Foncer dans la foule avec un camion ou une voiture-bélier pour faire un maximum de victimes est devenu un mode opératoire des terroristes. Depuis le 14 juillet 2016 à Nice, d’autres villes comme Berlin, Londres, Stockholm, New York, Barcelone ont été touchées par des attaques terroristes de ce type. Mais que peuvent les policiers pour contrer les véhicules-béliers ?
Depuis vingt ans, il était interdit aux forces de police de Washington et de nombreux autres Etats américains d’ouvrir le feu sur des véhicules en mouvement. A cela, deux raisons : le risque de blesser ou tuer des passants innocents, mais aussi le fait que cela ne permettait pas, dans la très grande majorité des cas, d’arrêter le véhicule visé. Mais la situation a changé avec l’emploi de véhicules-béliers par des terroristes pour foncer sur la foule en causant un maximum de victimes. La réglementation d’ouverture du feu dans l’Etat de Washington, à New York, Chicago et Las Vegas a donc évolué. Il n’en reste pas moins que ces tirs ne doivent être délivrés que lorsqu’aucun autre recours n’est plus possible, c’est-à-dire quand cela est « absolument nécessaire pour sauver des vies humaines ». Par exemple, il est toujours interdit de tirer sur un véhicule (même volé) qui s’enfuit et ne présente plus de danger pour l’environnement immédiat. En France, l’article 122-5 du Code pénal précise que la légitime défense – cas dans lequel les policiers peuvent utiliser leur arme – est encadrée par les principes de nécessité, proportionnalité et simultanéité. Pour les militaires, dont les gendarmes, une notion de préservation d’espace dont ils ont la garde est rajoutée. Dans tous les cas, c’est au juge d’apprécier, après coup, chaque affaire impliquant des tirs des forces de l’ordre. C’est lui qui détermine s’il y a vraiment eu légitime défense. La loi du 28 février 2017, qui est allée un peu plus loin dans le cadre de la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, précise que le policier ou le militaire peut utiliser son arme pour « neutraliser un individu armé venant de commettre plusieurs meurtres ou tentatives et dont on peut légitimement supposer qu’il se prépare à en commettre d’autres », ce qui est désigné comme un « périple meurtrier ». Les nuances sont si subtiles que, pour l’instant, les rares usages d’armes à feu par les forces de sécurité ont toujours été effectués dans le cadre de la légitime défense. Il faut rappeler que cette dernière s’exerce pour se protéger soi-même mais aussi des tiers objets d’une menace. A noter que la nouvelle loi propose une application différenciée selon les corps concernés. Ainsi, cinq cas définissent l’usage des armes : la légitime défense, la défense de lieux, les personnes en fuite, le refus d’obtempérer et le « périple meurtrier ». Si les militaires et les policiers sont concernés par l’ensemble de ces cas, les policiers municipaux ne le sont que par le premier cas (légitime défense) et les agents de l’administration pénitentiaire par le premier et le deuxième (légitime défense et défense de lieux).
Nul besoin d’« arroser » le véhicule
En ce qui concerne la neutralisation d’un véhicule-bélier, le savoir-faire tactique est difficile et très délicat à mettre en œuvre, car l’action se déroule souvent au milieu de la foule. Le choix est cornélien : tirer pour tenter de bloquer le terroriste, au risque de blesser des innocents ; ou ne pas tirer, mais laisser ces mêmes innocents être percutés. Il est vrai que très égoïstement, il est plus sûr, pénalement, pour le fonctionnaire, de ne pas faire usage de son arme. Certains magistrats et la hiérarchie ont parfois la main lourde avec ceux qu’ils désignent comme des « cow-boys » !
