Depuis les années 1970, la construction de petits réacteurs nucléaires beaucoup moins puissants que les grandes centrales productrices d’électricité - et même que les systèmes de propulsion nucléaire embarqués sur des navires ( porte-avions, sous-marins(1), brise-glaces, etc.) qui, eux, ont besoin de capacités de montée en puissance très rapide, a été envisagé. Leur intérêt résidait dans le fait qu’ils pouvaient être installés dans des régions reculées mais où l’homme avait néanmoins besoin d’une source d’énergie : bases militaires, installations industrielles ou scientifiques, etc.

Les Occidentaux n’ont pas donné suite jusqu’à ce que la menace d’une guerre de haute intensité ne se dévoile suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Une des premières leçons tirée de cette guerre totale est que les sites de production d’énergie sont des cibles prioritaires et que cela constitue une vulnérabilité importante pour les forces engagées.

Pour pallier à cela, le décret 14299 du 23 mai 2025 du président Donald Trump, intitulé « Déploiement de technologies avancées de réacteurs nucléaires pour la sécurité nationale » ordonne au ministère de la Guerre US de mettre en service un premier réacteur nucléaire sur une installation militaire américaine au plus tard le 30 septembre 2028 : « Art. 3. Le secrétaire à la Défense, par l’intermédiaire du secrétaire de l’Armée de terre, établira un programme officiel d’utilisation de l’énergie nucléaire, tant pour l’énergie des installations que pour l’énergie opérationnelle. Le secrétaire à la Défense, par l’intermédiaire du secrétaire de l’Armée de terre, commencera l’exploitation d’un réacteur nucléaire, réglementé par l’Armée de terre des États-Unis, sur une base ou une installation militaire nationale au plus tard le 30 septembre 2028. Le secrétaire à la Défense désignera le secrétaire de l’Armée de terre comme agent exécutif pour l’énergie nucléaire des installations et l’énergie opérationnelle au sein du ministère de la Défense. »

Les installations militaires des 48 États contigus devraient progressivement être équipées de « petits réacteurs modulaires » (PRM) ou « small modular reactor » (SMR) » opérationnels à partir de l’automne 2028 si le « projet Janus » de l’armée progresse comme prévu.
Le terme PRM désigne la taille, la capacité et la méthode de construction « modulaire .» Ils sont conçus pour être fabriqués en usine et transportés sur le site d’installation sous forme de modules préfabriqués, ce qui simplifie leur construction et permet une évolutivité accrue et une intégration potentielle dans des configurations à plusieurs tranches.

Le secrétaire de l’armée, Daniel P. Driscoll, et le secrétaire du département de l’Énergie (DOE), Christopher Wright, ont annoncé conjointement à la mi-octobre le lancement de ce projet.

Les PRM que Janus cherchera à déployer seront ce que l’industrie commerciale appelle des réacteurs de « génération IV » ou « réacteurs passifs », qui, de par leur conception, ne peuvent pas fondre. De plus, étant considérés comme très sûrs, ils n’auraient pas besoin de techniciens hautement spécialisés présents sur site en permanence.
De plus, grâce au faible enrichissement de l’uranium 235 (jusqu’à 5 %), ces petits réacteurs n’ont pas besoin de protection renforcée des installations.
Cela dit, il convient de noter que si aucune centrale ne risque vraiment une explosion, elle n’est pas à l’abri d’une contamination radioactive en cas d’accident naturel ou non.

Les PRM ne dépasseront généralement pas une puissance de 20 mégawatts (mW) mais, malgré cela, ils offriront probablement une puissance excédentaire qui pourra potentiellement assurer la résilience énergétique des communautés locales autour de l’enceinte militaire. C’est là que vivent la plupart des militaires, leurs familles et que sont présentes de nombreuses infrastructures essentielles.
Le ministère de la guerre estime donc être en mesure de commercialiser une puissance excédentaire, sous certaines conditions techniques, économiques, juridiques à préciser.

