Elle constitue l’épine dorsale de sa dissuasion nucléaire maritime mais aussi une capacité de délivrer des frappes conventionnelles à très longues distances représentant une menace grandissante en particulier pour les groupes aéronavals adverses.
Pour la première mission, elle alignerait à la mi-2025 au moins treize sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) armés chacun de seize missiles stratégiques Bulava (équipés de six têtes nucléaires mirvées) plus le « monstre Belgorod » qui peut théoriquement mettre en œuvre dix torpilles/drones à propulsion nucléaire Poseïdon emportant une charge (toujours théorique) pouvant aller jusqu’à 100 Mt – sachant que la bombe H la plus puissante jamais testée le 30 octobre 1961 est la « Tsar Bomba » faisait « seulement » 57 Mt.
Pour mémoire : doctrine russe en matière de dissuasion nucléaire
La doctrine russe de sa politique de dissuasion dont les forces sous-marines constituent une des trois composantes, a été mise à jour officiellement en 2024 par le biais d’un décret exécutif décrivant explicitement les conditions dans lesquelles elle pourrait potentiellement lancer des armes nucléaires (source : Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie 2024) :
a. . la réception de données fiables sur le lancement de missiles balistiques attaquant les territoires de la Fédération de Russie et (ou) de ses alliés ;
b. . l’emploi d’armes nucléaires ou d’autres types d’armes de destruction massive par un adversaire contre les territoires de la Fédération de Russie et (ou) de ses alliés, contre des installations et (ou) des formations militaires de la Fédération de Russie situées en dehors de son territoire ;
c. . des actions d’un adversaire affectant des éléments d’infrastructures étatiques ou militaires d’importance critique de la Fédération de Russie, dont la désactivation perturberait les actions de riposte des forces nucléaires ;
d. . une agression contre la Fédération de Russie et (ou) la République de Biélorussie en tant que participants à l’État fédéré avec l’emploi d’armes conventionnelles, ce qui crée une menace critique pour leur souveraineté et (ou) leur intégrité territoriale ;
e. . la réception de données fiables sur le lancement massif de moyens d’attaque aériens et spatiaux (avions stratégiques et tactiques, missiles de croisière, véhicules aériens sans pilote, hypersoniques et autres) et leur franchissement de la frontière d’État de la Fédération de Russie.
La guerre sous-marine « classique »
Pour la guerre sous-marine « classique » (bien que ces navires peuvent également emporter des armes nucléaires tactiques), la Russie disposerait de 29 sous-marins nucléaire d’attaque et 25 à propulsion diesel. Il est prévu de renforcer encore cette flotte dans l’avenir…
Pour mémoire, la flotte de surface, elle, est essentiellement composée de navires de l’ère soviétique dont la fiabilité diminue de jour en jour(1). Elle est essentiellement destinée à la défense côtière de la Russie – Arctique y compris -.
Après le début de la guerre contre l’Ukraine en 2014, la Russie a privilégié le renforcement de la flotte du Pacifique plutôt que celui de la flotte du Nord. C’est un signe destiné aux États-Unis qui constituent la première « cible potentielle. »
Cinq nouveaux submersibles de classe Borei-A ont été déployés en Extrême-Orient où ils peuvent plonger plus rapidement dans les eaux plus profondes du Pacifique et ainsi échapper à la surveillance adverse.

En effet, pour la flotte du Nord basée dans la péninsule de Kola, les sous-marins venant de leur port d’attache de Gadzhievo doivent traverser pendant 24 heures la mer de Barents peu profonde avant de pouvoir rejoindre la protection de l’océan Arctique puis de l’océan Atlantique.


Autrement dit, la dissuasion nucléaire de la flotte du Nord est plus vulnérable que son homologue de la flotte du Pacifique. En théorie, il est donc plus aisé pour la Russie de frapper l’Ouest des États-Unis que l’Est.
Par contre, la guerre en Ukraine a été désastreuse pour la marine russe qui a mis en sommeil la flotte de la mer Noire et celle de la mer Baltique.
Quant à la chute de Bachar el-Assad en Syrie et la perte de l’importance du port de Tartous – relai indispensable vers le sud – a porté un coup sévère aux ambitions maritimes du Kremlin en Méditerranée et autour du continent africain. Résultat : il n’y aurait plus aucun sous-marin russe en Méditerranée et neuf Kilo sont bloqués en mer Noire et à St-Petersburg… L’effort maritime russe porte donc désormais au Nord et à l’Est.
Le dernier né des SNLE
Le 24 juillet, le président Vladimir Poutine a inauguré dans la ville de Severodinsk le SNLE de classe Boreï-A de quatrième génération « Kniaz Pojarski. »

Son nom de baptême est tout un symbole puisqu’il est celui du prince russe Dmitri Mikhaïlovitch Pojarski (1577 – 1642) qui participa à la guerre polono-russe de 1605 à 1618 et libéra Moscou en 1612 de l’occupation polonaise débutée en 1610 sous le commandement de l’hetman Stanisław Żółkiewski avec la participation d’unités lituaniennes (de 1569 à 1795, le royaume de Pologne a formé avec le grand-duché de Lituanie l’« État des deux nations ») assisté par des boyards russes. Il contribua à l’accession au trône des Romanov qui mit fin aux guerres intestines russes. Il fut couronné par Michel Ier de titre de « sauveur de la mère Patrie. »
Severodvinsk abrite le seul chantier naval de Russie qui construit des sous-marins à propulsion nucléaire, le Sevmash.

