Depuis plus de vingt ans, Vladimir Poutine a fait effort pour remettre les forces armées russes en ordre de bataille après l’effondrement du Pacte de Varsovie. Son objectif est avant tout défensif car il considère que le grignotage de l’OTAN aux marches de la Russie (d’où l’intervention en Géorgie en 2008 et en Ukraine en 2014) et l’extension des missions confiées à l’Alliance en dehors de ses zones d’influence comme en Extrême-Orient représentent un risque pour les intérêts et les ambitions internationales du pays. À ce titre, il est admis que l’objectif de la Maison-Blanche depuis la fin de l’URSS a toujours été de cantonner la nouvelle Russie dans un rôle de puissance moyenne et régionale.
Les stratèges américains savent très bien que Moscou ne veut plus convertir la planète à son idéologie du passé, le marxisme-léninisme. les deux seules idéologies expansionnistes sont désormais les « valeurs universelles » portées par l’Occident et l’islam radical. Et c’est cette deuxième menace qualifiée d’islamisme jihadiste qui a été prise en compte depuis les deux guerres de Tchétchénie. Elle a plus tard amené l’intervention de 2015 en Syrie et le déploiement préventif de forces supplémentaires dans les pays frontaliers du nord de l’Afghanistan tombé dans les mains des taliban en août 2021.
Un élément fondamental d’effort de modernisation a porté sur la Marine dont l’amirauté a repris les locaux de son ancêtre impériale à Saint-Pétersbourg. Cet effort a porté entre autres sur la Flotte de la Mer Noire qui est compétente également pour la Mer d’Azov et la Méditerranée. La réintégration de la Crimée dans l’espace national a provoqué un bouleversement des limites navales qui ne sont pas reconnues internationalement et qui peuvent faire l’objet d’incidents graves. Historiquement, la Crimée a été arrachée à l’Empire ottoman en 1783 par l’impératrice Catherine II (la Grande Catherine) et le prince Grigori Aleksandrovitch Potemkine a installé la même année le commandement de la toute nouvelle Flotte (dite de la Mer Noire) à Sébastopol. Mais il a fallu attendre la Guerre froide pour que l’URSS devienne la puissance dominante dans la région.
Après la dissolution de l’Union soviétique le 26 décembre 1991, la Géorgie et l’Ukraine devenues indépendantes se rapprochent de l’Occident. La Bulgarie et la Roumanie qui donnent sur la Mer Noire rejoignaient l’OTAN en 2004. En ce qui concerne l’Ukraine devenue indépendante le 24 août 1991 (et confirmé par le référendum du 1er décembre de la même année), un accord était trouvé avec Kiev pour louer la base de Sébastopol, accord renouvelé en 2010 qui étendait la période jusqu’en 2042. Mais le renversement du président pro-russe Viktor Fedorovytch Ianoukovytch en février de la même année a fait craindre que le nouveau gouvernement ne respecte pas ses engagements et n’ouvre Sébastopol à l’OTAN. En mars 2014, la Russie annexe la Crimée (qui avait été « offerte » à la RSS d’Ukraine le 19 février 1954 par Nikita Khrouchtchev à l’occasion du 300è anniversaire de la réunification de la Russie à l’Ukraine) et s’empare des navires ukrainiens qui y sont basés. Kiev transférait alors son commandement maritime de Sébastopol à Odessa.
Depuis, une guerre larvée est menée entre la Russie et l’Ukraine qui aimerait bien que l’OTAN l’accueille dans ses rangs ce qui lui donnerait une garantie de sécurité supplémentaire en cas d’agression de Moscou. Le président ukrainien Volodymyr Oleksandrovytch Zelensky a dû déchanter lors de son voyage à Washington de la fin août. Les États-Unis sont disposés à fournir de l’argent et des armes mais sont opposés (pour l’instant) à une intégration de l’Ukraine dans l’OTAN. De plus, comme les autres « alliés » de Washington, des questions se posent sur sa fiabilité en cas de crise grave depuis que le régime afghan a été abandonné à son sort.
Les relations Turquie-Russie sont très compliquées : les deux pays sont rivaux en Syrie et en Libye et Moscou remplit la mission de négociateur dans le conflit arméno-azéri alors qu’Ankara est à fond derrière Bakou. Dans le domaine des armements, la Turquie achète des matériels russes à la grande fureur des Américains mais vend des drones à l’Ukraine et à l’Azerbaïdjan et en donne peut-être aux rebelles syriens « modérés » retranchés dans la poche d’Idlib.
Enfin, il y a le casse-tête de la liberté de circulation navale dans le détroit du Bosphore régi par la Convention de Montreux de 1936 qui est régulièrement remise en cause par l’OTAN qui souhaite augmenter sa présence en mer Noire. Le projet pharaonique de Recep Tayyip Erdoğan de percer un canal à l’ouest d’Istanbul permettrait de relier la Mer Noire à la mer de Marmara et surtout de s’affranchir de la Convention de Montreux donnerait libre accès à la Mer Noire aux navires acceptant de payer le passage…
Les disputes sur la liberté de circulation en mer Noire, dans le détroit du Bosphore et en Méditerranée orientale peuvent servir d’exemple à ce qui pourrait advenir en mer de Chine dans les temps à venir. Pour la Russie, cela relève de la flotte du Pacifique autour de Vladivostok et de Petropavlovsk-Kamachatka.
La Flotte de la mer Noire
Elle compterait 45 navires de guerre de surface et sept sous-marins. La plupart de ces navires sont stationnés hors de Sébastopol sur la côte occidentale de la Crimée et à Novorossiisk sur la rive ouest de la Russie. Cela constitue 21% de la totalité des navires de surface russes et 10% de la flotte sous-marine.
La modernisation de la Flotte de la mer Noire va permettre à la Russie de se déployer sur plus de surfaces maritimes et de surveiller les principales voies de navigation. Cela va être un souci pour les forces de l’OTAN et celles des États-Unis si les dirigeants politiques restent sur une logique de confrontation. Par contre, cela pourrait constituer un atout dans le cadre d’une coopération internationale dans la lutte contre le crime organisé, la piraterie et le terrorisme.
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