Les médias et les experts pro-Kremlin russes font caisse résonance pour les critiques formulées par le président Trump à l’encontre de Kiev et de son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky tout en accusant l’Europe de vouloir « poursuivre » la guerre.
Le porte-parole du président russe Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, a décrit la semaine dernière l’Europe (et non les États-Unis) comme étant le principal obstacle à la paix en Ukraine.
L’analyste « indépendant » Konstantin Kalachev (mais proche du Kremlin) a déclaré à l’AFP : « l’Europe remplace les États-Unis comme épouvantail dans notre propagande et les remplacera progressivement dans l’esprit des gens. » Il précise : « Notre peuple ne peut pas vivre sans l’image d’un ennemi, sans l’image de l’autre étranger et hostile.»
Il a poursuivi que même si Moscou restait méfiant à l’égard des intentions de Washington, de nombreuses élites russes considèrent Trump comme une « personne partageant les mêmes idées […] La rapidité avec laquelle nos propagandistes changent de position est étonnante pour une grande partie de l’opinion publique. Mais l’esprit des gens est malléable. Et si nécessaire, ils seront prêts à croire que l’Amérique est désormais notre amie et notre alliée, même si cela nuit à l’image habituelle du monde. »
Ce retournement de la politique américaine à l’égard du Kremlin provoque en effet un grand désarroi dans le monde des propagandistes russes qui ont fait de la guerre en Ukraine leur sujet central.
Ainsi, ces derniers temps, la Pravda passe sous silence le soutien historique de Washington à Kiev (depuis la révolution orange de 2004) tout en dénonçant vigoureusement les initiatives du Premier ministre britannique Keir Starmer et du président français Emmanuel Macron.
Pour la presse officielle russe : « Macron est en marche : l’Europe est prête à s’endetter massivement au nom de la guerre avec la Russie […] La paix, c’est la guerre ».
Un autre titre fait la une de certains journaux russes : « Starmer partage le point de vue de la Grande-Bretagne sur la fin du conflit ukrainien. » En effet, à la différence de la plupart des autres pays européens, tous les partis politiques britanniques font bloc sur ce sujet condamnant sans réserve Moscou.
Alexandre Douguine(1), le célèbre intellectuel ultranationaliste surnommé « le cerveau de Poutine » dont la fille a été tuée dans un attentat en 2022 qui à priori le visait lui, a déclaré le 5 mars que la France avait « déclaré la guerre à la Russie » après que le président Macron ait désigné Moscou comme une « menace » dans son discours à la nation.
De récents sondages semblent démontrer que les messages des influenceurs russes trouvent un écho auprès de leurs auditeurs ou leurs lecteurs qui ont adopté une attitude hostile envers les dirigeants européens tout en améliorant leur opinion sur les États-Unis.
Denis Volkov, directeur de l’institut de sondage indépendant Levada Center classé comme « agent étranger » par le gouvernement russe a ainsi déclaré : « nous savons, grâce aux groupes de discussion, que Macron et Ursula von der Leyen (la présidente de la Commission européenne) sont le visage de l’Europe aujourd’hui, et l’opinion à leur égard est mauvaise. […] Non seulement l’opinion envers les États-Unis a commencé à s’améliorer à la fin de l’année dernière (nous avions environ 15 à 16 % [avec une opinion positive]) aujourd’hui, elle est de 30 % […] les États-Unis sont désormais mieux perçus que l’Union européenne, même si cela a toujours été l’inverse. »
Le revirement de la politique étrangère américaine a aussi surpris le Kremlin, qui aurait demandé aux médias d’État de modérer leurs éloges à l’égard du président Trump.
Dmitri Peskov a déclaré il y a une semaine après que les États-Unis se soient rangés à deux reprises du côté de la Russie aux Nations Unies : « c’était vraiment impossible à imaginer. » Il a aussi salué les commentaires du secrétaire d’État américain Marco Rubio, qui a qualifié le conflit ukrainien de « guerre par procuration » tout en précisant qu’ils étaient « absolument conformes » à la pensée du Kremlin, ajoutant : « nous sommes d’accord. C’est comme ça. »
Le complexe de l’encerclement russe
La Russie, même dans le passé lointain, a toujours développé un « complexe de l’encerclement » qui est encore plus vivace de nos jours avec l’expansion de l’OTAN.
Le président Poutine a cité cette dernière comme l’une des raisons de son « opération spéciale » (l’invasion de l’Ukraine) en février 2022, accusant les États-Unis d’utiliser l’Alliance pour menacer la Russie directement à ses frontières.
Le président nouvellement élu Donald Trump a depuis exprimé son soutien à ce point de vue affirmant que l’Ukraine pouvait « oublier » son adhésion à l’OTAN. Il a même accusé l’Ukraine et Biden d’avoir « déclenché » la guerre.

Selon le Kremlin « on nous avait promis que l’infrastructure de l’OTAN ne s’avancerait pas d’un pouce vers l’est. Ils ont dit une chose et fait le contraire. » Des documents d’archives montrent en effet qu’il a été évoqué, à l’oral, que l’OTAN n’avancerait pas vers l’est, notamment par James Baker, le secrétaire d’État américain de l’époque.
En 2015, Vladimir Poutine a reconnu que « rien n’avait été couché sur le papier. Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit être écrit, même si une garantie sur papier est aussi souvent violée.»
Contexte historique
Le Conseil de l’Atlantique nord (CAN) a été créé le 4 avril 1949 mettant en place une alliance militaire défensive contre toute attaque armée contre l’un de ses membres en Europe, en Amérique du Nord ou dans la région de l’Atlantique Nord.
La guerre de Corée a provoqué la création fin 1950 d’une organisation militaire intégrée permanente : l’OTAN.
Le Traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle dit « Pacte de Varsovie » (PdV) a été conclu le 14 mai 1955 regroupant les pays d’Europe de l’Est et l’URSS dans le cadre de la guerre froide pour contrebalancer l’OTAN. Le PdV a été dissous en juillet 1991.
Si Baker a promis à Gorbatchev le 9 février 1990 que l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce à l’est sur le territoire de l’Allemagne non encore unifiée, ces promesses sont réalisées alors que le pacte de Varsovie existe toujours. Il est alors inimaginable que l’OTAN puisse s’étendre vers l’est.
L’OTAN rappelle d’ailleurs qu’« il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas s’élargir au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée. »
Le seul engagement écrit est celui du traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne, signé en décembre 1990, qui prévoyait que l’OTAN ne déploierait pas de forces non-allemandes en Allemagne de l’Est, ni des armes nucléaires, promesses qui furent respectées.
1. Voir : « Russie : assassinat de la fille d’un proche de Poutine » du 22 août 2022.