Le « Knyaz Pozharsky » est le huitième SNLE de 4e génération et le troisième destiné à la flotte du Nord.
Selon sa fiche technique, le projet 955A Borei-A « Kniaz Pojarski » mesure 170 mètres de long 14.720 tonnes en surface, 24.000 tonnes en plongée) et peut atteindre une vitesse de 25 nœuds (46 km/h). Il est armé de 16 missiles RSM-56 Bulava chacun pouvant emporter total de six ogives nucléaires dont la puissance peut atteindre les 100 Kt. La portée théorique de ces missiles est de 10.000 kilomètres.

La classe Borei-A du Projet 955A constitue une évolution avancée de la classe Borei originale.
Ces submersibles sont dotés de systèmes sonar plus performants, d’une coque hydrodynamique améliorée et de systèmes de propulsion plus silencieux pour obtenir une furtivité opérationnelle accrue.
Outre l’arsenal de seize missiles stratégiques RSM Bulava, la classe Borei-A est équipée selon la version, de six ou huit tubes lance-torpilles de 533 millimètres capables de lancer une large gamme de torpilles lourdes, missiles antinavires (dont des armes à tête nucléaire tactique RPK-2 Viouga) et des systèmes de contre-mesures anti-torpilles REPS-324 Shlagbaum.
Ces armements très complets démontrent que les sous-marins de classe Borei ne sont pas seulement des moyens de dissuasion stratégique mais aussi des plates-formes de combat polyvalentes pour les opérations en haute mer.
Au cours de la cérémonie, Poutine a souligné qu’au cours des six dernières années, la marine russe avait reçu cinq SNLE de classe Borei-A et quatre sous-marins polyvalents de classe Yasen-M.

Il a aussi annoncé la mise en service de six sous-marins nucléaires supplémentaires d’ici 2030. Ces navires pourraient être armés de la torpille-drone nucléaire Poséidon, le système d’arme stratégique cité plus-avant qui devrait considérablement révolutionner la dissuasion navale.

Dévoilée pour la première fois par la marine russe en 2015 et connue de l’OTAN sous le nom de « Kanyon » ou « Statut-6 » la torpille-drone Poséidon a été testée pour la première fois en novembre 2016. Cette arme à propulsion (et tête) nucléaire a une portée indéfinie.
Avec une vitesse de pointe annoncée de 100 nœuds (environ 185 km/h) et une profondeur opérationnelle allant jusqu’à 1.000 mètres, le Poséidon est conçu pour contourner les défenses anti-sous-marines traditionnelles. Sa furtivité est renforcée par des technologies de suppression acoustique et thermique, lui permettant de pénétrer les défenses côtières sans être détecté.
Flotte sous-marine russe à la mi-2025

Même si les informations disponibles sont différentes et parfois contradictoires, les études les plus sérieuses avançaient qu’à la mi-2025, la marine russe comptait un total de 79 sous-marins, dont 54 à propulsion nucléaires.
Cette force comprendrait 13 SNLE dont 8 de classe Borei et 5 unités plus anciennes de classe Delta IV.
Les cinq anciens SNLE russes Delta IV, tous construits entre 1985 et 1992, font partie de la flotte du Nord et sont basés dans la baie de Yagelnaïa à Gadzhievo sur la péninsule de Kola. Les Delta IV embarquent 16 missiles à propergol liquide SLBM Sineva (R-29RMU2 ou SS-N-23A) chacun pouvant transporter jusqu’à quatre ogives de 500 Kt, ou la version modifiée, appelée Layner. Cette dernière peut être équipée de la même ogive que le SLBM Boulava mais el pourrait aussi transporter jusqu’à 12 ogives de 100 Kt.
En octobre 2024, le Delta IV Novomoskovsk (K-407) a participé à l’exercice d’entraînement nucléaire annuel de la Russie en tirant un missile Sineva depuis la mer de Barents.
Au moins deux SNLE sont toujours en cours de maintenance, de réparation ou de ravitaillement en combustible et sont donc indisponibles pour de longs mois. En conséquence, de SNLE opérationnels est au maximum de l’ordre de la dizaine ce qui est déjà considérable. Mais en dehors des périodes de tension, ils ne sont pas tous à la mer. Leur nombre en patrouille permanente est inconnu mais pourrait tourner autour de cinq à six unités.

