Voilà que, depuis quelques temps, les services de renseignement sont revenus à la bonne vieille méthode datant de la Guerre froide (et même de bien avant) du comptage des matériels militaires de l’adversaire potentiel pour tenter d’estimer sa puissance réelle. Aujourd’hui, c’est de la Chine dont il s’agit puisque Washington sait pertinemment que c’est ce pays qui a une réelle volonté d’expansion territoriale terrestre et maritime.

Le Président chinois Xi Jinping est de plus en plus offensif sur les revendications terrestres (la Chine veut récupérer Taïwan qu’elle considère comme lui appartenant et entretient du conflit de tracé des frontières avec l’Inde dans l’Himalaya) et maritimes (c/f carte en en tête) tout en autorisant des manoeuvres « inappropriées » d’intimidation de son aviation et de sa marine que suivent avec une attention redoublée les États-Unis et ses alliés.
Le 6 octobre, Chiu Kuo-cheng, le ministre de la Défense taïwanais, a estimé devant le Parlement, que la Chine serait en mesure de mener une telle opération d’ici 2025 et de la conduire avec un coût minimum. À ses yeux, le risque d’un conflit entre les deux rives du détroit de Taïwan (ou détroit de Formose) n’a jamais été aussi élevé.

Afin de s’opposer à ces « débordements », les navires américains et alliés ont intensifié leur présence sur zone en particulier dans la mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan. L’ambition affichée est de maintenir les routes maritimes reconnues internationalement.
Parallèlement, Washington a annoncé le 15 octobre la création d’une nouvelle alliance de sécurité avec les Royaume Uni et l’Australie connue sous le signe AUKUS. À terme, elle devrait permettre à l’Australie de se doter de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire ce qui leur donnera une capacité de patrouille à la mer nettement plus importante qu’actuellement. Cela est prévu sur le temps long puisque la date de mise en service ne serait prévue qu’en 2040 mais il est vrai qu’en matière de défense, il convient de faire des plans à long terme.
Les États-Unis ont également intensifié la livraison de nouveaux armements à Taïwan afin de faire échouer toute tentative d’invasion de l’île par la Chine continentale. La présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, a reconnu également à la fin octobre la présence de conseillers militaires américains sur l’île depuis plus d’un an. Cela dit, depuis le retrait d’Afghanistan de cet été, cela ne constitue plus une garantie pour le gouvernement hôte…

La Chine se retourne également contre l’Inde sur sa frontière himalayenne où de graves incident ont eu lieu en 2020 pour des questions de définition de tracé de frontières (c/f carte ci-dessous).

État des forces chinoises

Selon le dernier rapport sur la puissance militaire de la Chine communiqué par le Pentagone, l’Armée populaire de libération (APL) compterait 915.000 hommes et femmes sous les armes. Ce chiffre semble bien sous-évalué car d’autres études avance 2.185.000 personnels d’active (ce qui, pour une population totale d’1,4 milliards d’habitants ne semble pas disproportionné).

Surtout, il convient de ne pas oublier que la Chine est une puissance nucléaire capable de délivrer des premières et deuxièmes frappes couvrant la planète. Spécificité chinoise, il semble que les dirigeants chinois n’écartent pas la possibilité de perdre de millions de leurs concitoyens si le sacrifice parait nécessaire à la victoire finale. Les forces nucléaires chinoises sont présentes sous forme de missiles tirés depuis des silos, depuis des porteurs mobiles (même des trains), depuis des aéronefs et des sous-marins, arme privilégiée pour une seconde frappe. Mais, la modernisation des vecteurs est permanente.

Ainsi en en 2019, le missile intercontinental Dongfeng-41 (DF-41) théoriquement capable de frapper partout sur la planète (12.000 à 15.000 kilomètres de portée) a été présenté au public.

Mais c’est surtout le missile hypersonique DF-17 qui a attiré l’attention des experts militaires. Il aurait été testé à deux reprises en juillet puis en août de cette année. Le chef d’état-major interarmées des Forces armées américaines, le général Mark Alexander Milley, a déclaré que c’était un moment comparable au lancement du Spoutnik en 1957 qui avait placé l’URSS comme leader de la conquête de l’espace.

Il faut reconnaître que cette arme rebat complètement les cartes de la stratégie navale américaine car il semble qu’aucun système de défense anti-aérien ne parviendrait à neutraliser un tir d’un missile de ce type sur un porte-avion croisant en Mer de Chine. C’est une arme de champ de bataille (surtout pour la guerre navale) mais qi peut aussi être équipée de charges nucléaires.