Sur le plan purement tactique, la consigne est de viser le conducteur, toutes les autres options (particulièrement de tenter d’atteindre les pneus) étant vouées à l’échec – sauf exception que l’on ne voit que dans les films. Contrairement à la légende, il n’existe aucune munition de petit calibre et encore moins tirée par une arme de poing, capable de briser un bloc-moteur. C’est donc bien le conducteur qu’il convient de neutraliser pour faire cesser son attaque. Mais atteindre un individu conduisant un véhicule est loin d’être évident. D’abord, il faut pouvoir le distinguer, ce qui exclut d’emblée presque tous les tirs effectués depuis l’arrière du véhicule (très souvent de type camionnette ou camion). La meilleure position est donc de face, mais avec tous les risques que cela représente pour le fonctionnaire, qui a de fortes chances d’être lui-même percuté. Il convient donc de tenter d’être de côté ; et non de tirer puis se mettre de côté (ce qui ne se voit aussi que dans les films). La cible est alors extrêmement fugace et réduite en taille, d’autant que le conducteur aura instinctivement tendance à se baisser un maximum sur le volant, tout en écrasant l’accélérateur. Nul besoin d’« arroser » le véhicule car, comme le disait un vieil instructeur de tir, « mieux vaut une 22 LR bien placée qu’une flopée de 44 Magnum à côté de la cible ». Il faut prendre les quelques secondes nécessaires pour aligner la visée sur la partie visible du conducteur (généralement la tête) et faire feu le plus précisément possible, en procédant à une très infime correction pour compenser la vitesse du véhicule. En gros, viser juste en bordure avant de la cible, mais pas plein centre. Dans le cas de l’emploi d’un fusil d’assaut et à courte distance (une quinzaine de mètres), la vitesse de la munition de 5,56 x 45 mm n’oblige pas à faire de correction de visée particulière. Comme dit précédemment, inutile de vider son chargeur (ce qui constituerait un risque supplémentaire pour les personnes à proximité, sans gain d’efficacité) : trois ou quatre cartouches devraient suffire. Si le véhicule s’est arrêté, s’approcher en tenant en joue le conducteur, prêt à ouvrir le feu s’il fait mine de repartir ou de saisir une arme.
La munition utilisée a aussi son importance. Si l’on prend le cas français, celles utilisées réglementairement dans le pistolet semi-automatique SP2022 en dotation dans la police, la gendarmerie, les douanes et la pénitentiaire sont des 9 x 19 mm Parabellum. Depuis des années, si les cartouches tirées à l’entraînement ont des ogives blindées (dites ogives « ordinaires »1), celles portées en service sont de type Gold Dot (des pointes creuses dites pudiquement ogives « optimisées »2). Ces dernières ont été choisies pour une raison de sécurité3. A savoir qu’en maintien de l’ordre, il convient de neutraliser le contrevenant sans blesser les personnes se trouvant dans son environnement immédiat. Or, la balle blindée aussi appelée full metal jacket est quasi indéformable et, en conséquence, a un pouvoir de pénétration qui risque d’atteindre une personne située en arrière de la cible visée. Le risque de ricochets, surtout en milieu urbain, est également très élevé. Accessoirement, les ogives à pointe creuse ont un pouvoir vulnérant plus important du fait de l’augmentation de leur surface par effet de champignonnage qui déstabilise leur trajectoire, ce qui peut provoquer des hémorragies plus importantes lors de leur course rendue erratique. Si uniquement les balles blindées sont utilisées lors des conflits militaires, c’est parce que les conventions signées à La Haye en 1899 ont proscrit les balles déformables, par souci humanitaire. Ni les terroristes ni les truands n’ont signé ces textes… Il n’en reste pas moins que les ogives « optimisées » risquent de ne pas avoir une trajectoire assez rectiligne après avoir traversé les vitres, une porte ou un montant du véhicule ciblé. Cela peut altérer la précision du tir. Un début de solution peut être d’avoir un chargeur de réserve (les policiers et gendarmes en ont deux) approvisionné avec des balles blindées plus perforantes. Selon la situation, les fonctionnaires éjectent leur chargeur normalement garni de munitions « optimisées » pour le remplacer par celui doté de balles blindées (ne pas oublier de remplacer la munition qui est chambrée dans le canon). Bien sûr, il ne doit pas s’agir d’une initiative individuelle. C’est à la hiérarchie de donner cette consigne.
Le tir sur le conducteur d’un véhicule-bélier est la dernière extrémité quand l’activiste est parvenu à franchir tous les barrages déjà existants. Des mesures en amont devraient empêcher le début d’exécution d’un tel acte : renseignement, neutralisation de réseaux, mesures passives (protections statiques des zones à risques), etc. Mais il est évident que certains pourront profiter de quelques failles dans le dispositif sécuritaire. Il restera donc toujours les « dix derniers mètres » que les fonctionnaires de police et les gendarmes doivent pouvoir gérer du mieux possible. Pour cela, il n’y a que l’entraînement qui prévaut afin d’obtenir des gestes réflexes car, en situation réelle, le stress diminue considérablement les performances personnelles développées sur le stand de tir.
Quant à l’emploi de l’arme collective, il reste assez aléatoire dans le cas de tir contre un véhicule, car il faut que le fonctionnaire qui en est équipé soit placé au bon endroit et qu’il ait bénéficié d’un entraînement suffisant, ce qui n’est pas toujours le cas. De nombreux incidents ont eu lieu ces derniers mois avec ces armes (sans faire de victimes jusqu’à maintenant). Par contre, l’armement collectif reste indispensable contre des assaillants équipés d’armes lourdes ou de gilets pare-balles.
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