La Russie dispose également de 13 SNA lanceurs de missiles de croisière dont six de classe Oscar II et sept de classe Yasen.
Même si l’on n’en parle peu, ces armes peuvent – si besoin est – emporter une tête nucléaire tactique généralement d’une puissance de 5 Kt. Il est aisé d’imaginer l’état de la cible – un porte-avion par exemple – après une telle frappe.
Le sous-marin Perm projet 885-M de classe Yassen, lancé en mars 2025, est le premier sous-marin polyvalent armé du système hypersonique Zirkon 3M22. Il a une portée de 1.000 km et peut atteindre Mach 9 en vitesse de croisière.


La Marine russe aligne aussi 16 SNA répartis en douze unités de classe Akula et quatre de classe Sierra.


Dans la catégorie spécialisée, on compte dix sous-marins nucléaires de mission spéciale, utilisés pour des opérations en haute mer et des missions de renseignement et un sous-marin spécialisé Belgorod(2).

Le Belgorod qui est le plus grand sous-marin russe peut emporter jusqu’à six torpilles-drones Poséidon.
Les prochains sous-marins capables de lancer ces armes seront de la classe Projet 09851 Khabarovsk.

La base navale de la flotte du Pacifique au Kamchatka serait en cours de modernisation pour pouvoir accueillir à terme les Belgorod et Khabarovsk.
D’importantes améliorations du stockage des ogives nucléaires seraient également en cours sur cette base.

Les sous-marins à propulsion diesel
À la différence des Occidentaux, Moscou poursuit sont effort dans le domaine des sous-marins à propulsion diesel. Ces navires sont particulièrement adaptés à la défense côtière étant très discrets et, très maniables, aptes à évoluer dans des eaux peu profondes.
La force sous-marine d’attaque conventionnelle non nucléaire se compose de 25 sous-marins diesel-électriques, dont des navires de classe Kilo et Kilo amélioré dont neuf sont bloqués au port – voir plus-avant) ainsi que des sous-marins plus récents de classe Lada.
L’augmentation des capacités des sous-marins classiques demeure d’actualité.
Armés de système de missiles 3M-54 Kalibr et sont en service actif au sein de toutes les flottes.
La construction d’au moins neuf sous-marins conventionnels projet 677 Lada est prévue.



Ce mélange de plateformes nucléaires et diesel-électriques donne à la Russie une force sous-marine polyvalente déployable à l’échelle mondiale, capable de dissuasion stratégique à longue portée, de frappes de précision et de déni maritime régional.
Stratégie navale des sous-marinades
En comparaison, la marine américaine aligne 71 sous-marins nucléaires, dont 14 sous-marins lanceurs de missiles balistiques de classe Ohio, 4 sous-marins lanceurs de missiles guidés de classe Ohio convertis et environ 53 sous-marins d’attaque rapide des classes Virginia, Seawolf et Los Angeles.
Les sous-marins stratégiques américains sont équipés de missiles Trident II D5, chaque sous-marin pouvant emporter jusqu’à 24 tubes de lancement et déployer plusieurs ogives nucléaires.
La flotte sous-marine américaine dispose d’un stock d’ogives nucléaires en mer estimé à environ 4.032 ogives contre 1.648 ogives pour les sous-marins russes.
Cela dit, dans le domaine de la dissuasion, nul besoin de détruire l’adversaire dix fois au risque de se faire totalement neutraliser une fois…
La stratégie actuelle de la Russie témoigne d’un engagement résolu à maintenir des capacités de seconde frappe crédibles sous les océans du monde tout en faisant peser une menace tactique sur l’ensemble de la planète.

Cela dit, Moscou semble privilégier des eaux favorables comme le Pacifique et l’Atlantique tout en accordant une attention particulière sur la zone arctique.
Par contre, pour l’instant, la Russie semble avoir abandonné la Méditerranée et la mer Noire ainsi que la mer baltique devenue un « lac de l’OTAN. »

Mais il semble donc que Moscou peut avoir – hors période de tension maximum – cinq SNLE, une quinzaine de SNA à la mer, cela sans compter la dizaine de submersibles classiques qui protègent par rotation les abords des côtes russes. Le Pacifique est vraisemblablement la zone la plus fréquentée suivie de la zone arctique puis l’Atlantique. Le reste parait délaissé mais n’est pas exempt de raids ponctuels comme cela a eu lieu en 2024 aux Caraïbes(3).
Un concept potentiel pour la prochaine génération de sous-marins nucléaires stratégiques russes, baptisé « Arktur » ou « Arcturus », a été dévoilé lors du Forum militaro-technique international Army 2022. Il pourrait remplacer la classe Borei vers 2037.
La classe Arktur devrait être plus petite que la classe Borei actuelle et comporter un nombre réduit de missiles. Il serait axé sur la robotique et se distinguerait par une furtivité encore plus élevée, ainsi que par sa capacité à désorienter les forces ennemies. À ce stade, on ne sait pas encore à quoi ressemblera vraiment cette future classe de sous-marins.

(1) Voir : « Le seul porte-aéronef russe à la casse ? » du 15 juillet 2025.
(3) Voir : « Prélude de grandes manœuvres russes dans les Caraïbes » du 11 juin 2024.