
La veille, trois chasseurs MiG-31 ont pénétré l’espace aérien estonien pendant douze minutes.
Les MIG-31 impliqués n’avaient pas de plan de vol déclaré et leurs transpondeurs étaient volontairement éteints, ce qui est un classique.

L’Italie, qui assure la mission de « police de l’air » de l’OTAN dans les pays baltes depuis août de cette année a immédiatement fait décoller ses F-35 pour intercepter les appareils russes.
Le ministre des Affaires étrangères estonien, Margus Tsahkna, a déclaré : « la Russie a déjà violé l’espace aérien d’Estonie à quatre reprises cette année, ce qui est inacceptable en soi. Mais l’incursion d’aujourd’hui, au cours de laquelle trois avions de combat ont pénétré dans notre espace aérien, est d’une audace sans précédent […] Il faut répondre à l’agressivité de la Russie, qui ne cesse de tester ses frontières, par un renforcement rapide de la pression politique et économique. »
Le 14 septembre, la Roumanie avait affirmé qu’un drone russe avait franchi son espace aérien lors d’un raid en mené en Ukraine (là, peut-être une « erreur ») tandis que la Pologne avait déclaré, une semaine plus tôt, qu’une vingtaine de drones russes avaient pénétré son territoire, certains ayant été abattus par sa défense aérienne.
Il y avait alors encore un doute qui est levé aujourd’hui : Moscou a lancé une campagne de recueil de renseignements techniques lancée par Moscou sur les systèmes d’alerte de l’OTAN ainsi qu’à ses capacités de réaction.
Sans être dans une posture offensive, la Russie est dans la phase de recueil des renseignements précieux sur ces voisins européens et leurs capacités de défense. Il est possible que le président Vladimir Poutine y ait été encouragé par le désengagement d’Europe voulu par son homologue américain Donald Trump qui souhaite retourner tous ses moyens vers l’Asie-Pacifique.
La question qui se pose est : que peut faire l’armée russe qui n’a pas montré une grande efficacité en Ukraine, alors que les forces de l’OTAN qui arrivent – certes en ordre dispersé – mais avec des capacités technologiques nettement supérieures dans le domaine de la guerre classique ou hybride-. Le seul avantage qu’ont les Russes : l’expérience du feu.
L’« exemple » turc qui « serait à suivre » selon certains observateurs(1)

Certains observateurs citent l’« exemple turc » lorsqu’Ankara a fait abattre le 24 novembre 2015 un avion Su-24 russe basé à Hmeimim qui avait effectué une incursion de 17 secondes dans son espace aérien sur la frontière syrienne (comparées aux douze minutes en Estonie.)
Mais il faut souligner que Moscou avait ensuite répondu à cette intervention (ce que peu d’analystes ne semblent se rappeler.)
La riposte russe
Dans un premier temps, très curieusement et en dehors de tous les usages, le 6 décembre 2015, le navire de débarquement russe BDK-64 « Tsezar Kounikov » (158) a traversé le Bosphore vers la Méditerranée pour rejoindre la Syrie avec sur le pont un militaire exhibant un missile sol-air SA-18 (9K 38 Igla) tout au long du passage. Le fait de brandir ce missile – ce qui pouvait être fait que sur ordre – avait provoqué un grand scandale dans la presse turque. L’ambassadeur russe de l’époque, Andrey Karlov, avait été convoqué au ministère turc des Affaires étrangères.

Il avait été demandé à la Russie de se conformer strictement à la Convention de Montreux de 1936, qui réglemente strictement le droit de passage des navires de guerre à travers les détroits du Bosphore et des Dardanelles.
Le 13 mai 2015, un hélicoptère turc AH-1W Super Cobra avait été abattu par un missile portable SA-18 russe comme celui mis en avant en passant le Bosphore. Le tir avait été effectué par un activiste du PKK dans la région de Çukurça frontalière avec l’Irak. Les vidéos de cette action avaient été largement diffusées…


