (end user certificate) qui empêchait Washington de transférer ces obus à l’Ukraine.
L’un des conseillers a suggéré d’envoyer directement ces munitions à la Pologne pour éviter de donner l’impression d’avoir cédé aux États-Unis et de ne pas froisser Moscou.
C’est cette fuite qui a suscité le plus de scandale dans les correspondants des services américains. L’opposition politique sud-coréenne a demandé comment les États-Unis ont pu intercepter une conversation d’un niveau aussi élevé au sein des instances gouvernementales.
Chine
Le Washington Post a également découvert dans un document que Pékin avait testé l’un de ses missiles expérimentaux – le planeur hypersonique DF-27 – le 25 février. Le missile aurait volé pendant 12 minutes sur une distance de 2.100 km. Le WP a rapporté que le missile expérimental avait une « forte probabilité » de pénétrer dans les systèmes de défense antimissiles balistiques américains.
Leur analyse comprenait également des détails sur un nouveau navire de guerre chinois et un lancement d’un satellite en mars qui améliorerait les capacités cartographiques de Pékin.
Israël
Alors qu’un accord interdit aux services américains d’espionner Israël (et inversement, voir l’affaire Jonathan Jay Pollard arrêté aux USA en 1987 et finalement arrivé en Israël en 2020), un des documents concernant Israël a suscité l’indignation à Tel-Aviv. Produits par la CIA, les documents classifiés indiquent que le Mossad a encouragé les manifestations contre le nouveau gouvernement du pays « y compris plusieurs appels explicites à l’action.»
Russie – Turquie
Des informations détaillent les actions de la Société militaire privée Groupe Wagner en dévoilant qu’elle avait approché des sociétés turques pour leur acheter des armes. Il n’est pas possible de savoir si l’information vient de Russie (ce qui serait tout à fait normal, Moscou étant l’ennemi déclaré) ou de Turquie, ce qui démontrerait que Washington n’hésite pas à espionner ses alliés de l’OTAN (NdA : ce qui est un secret de Polichinelle.)
Même si nombre de documents publiés ne relèvent pas strictement du « secret » (et que leur reproduction par des « intermédiaires » a ensuite été falsifiée), leur sensibilité pourrait tout de même provoquer de grands dommages. Un haut responsable des services secrets US a même évoqué d’un « cauchemar pour les Five Eyes », faisant référence aux accords de coopération en matière de renseignement existant entre les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada.
Les enquêteurs tentent pour l’instant de déterminer quels employés de l’administration américaine ont eu accès aux documents de la justice afin de découvrir la « taupe ». Le Pentagone évoque pour l’instant « des documents utilisés par une variété de personnes et de services au sein du département de la Défense pour informer leur travail et au-delà du département de la Défense (…) pour nous aider à faire notre travail. »
Dans le passé, les services en renseignement US ont eu maille à partir avec les « lanceurs d’alerte » Julian Assange, Edward Snowden et Chelsea Manning qui ont montré la fragilité de la communauté du renseignement américaine.
Cela dit, la communauté américaine du renseignement est tellement puissante qu’aucun allié ne peut s’en passer…
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