S’il est difficile de comprendre tous les ressorts de la crise qui se déroule actuellement dans la bande de Gaza et en Israël, il convient de décrire - même très sommairement - quelles sont les relations entre le Hamas qui dirige la bande de Gaza et Al-Qaida « canal historique » et Daech.

Les deux organisations salafistes jihadistes citées plus-avant ont quelques points communs. Jérusalem est pour elles le troisième lieu saint de l’islam qui, en plus, est « occupé » par les « sionistes ». On retrouve donc au détour des communiqués, et ce depuis des années, une volonté de « libérer » cette ville de la domination israélienne.

Il faut bien comprendre qu’il s’agit d’un objectif à long terme qui s’inscrit dans la création d’un « califat mondial » qu’appellent de leurs vœux les deux organisations islamiques radicales, même si les moyens pour y parvenir sont différents.

Ainsi, Daech a tenté de réaliser un embryon de califat mondial sur le théâtre syro-irakien qu’il espérait être la base d’une extension progressive aux pays arabo-musulmans (au passage, il est question de la « libération » de Jérusalem mais aussi de la Mecque et de Médine des apostats de la famille royale Al-Saoud) puis musulmans tout court avant de conquérir les pays impies.

Al-Qaida « canal historique » a jugé que cette stratégie était vouée à l’échec (l’expérience lui a donné raison) et qu’il était préférable de « grignoter » les pays musulmans de l’intérieur, son combat s’étendant de l’Afrique au Proche et Moyen-Orient en passant par le Caucase pour atteindre l’Extrême-Orient. L’inspiration d’Al-Qaida provient des Frères musulmans que les idéologues de Daech abhorrent les considérant comme des traîtres à l’islam car ces derniers « interprètent » les textes originels dictés par Dieu.

.Les deux mouvements entretiennent les mêmes réticences vis-à-vis du Hamas considéré comme « hérétique » du fait de ses liens troubles entretenus avec les « apostats » chiites via le soutien qui lui est apporté par Téhéran. Cela dit, Al-Qaida « canal historique » moins extrémiste-radical (certes, ce terme est un euphémisme) que son ancienne branche, l’État Islamique d’Irak (devenue en 2013 l’État Islamique d’Irak et au Levant) à laquelle le docteur Ayman al-Zawahiri reprochait déjà au milieu des années 2000 ses exactions vis-à-vis des populations chiites en Irak, ne soutient pas le Hamas. Cela semble être moins catégorique avec son bras armé, les brigades Izz al-Din al-Qassam, car l’éloge funèbre est faite pour ses « martyrs » (environ 200) tombés en mai dont le commandant de la brigade de Gaza, Basem Issa alias Abou Imad (photo en en tête de cet article).
. Enfin, Daech et Al-Qaida « canal historique » ne reconnaissent aucun État, donc aucune frontière, inscrivant leur stratégie dans une « mondialisation islamique » qui doit amener la constitution du « califat ».

Ces principes une fois posés, force est de constater que la réalité du terrain est différente. Le Hamas tolère dans la bande de Gaza des groupuscules qui dépendent de l’une ou l’autre faction islamique radicale dans la mesure où elles ne contestent pas son autorité. Par exemple, la « Wilayat Sinaï » de Daech, connue jusqu’en 2015 comme le Ansar Baït al-Maqdis (Les Partisans de Jérusalem) ou Ansar Jérusalem, y a trouvé refuge et approvisionnement pour mener son jihad dans le Sinaï contre les forces gouvernementales égyptiennes. De nombreuses armes provenant de Libye après la révolution de 2011 se sont retrouvées dans la bande de Gaza, vraisemblablement acheminées par des groupes salafistes-jihadistes. Aujourd’hui, ces derniers sont : le Jaish al-Oumma(1), le Jaish al-Islam, le Jund Ansar Allah, le Tawhid wal Jihad, l’Ansar al -Sunna et, plus récemment, une coalition appelée Majlis Shura al-Mujahideen (qui selon les communiqués, dépend d’Al-Qaida ou de Daech). Le Hamas avait arrêté nombre de ses membres en 2013…

D’un autre côté, les relations entre l’Iran et le Hamas sont fluctuantes. Elles ont été interrompues après la révolution syrienne de 2011 car Ismail Haniyeh alors responsable du Hamas pour la bande de Gaza avait pris parti contre le régime de Bachar el-Assad. Le Hamas avait alors été chassé de Syrie en 2012 et avait dû réinstaller ses « expatriés » entre le Qatar, le Caire et la bande de Gaza ; Khaled Meshaal (2) – le chef politique du mouvement à l’époque- à Doha , Moussa Abou Marzouk – son adjoint – au Caire, etc.. Téhéran n’est revenu sur sa décision que depuis 2014 – date de la dernière confrontation directe entre le Hamas et l’État hébreu -.

Globalement, les chiites iraniens faisant preuve de pragmatisme et non de sectarisme vis-à-vis des sunnites, soutiennent tous les mouvements qui s’opposent par les armes à Israël (Hamas, Jihad Islamique Palestinien – JIP -(3) et les Comités de résistance populaire – CRP -(4) c/f photo en bas de texte).

Mais il faut souligner que Téhéran n’est pas intervenu directement dans la crise actuelle. Seuls quelques chefs locaux au Liban-Sud et sur le plateau du Golan ont tiré une poignée de roquettes s’attirant une réponse musclée de la part d’Israël. Il est vrai que l’intérêt des mollahs n’est pas de participer à ce conflit pour l’instant au moment où des négociations peuvent être entreprises par voies indirectes avec Washington dans le cadre de l’accord sur le nucléaire (JCPOA) sans oublier l’élection présidentielle prévue le 18 juin.

1. Mouvement inspiré par Al-Qaida « canal historique » qui aurait tiré les premières roquettes contre Israël le 10 mai 2021. Le Hamas a dû « suivre » car il craignait d’être débordé politiquement.
2. Khaled Meshaal qui normalement son poste en 2017 pour laisser sa place à Haniyeh mais lui et Moussa Abou Marzouk restent ses adjoints directs.
3. Le JIP qui a été fondé dans les années 1970 par Abdelaziz Awda le considère encore comme son guide spirituel.
4. Créés dans les années 2000 à partir d’activistes du Fatah et des brigades Tanzim, le bras armé des CRP est constitué des brigades Al-Nasser Salah al-Din. Leur leader depuis 2012 est Ayman al-Shashniya.

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Texte

Alain Rodier

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