Le coût de l’énergie nucléaire devrait être équivalent à celui issu des combustibles fossiles.
Par exemple, les consommateurs à Hawaï et en Alaska payent déjà quelques 40 cents par kilowattheure (kWh) contre 10 à 12 cents par kWh aux États-Unis continentaux. Au niveau de 40 cents par kWh, l’armée s’attend à ce qu’il y ait un marché commercial possible au-delà de la demande de production d’énergie nucléaire à destination militaire.

a/s le processus à venir

Un appel d’offres doit être lancé, à l’issue duquel l’armée de terre qui a été désignée maîtresse d’œuvre, prévoit de sélectionner plusieurs entreprises pour construire et livrer des prototypes de PRM à un premier groupe de sites (probablement neuf) encore à désigner.

Les prototypes de microréacteurs seront testés au Laboratoire national de l’Idaho du Département de l’Énergie avant tout déploiement sur une installation militaire. Un premier exemplaire pourrait être opérationnel dès juillet 2026…

Les entreprises sélectionnées se verront attribuer un site militaire pour la livraison de leurs prototypes, et chacune devra construire deux réacteurs qui permettront une progression pour passer du premier prototype au deuxième, puis plus si nécessaire.

Le but est de passer des prototypes initiaux à une production de systèmes commerciaux.

Ce programme s’inscrit dans le prolongement d’une initiative annoncée par la Defense Innovation Unit (DIU) en avril 2025, intitulée « Advanced Nuclear Power for Installations (ANPI). »
Elle vise aussi à déployer des PRM capables de compléter les sources d’énergie des installations du Département de la Défense dont l’électricité est généralement fournie par les réseaux commerciaux.
Par conséquent, les PRM Janus seront installés au sein de structures nationales pour renforcer l’approvisionnement énergétique dont certaines ont des besoins spécifiques au-delà de toute redondance.
Par exemple, la base aérienne isolée d’Eielson, en Alaska, dépend d’une centrale à charbon vieille de 70 ans pour ses besoins énergétiques primaires.

L’ajout de l’énergie nucléaire diversifiera les autres sources disponibles sur les bases militaires et renforcera considérablement leur résilience.
L’objectif est qu’« elles disposent d’électricité, quoi qu’il arrive, 24 h/24 et 7 j/7 », a déclaré le Dr Jeff Waksman, secrétaire adjoint principal de l’armée de terre US pour les installations, l’énergie et l’environnement.

La résilience électrique des installations sensibles – pas uniquement militaires – est actuellement assurée à 100 % par les combustibles fossiles.
La production d’énergie renouvelable existe sur certaines installations, mais elle n’est pas considérée comme hautement résiliente ni comme une source d’énergie primaire fiable.

Les exercices de résilience des installations entrant dans le cadre de la mesure « Black Start »

La mesure « Black Start » imposée par le Congrès oblige toutes les installations du ministère de la Défense à tester leur capacité à fonctionner sans électricité en cas d’urgence. Elle met également l’accent sur la résilience des mesures et des réponses de sécurité. Ces exercices constituent d’importantes opportunités d’enseignements.
En théorie, deux exercices de protection intégrée doivent avoir lieu tous les ans et un exercice complet évalué en externe tous les trois ans.
Ces exercices ont démontré qu’en cas de coupure du courant, les grands panneaux solaires installés sur des installations militaires sont immédiatement coupés. Leur résilience repose donc sur les combustibles fossiles. Il existe bien un certain nombre de jours d’alimentation de secours grâce à des générateurs, mais cela représente cependant une vulnérabilité majeure…

Zones de déploiement

Hawaï et l’Alaska illustrent parfaitement le type d’environnements qui pourraient bénéficier de cette nouvelle source d’énergie.
Il en est de même de la région indo-pacifique où règne actuellement une pénurie énergétique.
Cette pénurie rend problématique le déploiement d’un système de défense antimissile, de systèmes d’énergie dirigée, de radars de grande taille ou de centres de données d’intelligence artificielle vers une île ou un site arctique isolé.
La pression exercée sur les infrastructures énergétiques locales disponibles par ces types de systèmes signifie qu’ils sont souvent limités par le manque de puissance nécessaire.

L’installation de PRM pourrait potentiellement transformer ces régions, passant d’environnements pauvres en énergie à un état d’abondance énergétique, ce qui pourrait soutenir la défense et d’autres infrastructures.
Cela pourrait aussi être crucial pour le succès des États-Unis dans le Pacifique (l’ennemi désigné est la Chine.)
Mais l’implantation de ces microréacteurs sur des îles du Pacifique, d’autres territoires étrangers, voire même aux États-Unis, peut présenter des défis politiques très difficiles à relever.
Si les populations locales s’y opposent, l’armée US n’imposera pas l’énergie nucléaire.

