Les analystes spécialisé connaissent depuis longtemps l’organisation des cartels, des gangs et autres groupes criminels qui sévissent sur l’ensemble du continent américain du Canada à la Terre de feu(1) avec une prédilection pour le Brésil, le Mexique, la Colombie, le Pérou et l’Équateur.
Mais un sujet passe souvent sous les radars en raison sa grande discrétion : celui des « intermédiaires » (facilitators en anglais). Ces individus, souvent asiatiques et plus particulièrement chinois, jouent un rôle logistique et financier primordial au sein du crime organisé tout en prenant garde de ne pas se trouver impliqués dans des violences qui attirent l’attention des forces de sécurité et nuisent à leurs activités.
Ils se camouflent souvent derrière des activités commerciales parfaitement légales.
Leur rôle essentiel consiste à mettre en relations des acteurs qui, autrement, n’auraient aucun contact direct entre eux. En effet, il faut faire la liaison entre ceux qui fournissent les produits de base nécessaires à la fabrication de drogues (souvent en Extrême-Orient), les producteurs de matière premières (majoritairement en Amérique latine), les transporteurs et enfin les distributeurs sur le continent nord-américain et en Europe.
C’est particulièrement le cas pour des drogues de synthèse comme le fentanyl qui est, à la base, un médicament à propriété analgésique-opioïde destiné à soulager la douleur des patients atteints de cancers en phase terminale. Son pouvoir analgésique est équivalent à cent fois celui de la morphine et 50 fois celui de l’héroïne pure. Cette substance très en vogue a causé plus de 75.000 décès par overdose aux États-Unis en 2023. En effet, sa puissance est telle qu’elle fait que nombre de consommateurs dépassent la dose létale.
Ces intermédiaires font la liaison entre le secteur légal des fournisseurs de précurseurs chimiques destinés à l’industrie pharmaceutique et les producteurs criminels en Amérique latine et plus particulièrement au Mexique.
Leurs fonctions peuvent aussi englober la négociation de contrats, l’obtention de produits chimiques, la gestion des paiements, voire la fourniture directe des précurseurs et autres matières premières. Pour cela, ils doivent soudoyer des membres de l’industrie chimique et des fonctionnaires chargés des différents contrôles, en particulier aux frontières.
Ce rôle est fondamental car les intermédiaires disposent généralement d’un accès privilégié, de contacts ou de connaissances spécialisées – particulièrement en Chine(2) -.
Ils montent généralement des entreprises de façade qui leur permettent de camoufler leurs activités délictueuses derrière des apparences de totale légalité.
Ils bénéficient pour cela des fonds avancés par des organisations criminelles transnationales qui sont riches à milliards.
Cependant, parfois un de leurs membres tombe dans les mailles des filets tendus par les autorités.
Si cela est moins fréquent que pour les acteurs directement impliqués dans la production ou le transport de drogue, la capture d’un seul d’entre eux peut avoir un impact considérable sur la chaîne globale d’approvisionnement.
Identifier et démanteler ces figures discrètes s’avère plus efficace que s’attaquer aux grandes figures du crime organisé qui, une fois mis à l’ombre sont rapidement remplacées ( parfois au prix de guerres internes intenses.)
Ces individus sont relativement peu nombreux car il est plus difficile trouver des intermédiaires dotés de compétences intellectuelles et relationnelles que de recruter de nouveaux sicarios. Donc cette ressource est rare et difficile à remplacer. De plus, leur position stratégique au cœur logistique des réseaux criminels fait que leur neutralisation perturbe gravement les flux habituels.
Mais les organisations criminelles transnationales ont toujours fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et trouvent, avec le temps, de nouveaux moyens de reprendre leurs activités.
Le dernier cas concret
Le 23 octobre, les autorités mexicaines ont extradé vers les États-Unis l’un de ces intermédiaires pisté depuis 2015 par la Drug Enforcement Administation (DEA). Zhi Dong Zhang, alias « Frère Wang », « Pancho » et « HeHe. » a été arrêté à Cuba puis extradé vers le Mexique qui l’a ensuite transféré aux États-Unis.
Cette hâte à le réexpédier est en grande due au fait que Zhang s’était échappé d’une précédente incarcération au Mexique survenue en octobre 2024. Bien qu’accusé de « trafic international de drogue, de blanchiment d’argent et d’alliances avec des groupes criminels opérant en Amérique, en Europe et en Asie », un magistrat avait trouvé judicieux de l’assigner à résidence et il en avait profité pour s’enfuir vers Cuba.
Aujourd’hui, Zhang est inculpé devant deux tribunaux fédéraux américains pour huit chefs d’accusation liés au trafic de cocaïne, de fentanyl et de méthamphétamine, ainsi que pour quinze chefs d’accusation de blanchiment d’argent et autres délits financiers.