 

Pour la mer de Chine méridionale, Pékin considère qu’elle est presque complètement sa propriété en opposition à Taïwan, des Philippines, du Vietnam, de la Malaisie et de Bruneï. Pour se donner les moyens de ses ambitions politique, la Chine développe une importante marine de guerre (People’s Liberation Army Navy -PLAN-) qui occuperait la première place mondiale.

À noter qu’une partie de ses sous-marins (12 plus deux en construction) sont aptes à lancer des armes nucléaires. En complément de la Marine, Pékin a développé une milice maritime dont les hommes sont surnommés les « petits hommes bleus » et a autorisé en 2021 ses gardes-côtes à ouvrir le feu sur des navires étrangers qui ne se conformeraient pas à leurs instructions.

L’aviation chinoise est devenue la plus importante de la région Asie-Pacifique avec plus de 3.260 appareils dont des chasseurs furtifs dont les plus avancés sont 150 Chengdu J-20 (avions de 5ème génération).

Les J-15 actuellement embarqués sur les porte-avions devraient être remplacés à terme par des Shenyang FC-31 qui ont effectué leur premier vol en 2013 et qui seraient comparables au F-35 américain.

Les faiblesses de la défense chinoise

La défense chinoise se heurte encore à trois défauts importants :
. un système de commandement opaque qui limite l’efficacité tactique de toute opération militaire ;
. comme ailleurs dans l’administration chinoise, il existe une corruption et un népotisme endémiques qui parfois nuisent à l’avancement des meilleurs ;
. la qualité de ses personnels laisse à désirer, les jeunes chinois éduqués préférant se diriger vers le privé nettement plus attractif. C’est pour cette raison que la conscription est toujours en vigueur pour un tiers de ses effectifs. Le service militaire est de deux ans.

Si le complexe militaro-industriel fournit des armements sophistiqués très appréciés à l’étranger (notamment des drones très demandés), la majorité de ceux actuellement en service sont anciens datant d’une technologie copiée sur celle de l’URSS. Par exemple, si sur le papier la Chine aligne plus de navires que les États-Unis avec 777 unités, la flotte se compose de plus de bateaux de petite taille et ne compte que deux porte-aéronefs opérationnels, le Liaoning et le Shandong (un troisième est en construction) – contre les onze pour les Américains -. Toutefois, cela doit être relativisé les Chinois jouant relativement à proximité de leurs côtes, ce qui n’est pas le cas des Américains même s’ils bénéficient de points d’appuis solides chez leurs alliés.

Enfin, l’armée chinoise pêcherait par manque de formation, des entraînements insuffisants et surtout, elle n’a plus l’expérience du combat, son dernier affrontement sérieux datant de la guerre sino-vietnamienne qui dura du 17 février au 16 mars 1979 (plus la bataille du mont Laoshan au printemps 1984).

Cela dit, des mesures ont été prises ces dernières années pour palier à tous les défauts évoqués. La Commission Centrale Militaire présidé par Xi Jinping exerce désormais une autorité directe sur de nouvelles structures de commandement.

Cinq « théâtres de commandement » répartis sur le territoire chinois ont ainsi été définis en 2016 et les trois armées (terre, air, mer) leur rendent compte directement ce qui a créé une meilleure intégration et coordination des forces.

Le président Xi s’est aussi attaqué à la corruption dans tous les domaines. Au niveau de la défense, cela s’est traduit par des purges de centaines de responsables accusés de ce fléau.

Enfin, il a accordé de plus en plus de financements à la défense passant pour l’année fiscale 2021 à l’équivalent de 209,16 milliards de dollars. Cela peut paraître faible par rapport au budget militaire américain de 705,39 milliards de dollars mais la comparaison est illusoire car les soldats et les matériels US coûtent beaucoup plus cher que leurs homologues chinois.

Tout ce qui se passe en ce moment laisse à penser que le rapport de forces sur zone est de plus en plus défavorable pour les États-Unis et par conséquent, pour Taïwan. Cette tendance devrait encore s’accentuer dans l’avenir.

La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a déclaré le 24 octobre à l’occasion de la fête nationale : « Taïwan continuera à renforcer ses défenses afin que personne ne puisse forcer l’île à accepter la voie que la Chine lui a tracée ».

Dans les faits, l’île est perdue – même si ce n’est pas à court terme – car si les Chinois continentaux sont prêts à se sacrifier pour reconquérir ce qui leur est présenté comme leur appartenant, ce n’est certainement pas le cas des Occidentaux ni de leurs alliés japonais ou sud-coréens s’ils sont assurés ne pas être impactés par cette reconquête.

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Texte

Alain Rodier

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