L’introduction de microréacteurs avancés dans les installations militaires pourrait aussi relancer le marché américain de l’énergie nucléaire commerciale et attirer de nouveaux talents pour combler la grave pénurie actuelle d’ingénieurs nucléaires aux États-Unis. Ces derniers n’ont pas construit de nouvelles centrales depuis des dizaines d’années…

Projet nucléaire « Pele »

Il existe aussi un autre projet nucléaire appelé « Pele » né du Strategic Capabilities Office (SCO) du DoD en 2022.
L’intention déclarée était de « concevoir, construire et présenter un prototype de réacteur nucléaire mobile dans un délai de cinq ans.»

Pele a été imaginé comme une source d’énergie nucléaire opérationnelle potentiellement transportable, et le projet se poursuit avec l’intégrateur BWXT, qui fabrique actuellement le premier microréacteur avancé.
Les réacteurs nucléaires transportables développés pour Pele sont conçus pour être transportés dans quatre conteneurs de six mètres, ce qui permet de les déplacer vers des zones où l’armée ou le gouvernement pourraient avoir besoin de mettre en place des infrastructures de production d’électricité pour soutenir des opérations militaires ou autres.

Mais pour l’instant, les autorités américaines ne considèrent pas l’énergie nucléaire pour une application tactique car il n’y a actuellement aucun besoin de mégawatts d’énergie en périphérie de combats. Il est aussi vrai que ce type d’installation peut devenir pour les belligérants une cible légitime car faisant partie d’un dispositif de combat (par contre, viser une infrastructure civile de ce type est considéré comme un crime de guerre.)

A/s PRM existants

En 2024, seules la Chine et la Russie ont construit avec succès des PRM opérationnels.
La Russie exploite commercialement une centrale nucléaire flottante Akademik Lomonosov dans l’Extrême-Orient russe depuis 2020.
Le réacteur modulaire HTR-PM chinois a été connecté au réseau en 2021.

En Chine, il existait en 2025 127 projets de réacteurs modulaires, dont sept en exploitation ou en construction, 51 en cours de pré-licence ou d’autorisation, et 85 concepts en discussion avec des propriétaires de sites potentiels.

Il semble qu’en dehors de projets militaires, les PRM sont promis à un bel avenir car de nouveaux besoins en énergie vont surgir avec le réchauffement climatique. Il va permettre d’exploiter plus avant la zone arctique mais va provoquer des besoins supplémentaires en matière de climatisation et d’accès à de l’eau potable (désalinisation de l’eau de mer.)
Le concept « Pele » pourrait lui être intéressant pour un déploiement dans une zone sinistrée très peuplée après une catastrophe naturelle de grande ampleur comme un tremblement de terre au niveau du Bosphore (prévu par tous les spécialistes.)

1. Les sous-marins de l’US Navy sont pourvus de réacteurs nucléaires « Life-of-the-Ship » (LOS) qui utilisent de l’uranium hautement enrichi (Heu) et peuvent être opérés 33 ans sans être rechargés. La prochaine génération, en cours de construction, devrait pousser cette durée jusqu’à plus de 40 ans.
2. L’Akademik Lomonosov est une barge qui mesure 144 mètres de long et 30 mètres de large avec un déplacement de 21.500 tonnes et un équipage de 69 personnes. Il est équipé de deux systèmes de réacteurs KLT-40S (chacun d’une capacité de 35 mW) similaires à ceux utilisés sur les brise-glaces. Rosatom travaille sur une nouvelle génération de FPU (Flotting Nuclear Plant) utilisant les réacteurs RITM-200M avec une capacité d’environ 100 mW. Rosatom a créé une coentreprise (« Energoflot ») avec le groupe TSS pour produire une flotte de FPU destinées aux marchés étrangers, avec comme objectif de construire ces unités vers la période 2029-2036. Les marchés visés sont le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est et l’Afrique. En effet, un certain nombre de pays (Brésil, Argentine, Indonésie, Malaisie, Guinée…), et d’autres États insulaires ou côtiers, ont manifesté leur intérêt pour ces FPU.