Selon l’acte d’accusation américain, Zhang dirigeait une organisation criminelle qui coordonnait la production, la préparation et le transport de ces drogues du Mexique vers Los Angeles et Atlanta, d’où elles étaient distribuées à travers le pays, et ce depuis au moins 2016.
Les autorités mexicaines ont déclaré que les activités de Zhang généraient environ 150 millions de dollars par an d’où sa capacité à corrompre de nombreuses personnes influentes. Il se chargeait aussi de blanchir l’argent sale.
Il est accusé d’entretenir des liens avec plusieurs organisations criminelles mexicaines, notamment avec les très puissants cartels de Sinaloa et cartel de Jalisco Nouvelle Génération (CJNG).
Zhang devrait être jugé à New York par le juge Brian M. Cogan, qui a présidé dans le passé plusieurs affaires retentissantes, dont celles de Joaquín Guzmán Loera, alias « El Chapo », l’ancien chef du cartel de Sinaloa, de son adjoint Ismael Zambada, alias « El Mayo », et de l’ancien ministre mexicain de la Sécurité, Genaro García Luna(3). Il est possible qu’il les rejoigne bientôt dans le pénitencier ADX Florence surnommé l’« Alcatraz des rocheuses. »
Les preuves présentées par les autorités américaines mettent en évidence un réseau dirigé par Zhang, qui facilitait les transactions entre criminels du monde entier afin d’assurer un approvisionnement constant en drogues aux États-Unis.
Il aurait exploité ses contacts en Asie pour se procurer des précurseurs chimiques et utiliser des points de transit en Amérique centrale, en Amérique du Sud et en Europe.
Il facilitait ensuite la vente du produit fini par le biais d’accords entre des grossistes mexicains et des acheteurs américains.
Un élément de preuve crucial contre Zhang était une rencontre à Hermosillo, dans l’État de Sonora, entre lui et un acheteur basé aux États-Unis, identifié comme « Sukru Bozarslam. »
Cette rencontre, enregistrée par l’agent spécial infiltré Patrick Gray de la Drug Enforcement Administration (DEA), a servi à négocier des transactions de cocaïne et de fentanyl pour le compte de trafiquants mexicains.
Par ailleurs, le réseau de Zhang blanchissait l’argent pour ses différents clients.
Selon le témoignage de Gray, le réseau opérait à deux niveaux : une branche mexicaine collectant les recettes en espèces auprès des trafiquants et une branche chinoise chargée du blanchiment.
Il s’appuyait sur le trafic de grosses sommes d’argent liquide, des virements interbancaires et des dépôts dans des sociétés écrans enregistrées auprès de grandes banques comme JP Morgan, Wells Fargo et Bank of America « car ces banques posent rarement des questions sur les transactions importantes en espèces » a précisé l’agent spécial Gray.
Au cours de l’enquête, les autorités américaines ont identifié au moins 150 sociétés et 170 comptes bancaires liés au réseau de Zhang.
Bien qu’il ne soit pas le premier intermédiaire arrêté au Mexique, son réseau se distingue par l’étendue des services qu’il proposait et son rayonnement international.
En 2023, les autorités guatémaltèques ont arrêté Mme. Gabriela Rubio Zea après deux ans d’enquête. Se faisant passer pour une femme d’affaires, une influenceuse et une mondaine, elle servait d’intermédiaire auprès de fournisseurs de produits chimiques en Chine pour le compte de la faction Los Chapitos du cartel de Sinaloa.
Entre 2021 et 2024, les autorités mexicaines et américaines ont démantelé un réseau dirigé par les frères Carlos et Javier Algredo, qui ont géré pendant des années une série de sociétés écrans dans le secteur chimique – dont certaines aux États-Unis – afin de fournir des précurseurs au CJNG.
À noter que les exportations de fentanyl ont été interdites par la Chine en 2018, mais elles ont été remplacées par d’autres produits : les précurseurs chimiques nécessaire à sa fabrication.
Si la guerre politico-économique lancée par le président Donald Trump contre la Chine perdure, rien ne dit que les exportations de fentanyl « fini » ne reprendront pas histoire de nuire un peu plus aux États-Unis. Pékin a toujours su jouer de son influence sur les organisations criminelles « Triades » pour défendre les intérêts « patriotiques »(3).
(1) Voir mon livre : « le crime organisé du Canada à la Terre de feu » aux éditions du Rocher, novembre 2013.
(2) Voir : « Liaisons entre le crime organisé chinois et mexicain » du 17 décembre 2021.
(3) Voir : « Ancien responsable mexicain de la lutte anti-drogue condamné aux USA » du 22 février 2023.
(4) Voir mon livre : « Les Triades. La menace occultée » aux éditions du Rocher, novembre 2012.