Or jusque-là, le PKK n’avait jamais détenu ce type de missile anti-aérien portable. Il est fort probable que cette arme a été mise « à disposition » du PKK (formation du tireur comprise) pour cette seule et unique mission. Il faudra attendre 2019 pour que quelques MANPADS Strela 9K 32 plus anciens ne commencent à être saisis par l’armée turque.
Les Russes avaient perdu un appareil et un des deux membres d’équipage (plus un commando lors de l’opération de sauvetage qui avait suivi), les Turcs ont perdu un hélicoptère et ses deux pilotes… Le message était passé…
Pour la petite histoire :
. le navire russe « Tsezar Kounikov » a été détruit par l’Ukraine au large de la Crimée le 14 février 2024 ;
. l’ambassadeur Karlov a été assassiné le 19 décembre 2016 à Ankara par un policier turc radicalisé qui a crié : « nous sommes ceux qui ont voué allégeance à Mahomet pour le jihad jusqu’à notre dernière heure […] N’oubliez pas Alep, n’oubliez pas la Syrie ! […] Dieu est grand ! »

Mais que doit faire l’OTAN ?
Le seul moyen de parer à la menace qui se profile est une coordination et une coopération renforcées entre les membres européens de l’OTAN.
Les drones qui survolent l’espace aérien otanien peuvent être abattus sans problème sur le plan de la légalité.
Pour ce qui est des appareils pilotés, la question reste entière d’autant – que même dans le cas des trois Mig-31 ayant empiété sur l’espace aérien estonien cité plus avant -, ils rejoignaient l’enclave de Kaliningrad et ont certainement profité de l’occasion pour tester les défenses locales. Dans le domaine de l’espionnage, c’est un classique historique qui date de la Guerre froide.
Ce n’est pas comme lors de la crise de Cuba de 1962 lorsque les Soviétiques voulaient installer des missiles nucléaire sur l’île…
Et justement, où en-est-on avec la menace nucléaire ?
En ce qui concerne la menace nucléaire brandie à périodes régulières à grands efforts de propagande par Moscou, il convient de rester très prudent avec le « parapluie américain. »
Qui peut raisonnablement imaginer qu’un président en fonction à la Maison Blanche risquerait la vie de ses administrés sur le territoire américain pour défendre l’Europe ?
C’est cela qui avait poussé lors de la Guerre froide le général de Gaulle – qui doutait fortement de la résolution de Washington – à développer une force de frappe totalement indépendante (ce qui n’est pas le cas de son homologue britannique qui doit obtenir un « feu vert » de Washington.)
Certes la puissance nucléaire française reste mesurée et ne pourrait « qu’infliger des dégâts inacceptables » à un agresseur éventuel – pas seulement russe car même dans les années 1960, le « péril jaune » comme il était nommé à l’époque commençait à hanter les esprits des responsables politiques -.
Pour mémoire, la défense nucléaire française est basée sur des frappes anti-cités ce qui impliquerait des dizaines de millions de morts. Même si l’adversaire détient la capacité technologique de détruire dix ou vingt fois la métropole : « on ne meurt qu’une fois » et, en prime, le territoire serait alors tellement contaminé que personne ne pourrait rien en faire pendant des décennies.
Pour en revenir à la Chine, une donne est en train de changer : en cas de guerre nucléaire, elle semble tout à fait capable d’encaisser des pertes effroyables. Pour les stratèges, la capacité létale française est vraisemblablement sous-dimensionnée pour cet adversaire potentiel.
En Europe, la question de la décision de l’engagement de la force de frappe est vitale. En théorie, c’est « lorsque les intérêts vitaux du pays risquent d’être atteints. »
Cette définition volontairement floue est destinée à perdre les dirigeants adverses dans l’incertitude : où se trouve la fameuse « ligne rouge » ?
On peut discuter longuement sur l’implication de capitales étrangères dans l’affaire mais, pour le moment, elles resteront « pour info » la décision étant prise par un seul homme – le président français – dans le PC Jupiter à Paris.
(1) Voir : « RUSSIE – TURQUIE : des rapports toujours difficiles » du 9 février 2021.